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Des médecins aux frontières de la justice

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Créées en 1985, les urgences médico- judiciaires de Paris ont reçu, l'an dernier, 32 000 victimes et personnes en garde à vue. Pionnière en France, cette consultation constitue un point de rencontre, et parfois de frictions, entre police, justice et médecine.

« Finalement, nous sommes peut-être plus proches des assistantes sociales que des autres services médicaux parce que nos centres d'intérêt et nos approches professionnelles se ressemblent : écoute, attention aux personnes, aide... » C'est presque une profession de foi que laisse échapper Odile Diamant-Berger, fondatrice et responsable des urgences médico-judiciaires de Paris  (UMJ)   (1). Une préoccupation pour le social qui éclaire les motivations profondes de cette spécialiste en médecine légale que certains de ses confrères n'hésitent cependant pas à critiquer, la qualifiant de « médecin des flics ». Pourtant, même si ce qualificatif l'irrite, elle ne le récuse pas totalement tant il est vrai que la consultation qu'elle a créée, voilà plus de dix ans, travaille, de fait, main dans la main avec les services de police et les magistrats parisiens.

Un examen sur réquisition

Ouverte à la demande du parquet de Paris, en novembre 1985, par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l'unité des UMJ est chargée d'examiner, sur réquisition des autorités (2), les victimes d'agression et les personnes placées en garde à vue. Sa mission ? Etablir les certificats médicaux relatifs aux lésions subies par les victimes (documents annexés aux dossiers d'instruction) et évaluer la compatibilité de l'état de santé des personnes interpellées avec le maintien de la garde à vue (3). En outre, elle assure les soins d'urgence et oriente ceux qui en ont besoin vers les services hospitaliers spécialisés.

Lors de leur création, les UMJ ont fait figure de pionnières. Certes, il existait déjà, à Lyon, une consultation de coups et blessures destinée aux victimes. Mais le service parisien a été le premier a accueillir, à la fois, les victimes et les gardés à vue (4). Une innovation qui n'a d'ailleurs pas été sans poser problème. « Au début, comme nous manquions de place, les deux publics étaient reçus dans les mêmes locaux. Ainsi, il arrivait que l'agresseur et l'agressé se retrouvent face à face. Ce qui était parfois assez cocasse mais, d'une façon générale, l'ambiance était très pénible », se rappelle Odile Diamant-Berger. Néanmoins, en dépit de ses imperfections originelles, l'unité a constitué, à l'époque, un réel progrès. « Au départ, il s'agissait d'améliorer la rapidité des procédures et la qualité des constats médicaux et, surtout, de standardiser les examens des sujets en garde à vue », raconte sa fondatrice. En effet, jusque-là, pour réaliser les examens indispensables à la poursuite de l'enquête et de l'instruction, les policiers et les juges ne pouvaient faire appel qu'aux médecins de quartier ou aux services des urgences parisiens. D'où un certain nombre de problèmes : conditions d'examen douteuses, manque de compétence des praticiens...

Le service est implanté à l'Hôtel-Dieu de Paris, à deux pas de la préfecture de police et du Palais de Justice. Quoique plutôt exigus, ses locaux sont organisés de façon à accueillir séparément les victimes et les gardés à vue. Chaque public dispose ainsi d'une entrée, d'une salle d'attente et de salles d'examen spécifiques. Une porte à code sépare d'ailleurs physiquement les deux territoires. Disposant du plateau technique de l'hôpital, la consultation fonctionne tous les jours, 24 heures sur 24.30 médecins y exercent par roulement, la plupart couplant leurs compétences en médecine légale avec une spécialité telle que la gynécologie, la psychiatrie ou la traumatologie. Quant au personnel infirmier, longtemps commun avec celui des urgences médico-chirurgicales de l'Hôtel-Dieu, il est depuis peu affecté spécifiquement à la consultation. Mais en nombre encore insuffisant, regrette sa responsable.

Observer et écouter

L'an dernier, 32 000 personnes ont été reçues à la consultation, dont 56 % en garde à vue. Avec une fréquentation nocturne très importante. « L'activité est très intense à ce moment-là parce que beaucoup de gardés à vue, interrogés durant la journée, sont disponibles pour l'examen médical. A l'inverse, les victimes viennent davantage dans la journée. » Toutes les petites et grandes misères de la capitale défilent ici : victimes de coups et blessures ou d'agressions sexuelles, enfants battus, toxicomanes, body-packers (trafiquants ayant ingérés des sachets de drogue), délinquants en tous genres... Les sujets en garde à vue, majoritairement des hommes assez jeunes (âge moyen : 29 ans), sont envoyés par les commissariats d'arrondissements et les brigades spécialisées (criminelle, stupéfiants, mineurs...). Leurs pathologies sont, le plus souvent, des traumatismes (surtout de la face) et des toxicomanies. Mais on trouve également d'autres types d'affections :problèmes pulmonaires, maladies cardio-vasculaires, diabète, troubles du comportement...

« L'examen doit être réalisé dans un climat de sécurité et de confidentialité », explique le docteur Le Brusq, attaché à l'UMJ. Car, poursuit-il, au-delà de la seule observation médicale, il s'agit aussi de comprendre la situation de la personne interpellée, d'entendre ses doléances et de répondre à son angoisse « tout en gardant de la distance ». Le respect de la confidentialité n'a cependant pas toujours été facile à obtenir. En effet, au début, les policiers comprenaient mal de ne pouvoir assister à l'examen, surtout pour des raisons de sécurité. « Pourtant, hors de leur présence, même les plus excités se calment. D'ailleurs, en dix ans, aucun médecin n'a été agressé », explique Odile Diamant-Berger. Cette difficulté, aujourd'hui résolue, renvoie d'ailleurs à l'ambiguïté du rôle des médecins qui doivent concilier deux impératifs assez contradictoires : obligations liées à la réquisition et respect du secret professionnel. « Cela reste un problème, reconnaît la responsable de la consultation, car normalement, nous devrions nous contenter d'indiquer si l'état du sujet est compatible avec la garde à vue. Mais si l'on s'en tient là, le policier ne saura pas quelles sont les précautions médicales à prendre. Il est donc logique de l'informer de certains problèmes qui peuvent survenir, par exemple en cas de diabète. En revanche, on ne mentionnera pas qu'une personne est séropositive. »

Un rôle ambigu

De même, les blessures constatées sur les personnes en garde à vue ont, pendant un temps, constitué une source de tension entre médecins et policiers. « Ça a été très dur de savoir comment gérer cette situation. Mais très vite, médecins et policiers, nous nous sommes rendus compte que si un sujet présentait des lésions à la suite d'une interpellation, il était beaucoup plus simple de le faire constater rapidement afin d'éclaircir la situation », souligne la responsable de la structure . Le colloque organisé en décembre à l'Hôtel-Dieu, pour les dix ans des UMJ, a d'ailleurs montré que, du côté des magistrats et des policiers, on se félicite généralement de l'existence de la consultation. Même si certains problèmes subsistent, notamment en ce qui concerne la durée de l'attente à la consultation. Un véritable casse-tête pour les commissariats qui doivent mobiliser, à chaque fois, un « équipage » de policiers. Ce qui, en fonction de l'affluence, peut prendre du temps. Plusieurs solutions sont actuellement envisagées, soit la création d'une équipe mobile - mais des réticences se font jour tant que des conditions d'examen correctes ne sont pas réunies dans les commissariats -, soit l'ouverture d'une nouvelle consultation dans le nord de Paris, à l'hôpital Fernand Vidal. Les difficultés se situent également sur un plan plus technique, comme pour les examens de détermination de l'âge réel des jeunes délinquants qui manquent encore de fiabilité. Ou encore dans le domaine de la prise en charge des gardés à vue souffrant de troubles psychiatriques, pour lesquels le dispositif médico-judiciaire s'avère assez démuni. « Il faut développer les moyens de l'UMJ dans ce domaine », réclamait d'ailleurs un juge d'instruction lors du colloque de décembre.

Réalisée par la même équipe, la prise en charge des victimes soulève des problèmes assez différents. Arrivant seules ou avec la police, elles sont généralement désemparées et choquées et, parfois, profondément traumatisées. Leur accueil constitue donc un moment crucial. « Malheureusement, le personnel infirmier n'en est pas suffisamment conscient. Il y a là un problème de formation et de culture professionnelle », s'emporte Odile Diamant-Berger. Il est vrai que le passage aux UMJ peut être extrêmement pénible pour certaines personnes, notamment les victimes de viols ou les enfants battus. Surtout dans la mesure où le médecin - qui devient alors une sorte de véritable auxiliaire de justice - doit, dans les délais les plus brefs, établir un constat médical détaillé « avec recherche de preuves ». Il est également chargé de fixer la durée de l'interruption totale de travail (cette donnée est très importante en vue d'un éventuel procès). Enfin, il doit tenter d'évaluer les répercussions psychologiques de l'agression. Une observation d'autant plus importante que 30 % des victimes vues aux UMJ souffrent d'un « syndrome psycho-traumatique spécifique » nécessitant un soutien psychologique à plus ou moins long terme. « Cet examen psychologique n'est cependant pas facile à réaliser. Les victimes vont d'abord au commissariat porter plainte [démarche obligatoire pour obtenir la réquisition ouvrant droit à la gratuité de l'examen] puis elles viennent ici. Après ça, très souvent, elles n'ont pas envie de subir, en plus, un examen psychiatrique. C'est une démarche qu'elles font plutôt dans les jours suivants. Nous avons donc, à cet effet, une psychologue qui vient une fois par semaine et, autrement, nous faisons appel aux médecins psychiatres de l'Hôtel-Dieu. Sachant qu'en général, pour continuer le suivi, nous envoyons les gens ailleurs car il vaut mieux faire une cassure entre l'examen qui suit l'agression et la prise en charge psychologique », souligne la créatrice de l'UMJ. Quant aux mineurs, ils constituent une catégorie à part, leur prise en charge étant encore plus délicate que celles des adultes, surtout en cas d'agression sexuelle. « Dans ce type de situation, c'est souvent la parole de l'enfant qui fait qu'on nous l'amène et nous ne possédons aucun autre élément. En outre, il s'agit souvent de faits qui sont relativement anciens ou de simples attouchements. L'examen médical n'est donc pas facile », explique l'un des médecins.

Pas de suivi social

Au bout de dix ans, si le bilan de la consultation apparaît globalement positif au plan médico-judiciaire, certains manques persistent, en revanche, en matière d'aide aux victimes. Odile Diamant-Berger déplore ainsi l'absence d'une assistante sociale au sein de son équipe. « Il existe de réelles difficultés d'information et de prise en charge des victimes. Par exemple, les femmes battues et les personnes âgées sont souvent perdues en sortant d'ici. Une assistante sociale permettrait de les aider et d'assurer une certaine continuité au niveau médico-social. Mais, pour le moment, nous ne pouvons que les adresser aux associations spécialisées ou aux assistantes sociales de leur quartier. » Une solution consisterait à disposer d'un relais, éventuellement associatif, proche de l'hôpital et capable d'apporter soutien, information et conseil aux victimes. Mais elle semble difficile à mettre en œuvre compte tenu de la lourdeur et du coût d'une telle permanence, ouverte jour et nuit. Pourtant, regrette-t-on aux UMJ, celle-ci permettrait de compléter efficacement le dispositif.

Jérôme Vachon

Notes

(1)  UMJ : Hôtel-Dieu - 1, place du Parvis-Notre-Dame - 75004 Paris - Tél. 01 42 34 82 29.

(2)  Un médecin ne peut s'opposer à une réquisition.

(3)  Toute personne interpellée peut exiger d'être examinée par un médecin dès le début de sa garde à vue. Cet examen peut également être réalisé à la demande d'un officier de police.

(4)  On compte aujourd'hui des services d'urgences médico-judiciaires dans de nombreuses autres agglomérations.

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