« Je souhaiterais aborder un sujet qui, me semble-t-il, touche à la mal considération de l'enfant et principalement à la difficulté de reconnaître l'état d'enfance, à travers la sollicitation du lien fraternel en cas de défaillance parentale. La loi du 30 décembre 1996 prévoit que "l'enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n'est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution. S'il y a lieu, le juge statue sur les relations personnelles entre les frères et sœurs ". Ceci dans les cas où l'autorité parentale viendrait à se diviser (divorce, placement des enfants...). Cette loi, votée sur proposition du Parlement des enfants de juin 1996, me paraît pernicieuse à deux points de vue elle s'appuie sur une certaine façon d'entendre la parole des enfants (en la créditant) et elle sollicite les enfants dans une responsabilité outrancière.
« Cette idée qui vient des enfants eux-mêmes, de vouloir rester ensemble en cas de séparation d'un ou des deux parents, est hautement louable mais peut être illusoire et à courte vue. Si elle part d'un élan généreux et solidaire, elle oublie combien la solidarité fraternelle est complexe et combien elle contient une charge agressive, parfois même sadique, que toute personne adulte qui accepte d'ouvrir les yeux perçoit avec une clarté évidente. Or c'est comme si les adultes que nous sommes - via le législateur -créditaient sans guère de restriction cette illusion enfantine d'un monde de l'enfance bon, à travers la défense du lien fraternel - qui protégerait mieux l'enfant face à l'adversité ! Les enfants en restant ensemble se feraient du bien.
« Or, [...] l'agressivité profondément légitime des enfants prend, dans les cas de séparation, des formes qui s'exacerbent - soit manifestes, soit réprimées - et nuit à l'harmonie personnelle, fraternelle et sociale c'est comme si l'enfant séparé d'un ou de ses deux parents reprochait à l'autre enfant la situation qu'ils vivent - à travers une attitude d'agressivité ou de surprotection (cette dernière étant la face inversée d'une attitude agressive). Bien sûr ces éléments ne sont pas constants, ils coexistent avec une réelle complicité fraternelle et avec des sentiments réciproquement positifs mais ils envahissent sournoisement le champ du quotidien.
« Par ailleurs, à travers cette loi, ne demande-t-on pas implicitement aux enfants de maintenir entre eux, par le lien fraternel, ce que les parents n'ont pas pu maintenir, à savoir l'identité familiale ? Ne leur demande-t-on pas d'être responsable de (s) l'autre (s) enfant (s) à travers le fait de les maintenir regroupés ? Que reste-t-il de l'identité personnelle au moment où l'on privilégie dans l'épreuve l'identité fraternelle ?
« Ces considérations m'amènent à penser que la société des adultes crédite la parole de l'enfant comme un alibi à sa propre non-parole qu'elle s'appuie sur lui parce qu'elle n'est pas sûre d'elle, et qu'elle dilue dans le groupe fraternel ses responsabilités et ce qu'elle ne sait pas reconnaître de l'identité personnelle de chaque sujet, et donc de chaque enfant. Chaque enfant est un être unique, solidaire mais non responsable de l'autre, qui dans l'épreuve a besoin que l'adulte puisse le soutenir, peut-être en disant non à ses illusions et à ses attentes. En proposant que les fratries soient séparées, on ne refuse pas la relation fraternelle mais on l'ordonne dans tous les cas à l'identité filiale. Certes on perçoit combien ces considérations sont heurtantes dans leurs applications mais n'est-ce pas le détour obligé pour considérer l'enfant comme un être unique appelé à un'advenir" enraciné dans sa filiation et dans une fraternité beaucoup plus large à inventer. »
(1) Voir ASH n° 2005 du 10-01-97.
(2) Henri Mialocq : 3, rue Gaston-Planté - 64300 Orthez - Tél. 05 59 67 07 14.