Ce document de travail vise, avant tout, « à ouvrir des pistes » sur l'organisation du ministère dirigé par Jacques Barrot. Et, précise son auteur, il ne concerne pas la direction des populations et des migrations (DPM), ni les services déconcentrés (qui font l'objet d'autres mesures (1) et d'un groupe d'études animé par le directeur de l'action sociale). Il doit maintenant servir de base à la concertation conduite dans le cadre de la réforme de l'Etat, au niveau du ministère des Affaires sociales, par un comité de pilotage présidé par Serge Vallemont.
D'emblée, Christian Rollet observe qu'autour du « noyau » que constitue l'administration centrale, des organismes aux formes juridiques et financières diverses se sont développés « dans le but d'assumer avec plus d'efficacité et de lisibilité certaines missions de l'Etat ». Parmi ceux-ci, des institutions assurant des fonctions de services ou d'études (CFES, CNEH, CTNERHI, ENSP...), des structures liées aux problèmes de sécurité sanitaire (Agence française du médicament, AFS, EFG... ) et des délégations organisant le travail interministériel (DIV, DIIJ, DIRMI, DIISES...). Au total, cette « nébuleuse assez floue » comprend pas moins de 60 structures (dont 20 organismes de sécurité sociale) employant autant, sinon plus, de personnes que le ministère lui-même. Même si des raisons « fondées dans chaque cas d'espèce » ont conduit à cette « prolifération des organismes », reconnaît le chef de l'IGAS, « on peut se demander néanmoins si la cohésion d'ensemble de l'action du ministère ne s'en trouve pas très affaiblie ». D'autant que ces structures « ont tendance à constituer des relais locaux en dehors des DRASS et des DDASS ».
C'est aussi l'organisation verticale et cloisonnée - « en tuyaux d'orgue » - de l'administration centrale du ministère des Affaires sociales qui est mise en cause. En effet, précise le rapporteur, « les grandes directions techniques correspondent pour l'essentiel à des “territoires institutionnels” elles ne se réfèrent pas clairement aux grands objectifs des politiques sanitaires et sociales ». Dès lors, affirme le chef de l'IGAS, « le problème est de faire exister le ministère, au-delà et au-dessus des directions techniques, comme une entité autonome porteur d'une stratégie qui transcende les préoccupations, même légitimes, de la CNAM, de la CNAF, de la FHF ou de l'Uniopss. Comment l'Etat pourrait-il affirmer son autorité dans le domaine de la santé et de l'action sociale si le rapport de force entre les directions techniques et les institutions est trop défavorable aux premières ? ».
D'autant qu'en dépit d'un domaine d'action extrêmement vaste - à tel point qu'il peut donner aux fonctionnaires « l'impression que la tâche est démesurée » -, le ministère apparaît « réduit » avec seulement 13 980 agents, dont 2 900 en administration centrale. En outre, il n'existe pas de lien hiérarchique entre les responsables ministériels et les professions ou les établissements. « On ne peut donc transmettre des instructions : on doit recourir à des moyens juridiques normatifs, sinon il faut négocier pour mettre en œuvre les orientations définies au niveau central. » La « disproportion » est ainsi « très marquée » entre le poids des institutions sanitaires et sociales et la taille du ministère.
Par ailleurs, « la liste est longue » en matière de « cloisonnements structurels », poursuit le rapporteur. Notamment en ce qui concerne le sanitaire et le social, entre lesquels « les frontières sont parfois très artificielles et sources d'inévitables difficultés ». Par exemple, pour les malades du sida et les toxicomanes, le traitement comporte une dimension sanitaire et un accompagnement social. Même chose dans le domaine de la famille où la DSS élabore la réglementation des prestations familiales et exerce la tutelle sur les caisses d'allocations familiales alors que la DAS assure celle de l'action sociale des caisses et gère l'aide sociale de l'Etat. Et cette situation vaut également pour le financement des politiques sanitaires et sociales qui est « éclaté » entre la DSS (qui en détient la plus grosse part), la DAS et la DGS.
Autant de raisons qui conduisent Christian Rollet à « poser un diagnostic en trois points ». 1 ) « Le ministère des Affaires sociales n'a pas, dans le concert interministériel, la place qu'il devrait avoir, compte tenu de l'ampleur des enjeux auxquels il est confronté [...]. » 2 ) « L'administration centrale n'a pas la capacité de “management” que requiert la nécessité de piloter un ensemble d'acteurs disparates avec peu de moyens. Orienter, contrôler, évaluer, faire faire : autant de fonctions à promouvoir. » 3 ) « Le ministère a un grand besoin de mettre en cohérence les différents éléments de son dispositif central [...] en étroite synergie avec l'administration déconcentrée. »
Du côté des « sociaux » du ministère, on se montre pour le moins réservé face à ce rapport et notamment à ses propositions, les restructurations prévues transformant la DAS en une direction politique privée de moyens . « Non, une politique d'action sociale ne peut pas se ramener à une politique réglementaire », a ainsi affirmé, dès le 6 janvier, Pierre Gauthier, lors de ses vœux « elle en est même tout le contraire », a-t-il insisté. Et de fait, les spécialistes de l'action sociale interrogés par les ASH voient dans ces travaux une « absence totale de réflexion sur ce que pourrait être une politique d'action sociale ». La preuve ? Le fait que la DPM ait été écartée de l'étude au mauvais prétexte de son rattachement administratif actuel (au ministère de l'Aménagement du territoire, de la Ville et de l'Intégration). Ou encore que rien n'apparaisse sur le logement des plus défavorisés.
Du côté des syndicats, si l'on se montre globalement satisfait du constat dressé par Christian Rollet, on est, là aussi, plutôt déçu par les solutions envisagées. « Comme souvent, on répond en termes de structures et non pas de fonctionnement », constate-t-on à la CFDT où M. Coulon illustre joliment ses propos : « On modifie les frontières, mais on ne donne pas les passeports pour pouvoir les passer par la suite. » Point de vue relayé, à la CGT, par Mme Sallandre qui relève que ce n'est pas « forcément un problème de structures, mais de moyens et de volonté politique ».
Mais, les critiques les plus vives émanent de certains hauts fonctionnaires qui reprochent au chef de l'IGAS une « approche purement gestionnaire, très inspirée par le sanitaire ». Et qu'en fin de compte « le social ne soit toléré que comme un appendice du sanitaire ».
H.M. et J.V.
Christian Rollet fait trois séries de propositions. Les premières, assez ambitieuses, ont pour objectif de restructurer l'organisation du ministère, les autres, de portée plus mesurée, visent à doter l'administration de moyens de coordination et de mobilisation de son action.
Le rapporteur propose, au-delà de la décision prise de réunir en une structure unique l'IDEF et le Centre international de l'enfance, « d'élaborer une cartographie des rapprochements possibles entre les organismes, sans attendre que les contraintes financières imposent des solutions radicales dans des conditions difficiles ». La solution consistant à confier la DIRMI, par intérim, au directeur de la DAS pourrait être, sous réserve d'une étude complémentaire, « stabilisée » (2). En élargissant le champ de cette réflexion, le rapporteur s'interroge. « La DAS est un service encore jeune, sous-dimensionné par rapport à ses missions, alors que de multiples délégations ou missions travaillent à côté d'elle. Certains organismes n'auraient-ils pas vocation à réintégrer cette direction ? Poser la question n'implique pas une réponse forcément positive. Il faut tenir compte de l'affichage politique qui a présidé à la création d'une délégation ou d'un organisme. Mais peut-on retenir cet argument dans le cas, par exemple, du Groupement permanent de lutte contre l'illettrisme ? »
Le rapporteur propose un schéma de réorganisation simplifié regroupant six directions, les unes d'objectifs ou de moyens, les autres plus « transversales ». Les deux directions d'objectifs correspondraient ainsi « aux deux grands pôles, sanitaire et social » :
la direction de la politique de santé, « délibérément axée sur la santé publique, au sens populationnel du terme », serait calquée, en grande partie, sur l'actuelle DGS
la direction de la politique sociale résulterait « d'une mutation profonde de l'actuelle DAS ». Elle aurait la responsabilité d'élaborer les objectifs de l'action publique vis-à-vis des familles, des personnes âgées, des handicapés, et plus largement de fixer les priorités nationales en matière de cohésion sociale. Elle aurait la charge d'observer et d'analyser les grandes évolutions sociales de notre temps (rapports entre les générations, dissolution des liens sociaux, situations d'urgence sociale...). Mais le problème des « frontières entre la DSS et la DAS est sans doute la question structurelle la plus difficile du ministère ». La nouvelle direction sociale serait « enrichie essentiellement par le transfert des compétences actuellement dévolues à la DSS » en matière de conception et de réglementation des prestations. Elle perdrait, en revanche, sa compétence sur l'aide sociale, en termes de gestion de crédits et de régulation financière, et sur la gestion des établissements et des professions. Deux directions de moyens seraient constituées, l'une à vocation financière, l'autre consacrée aux ressources humaines :
la direction des professions, des établissements et des services sanitaires et sociaux serait, en fait, une « direction de l'offre, étendue à l'ensemble du champ de compétence du ministère ». Elle regrouperait à partir de la DH actuelle, outre la sous-direction du travail social et des professions de la DAS, la sous-direction des professions de la DGS et la sous-direction de l'offre de soins de la DSS. Ce choix, auquel « on peut reprocher de séparer le conceptuel de l'opérationnel », est justifié par Christian Rollet comme permettant de « dégager des politiques claires et fortes, à l'abri de pressions institutionnelles [...], et de traiter sérieusement des moyens au niveau d'une direction (l'intendance ne suit pas forcément). Cette direction, en regroupant des compétences actuellement dispersées, pourrait promouvoir une vision globale des professions concernées, dépassant les statuts. Elle aurait aussi l'autorité nécessaire pour que soient mieux prises en compte par les responsables de la fonction publique les spécificités du milieu hospitalier »
la direction de la sécurité sociale et des finances sociales résulterait de la transformation de l'actuelle DSS. « Perdant la maîtrise de la conception et de la réglementation des prestations, essentiellement au profit de la DAS, la DSS réduirait la dimension juridique de sa mission pour se consacrer à sa vocation essentielle : les chiffrages, la prévision, la tutelle sur les organismes de sécurité sociale et la régulation financière de l'ensemble du secteur. Elle jouerait alors vis-à-vis des autres directions un rôle comparable à la direction du budget. » L'aide sociale et les prestations sociales de l'Etat (AAH, RMI) lui seraient également rattachées. Deux directions transversales viendraient en appui des autres directions :
une direction des études, de l'évaluation et des systèmes d'information serait entièrement créée, sur le modèle de la DARES du ministère du Travail. Elle aurait notamment la responsabilité de faire remonter et circuler l'information, de mobiliser des capacités d'expertise pour les principaux services, de peser sur les orientations de la recherche, de créer une fonction de prévision (domaine de santé essentiellement), de faire connaître et partager les analyses et la stratégie du ministère (communication externe), et de piloter l'évaluation des politiques publiques ou de certains programmes d'action
la DGAPB continuerait, par ailleurs, de gérer les moyens humains, financiers et matériels de l'ensemble du ministère.
Conscient de « l'ampleur des restructurations qu'impliquerait la mise en œuvre [de ce] schéma » qui « pourrait conduire à écarter complètement cette perspective », Christian Rollet propose plusieurs « aménagements de portée limitée » ainsi que des « mesures complémentaires » :
des bureaux communs à deux ou trois directions ou de petites cellules permanentes de coordination pourraient être créés pour résoudre les problèmes d'articulation entre directions
un « chef de file » pourrait être nommé pour un dossier interministériel (sida, RMI...)
le renforcement de la pratique de « comité de directeurs », réunion périodique des responsables de l'administration centrale
la création d'un poste de secrétaire général permettrait d'assurer de manière permanente la coordination dans les relations et les services déconcentrés, d'une part, et les organismes sous tutelle, d'autre part
une plus grande mobilité des cadres
une « politique de ressources humaines ambitieuse ». Outre la mobilité, déjà mentionnée, le rapporteur estime nécessaire de « rouvrir le dossier d'aménagement de passerelles entre les corps des administrateurs civils, des directeurs d'hôpitaux et de l'IGAS » qui avait subi un échec en 1994. Il souhaite également que la « fusion de certains corps », voire la création d'un « corps unique technique pluridisciplinaire de santé publique, y compris interministériel », soient décidées. Une étude prospective sur les besoins futurs du ministère apparaît enfin nécessaire pour doter progressivement l'institution d'une capacité de « gestion prévisionnelle non seulement des effectifs mais des compétences avec, par voie de conséquence, un vaste programme de formation permanente ». N.G.
(1) Voir ASH n° 2006 du 17-01-97.
(2) Voir ASH n° 1988 du 13-09-96.