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Une commune soutient ses malades en fin de vie

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Alors que les soins palliatifs en France viennent de fêter leur 10e anniversaire, coup de projecteur sur l'association Aurore à Rosny-sous-Bois. Laquelle entend promouvoir cette démarche au niveau de la commune.

« Jusqu'à présent, les soins palliatifs sont toujours nés des lieux de soins. Ici, pour la première fois, c'est une ville qui se mobilise dans l'accompagnement de ses mourants », déclare Hervé Mignot, médecin consultant en soins palliatifs à domicile et attaché à l'unité de soins palliatifs de l'hôpital Paul Brousse à Villejuif. Car, « ce n'est pas seulement aux médecins et aux blouses blanches de dire ce qui est bon pour les personnes à l'occasion de la fin de leur vie. C'est une question de société. A elle de reprendre en charge ses mourants ». C'est cette volonté de promouvoir les soins palliatifs (1) à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et de « réinscrire la mort dans la cité » qui est à l'origine de l'association Aurore (2). Un projet pilote qui, initié par Hervé Mignot et Patrick Florentin, médecin-directeur du centre médico-social municipal, a rencontré l'intérêt de la municipalité.

Les professionnels démunis

Au préalable, afin d'examiner les conditions dans lesquelles les gens terminent leur vie à Rosny-sous-Bois, une étude est menée, en 1993, à la demande de la ville auprès de l'ensemble des intervenants concernés. C'est ainsi qu'Hervé Mignot rencontre les soignants mais aussi les assistants sociaux, les aides-ménagères, les associations, la police, les pompiers, les pompes funèbres, les employés d'état civil... Résultat : 22 % seulement des Rosnéens décèdent à domicile alors que l'on sait que 63 % des Français désirent mourir chez eux. L'étude met notamment en évidence que bon nombre de malades en phase terminale finissent leurs jours contre leur gré à l'hôpital. Et elle fait état de la très grande méconnaissance qui existe en matière de soins palliatifs et, d'une façon générale, des problématiques spécifiques afférentes à la fin de vie. Médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, travailleurs sociaux, chacun reconnaît être très démuni dans ces circonstances. Le constat est clair :au manque de formation et de soutien, s'ajoute le manque de coordination des intervenants... Par exemple, alors que « l'action sociale peut se montrer déterminante dans la prise en charge et le soutien de la personne en fin de vie et de son entourage », les assistantes sociales sont très rarement contactées par les médecins qui suivent des grands malades à domicile , déplore Hervé Mignot. Lequel relève également « l'importance de l'action » des aides-ménagères. « Dans bon nombre de cas, c'est à elles que l'on doit le maintien à domicile  parfois, il leur arrive de découvrir morte la personne qu'elles ont servie jusqu'au bout. » Alors que « le malade réclame souvent des soins importants, multidisciplinaires, coordonnés [...], l'articulation des différents professionnels médicaux, paramédicaux, sociaux tient parfois du jeu d'adresse », conclut Hervé Mignot. Lequel insiste sur l'importance du rôle joué par les non-soignants et la nécessité de leur apporter « formation et reconnaissance ».

Les conclusions de cette recherche sont débattues lors d'un colloque en novembre 1993. A sa suite, une trentaine de personnes décident d'améliorer les conditions d'accompagnement des personnes en fin de vie à Rosny-sous-Bois. C'est ainsi qu'en 1994 est créée l'association Aurore, présidée par le docteur Pierre Roques, conseiller municipal délégué à la santé, et dotée d'un conseil d'administration représentant les personnes susceptibles de lui faire appel (3). Association qui, malgré ses bonnes relations avec la municipalité, s'affiche clairement « à but non lucratif, apolitique et non confessionnelle ».

Structure légère, logée au premier étage d'une résidence pour personnes âgées de la municipalité et dotée d'un personnel réduit - un directeur-coordinateur et une secrétaire -, celle-ci vise à mettre en place, gratuitement, une coordination au niveau de la commune afin de faciliter la prise en charge des personnes en phase évoluée d'une maladie à pronostic fatal (cancer, sida, maladies neurologiques dégénératives...). « Quiconque (patient, famille, professionnel) peut ainsi téléphoner à la coordination. A partir de là, je rencontre le malade et son entourage afin de procéder à une évaluation-diagnostic essayant d'intégrer toutes les composantes physiques, psychologiques, sociales, voire spirituelles. Il s'agit de déterminer où les gens en sont au niveau de leur maladie, ce qu'ils en savent, comment ils sont aidés... Et d'être sûr qu'ils sont clairement demandeurs », explique Christian Boissel, psychologue et directeur-coordinateur. Car « il ne s'agit bien évidemment pas de les obliger à mourir à domicile mais de leur donner une possibilité de choix ». Le malade, ou à défaut sa famille, signe une demande écrite tandis que l'accord des personnels de santé est également sollicité. Lesquels s'engagent sur des chartes précisant les principes éthiques des soins palliatifs et le cadre de l'intervention. Par exemple, le fait qu'il ne s'agit ni d'acharnement thérapeutique, ni d'euthanasie... Ou encore que la coordination vise à faciliter l'intervention des professionnels et non se substituer à eux, qu'elle n'intervient pas dans le choix par le malade de ses soignants et que le médecin traitant demeure l'unique responsable médical.

Concrètement, un médecin consultant en soins palliatifs est mis à la disposition des intervenants, médicaux, paramédicaux et sociaux. Ceux-ci se voient proposer des réunions destinées à analyser les situations, définir les modalités de l'accompagnement, mais aussi leur permettre d'exprimer leurs questionnements et leurs souffrances. « Ceci afin de pouvoir anticiper sur les difficultés que chacun peut être à même de rencontrer. Car la fin de vie est une passe très difficile renvoyant chacun à sa propre mort. Lorsque rien ne se dit, ni ne se transmet entre le malade, la famille et les professionnels, mais aussi au sein des professionnels, c'est une bombe à retardement. Tout le monde va s'épuiser, craquer et le patient sera hospitalisé », analyse Christian Boissel. Outre ces réunions où la parole peut circuler, un cahier de liaisons permet aux divers intervenants à domicile de recueillir leurs observations. Le coordinateur assurant le lien entre eux, allant régulièrement à domicile, accompagnant, lorsque sa présence est sollicitée, l'aide-ménagère, lui montrant les gestes à faire et lui apportant, à tout moment, un support psychologique.

En outre, à côté de l'action des professionnels, l'association a constitué un réseau de six bénévoles. Recrutés après exposé écrit de leurs motivations et entretien avec un psychanalyste, formés et tenus au secret médical, ceux-ci ont pour tâche essentielle et difficile d' « être là », quelques heures par semaine, disponibles, à l'écoute du malade et de son entourage. La gratuité de leur présence ayant également, pour les promoteurs du projet, valeur de symbole de reconnaissance par la communauté de cette période tabou de la fin de vie et de son corollaire, le deuil.

Néanmoins, le soutien ne s'arrête pas brutalement au décès du malade. L'association continue d'accompagner ceux qui restent, s'ils le souhaitent. Cette aide aux endeuillés pouvant également être proposée aux proches des victimes de mort brutale (suicide, accident, assassinat), en particulier par le biais du service d'état civil de la mairie. Lequel a d'ailleurs bénéficié d'une sensibilisation à la fin de vie, tout comme d'ailleurs les services d'aides-ménagères municipales, dispensée par l'association agréée comme organisme de formation.

Le bilan ? Au bout d'un an de fonctionnement, l'association aura accompagné en fin de vie 25 personnes, âgées en moyenne de 74 ans et signalées en majorité par les médecins, les infirmières libérales et la famille. Il s'agit essentiellement de patients en phase évoluée de cancer. Seulement deux situations de sida ont fait l'objet d'un suivi, notamment pour des raisons de peur de levée de l'anonymat. Le résultat est néanmoins jugé encourageant par les promoteurs, tant ce projet leur paraissait comme « une gageure » au départ. Parce qu'il dérange les habitudes autant des familles, qui ne conçoivent pas qu'un grand malade puisse rester à domicile, que des médecins, qui hésitent à s'engager dans une démarche jugée lourde et compliquée. Et qu'il bouscule les cloisonnements entre le sanitaire et le social. Face aux résistances de tous ordres, « c'est un travail d'apprivoisement continuel », précise Christian Boissel. Et qui porte ses fruits, semble-t-il, puisque les professionnels de santé, après avoir travaillé une première fois avec l'association, n'hésitent plus à lui signaler des patients en fin de vie.

Le travail social interpellé

Du côté des travailleurs sociaux, même si les collaborations restent encore très limitées, le projet rencontre également des échos plutôt favorables. « C'est vrai qu'en cas d'hospitalisation, le retour à domicile de certains grands malades est facilité parce que des associations comme Aurore peuvent assurer un passage régulier chez eux. Car nous, professionnels, ce qui nous manque, c'est le temps. Ainsi, moi, il m'est très difficile de me rendre chez les patients à leur sortie de l'hôpital », témoigne Christian Gandiol, assistant social hospitalier à mi-temps de l'équipe mobile de soins palliatifs de l'hôpital de Montfermeil. « L'association est un complément utile à notre action, car bon nombre des assurés auprès desquels nous intervenons ont des affections de longue durée. Dans la mesure où elle prépare le patient et les familles à accueillir la mort avec sérénité, cela nous est plus facile d'aborder les problèmes administratifs et sociaux liés à la maladie et au décès et d'assurer l'accompagnement psychologique. Nous sommes, en effet, très mal à l'aise pour parler de la mort, d'autant que nous sommes tenues au secret professionnel » ajoute Léonie Sidibé, assistante sociale de la Cramif. Laquelle n'hésite pas, « dès que le besoin s'en ressent », de signaler l'existence de l'association aux familles.

L'avis est un peu plus nuancé chez les aides-ménagères. « C'est une expérience valorisante. Au moins, on n'est plus simplement considérées comme des serpillières », reconnaît l'une d'entre elles, intervenue auprès d'une personne en fin de vie. « Pourtant, malgré l'appui du directeur d'Aurore, ce fut difficile à gérer psychologiquement. Sans doute faudrait-il être mieux formé. » Un avis relayé par Françoise Poinsot, responsable du CCAS qui gère le service. « L'expérience a montré que les aides-ménagères ont du mal à gérer de telles situations. Elles ne sont pas préparées à ce travail spécifique de la fin de vie. Si leur rôle consiste effectivement à soulager les personnes dans leurs tâches de la vie quotidienne et apporter un soutien psychologique, celui-ci peut devenir lourd et complexe lorsque la personne est très gravement malade. Par exemple, donner à manger à quelqu'un qui a beaucoup de mal à s'alimenter peut être réellement angoissant », souligne-t-elle. Mais elle se dit prête à « continuer à collaborer avec Aurore en examinant au cas par cas les situations ».

Mais, au-delà des questionnements, l'expérience répond à l'évidence à un réel besoin dans la cité. Et contribue, d'une certaine façon, à recréer le lien social. « Aurore est un peu devenue la caisse de résonance des souffrances de la ville », constate ainsi Christian Boissel. La fin de vie étant souvent l'occasion de dire des choses importantes qui n'ont jamais trouvé à s'exprimer. Néanmoins, l'initiative, menée dans un cadre expérimental de deux ans, souffre de la précarité de ses moyens. Seules la mairie, la CPAM, la CNAV, la Fondation de France, des caisses de retraite complémentaire, Ensemble contre le sida et la Ligue contre le cancer se sont actuellement engagées. Tandis que le conseil général et la direction nationale de la sécurité sociale sont régulièrement interrogés à ce sujet sans résultat. Enfin, faut-il bien constater que l'expérience ne marche qu'en raison de l'implication des différents acteurs de la ville, remarque Hervé Mignot. « Mais c'est très fragile. Si demain une profession se retire, l'ensemble du projet est remis en cause. »

Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Définis comme des soins actifs destinés à soulager les douleurs physiques ainsi que la souffrance psychologique, sociale et spirituelle de la personne mourante et de son entourage.

(2)  Aurore : Résidence Camille Barroy - 15/31, rue Jean-Mermoz - 93110 Rosny-sous-Bois - Tél. 01 48 55 02 82.

(3)  Il réunit notamment des professionnels de santé, du social, le responsable du service d'état civil, des représentants d'associations...

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