Unique par sa pérennité, l'Observatoire social départemental (OSD) des Bouches-du-Rhône (1) est chargé de la gestion, de l'analyse et de la construction d'informations dans le champ économique et social du département. Il conduit des études interinstitutionnelles assorties de propositions. Créée en 1991 par le conseil général, la caisse d'allocations familiales et le Fonds d'action sociale (FAS), cette structure originale à vocation d'équilibriste regroupe dans son conseil scientifique et dans ses groupes de travail permanents, 28 institutions adhérentes qui alimentent sa banque de données et, enfin, si elles le désirent, passent au tamis de l'analyse de l'observatoire (2). Avec un budget en régulière augmentation (2,9 millions de francs prévus pour 1997 contre 2,2 millions en 1996), l'OSD est appelé à opérer dans d'autres départements et s'engage dans des études régionales avec la DRTEFP et le FAS et prochainement avec l'Observatoire régional de la santé.
« Depuis cette année, l'Etat a apporté un financement spécifique pour que nous puissions développer notre action sur d'autres départements de la région », témoigne ainsi Mireille Berthet, directrice de l'OSD. Avec le département du Vaucluse, une étude de préfiguration est en cours pour définir les informations à regrouper et les besoins à cerner. « D'ici à deux mois, le rapport de l'OSD nous permettra de savoir s'il y a de la part des institutions une volonté de travailler en commun », précise Michel Eymenier, chef du service information, développement et prospective de la direction de la vie sociale du conseil général du Vaucluse. « Le plus compliqué pour les institutions sociales, c'est le partage. »
Néanmoins, cette recherche de nouveaux partenaires institutionnels ne doit pas pallier une nécessaire implantation locale, aujourd'hui insuffisante. Car parmi les institutions adhérentes, on ne compte que neuf communes (sur une centaine dans le département), qui sont pourtant les premières détentrices d'informations sociales (3). Une absente de marque :Marseille, même si elle est en discussion avec l'observatoire pour adhérer. La métropole méditerranéenne a cependant délégué un conseiller technique qui participe aux réflexions des groupes de travail. La caisse d'allocations familiales (cofondateur avec le conseil général) avait pris ses distances, mais aujourd'hui, une convention de coopération est en cours de réalisation.
L'observatoire évalue les politiques sociales des institutions mais le nombre réduit des communes, partenaires de l'organisme, limite une observation sociale qualitative de proximité, avant tout possible dans les centres sociaux de quartiers. A son actif, à la demande des communes, un certain nombre de diagnostics locaux de sécurité. Intervenu pour la ville de Martigues à deux occasions -en 1992 avec un diagnostic social de sécurité et en 1994 avec une analyse de la situation sociale -, l'observatoire s'est avant tout révélé être un outil de médiation entre institutions. « Pour le diagnostic local de sécurité, il s'agissait d'abord de faire un bilan sur la situation (faits incriminés, éducation spécialisée, situation sociale...) et ensuite d'apprécier la façon dont chaque institution percevait la politique engagée », précise Jean-Edouard Dutech, directeur des affaires sociales de Martigues. Premier bénéfice, le diagnostic a permis de mobiliser les institutions. « On s'est rendu compte que les institutions avaient tendance à gérer des flux plutôt que des situations personnelles. » Pour régler les problèmes, il fallait s'attaquer à la construction de l'identité des jeunes et intervenir sur les populations les plus marginalisées. Le Centre communal de prévention de la délinquance a mis en place un accompagnement social des jeunes à l'intérieur des prisons et un centre d'accès aux soins des toxicomanes. « Pour la seconde étude, nous sommes partis de la même problématique : mobiliser les partenaires pour améliorer l'action sociale. Le partenariat est resté dans le domaine du discours, sauf pour des actions ponctuelles comme la lutte contre le sida. L'observatoire n'est pas lui-même responsable de cet échec, n'ayant qu'une vocation d'intermédiaire. Nous avons dû choisir une autre méthode de travail. Les institutions sociales, par leur complexité, vont se spécialiser dans l'instruction des dossiers, la problématique sera portée par le tissu associatif. » C'est ainsi qu'une association chargée de gérer un lieu d'accueil pour les bénéficiaires du RMI vient d'être créée à Martigues.
Comment travaille l'observatoire ? Une institution ou une commune choisit de commander une observation, pour bénéficier de la position extérieure de l'OSD, favorable à une information interne plus fiable, à une meilleure approche des questions et à un partenariat entre institutions. « Nos études nécessitent une grande confidentialité ainsi qu'une certaine dose de diplomatie. Dans une commune, nous avons pointé la nécessité de préserver les postes de gardien des HLM, régulateurs indispensables dans les quartiers difficiles contre l'avis même des sociétés de HLM », confie Mireille Berthet. Les études s'appuient sur des interviews directes du personnel. Seulement, on peut déplorer qu'elles ne prennent pas en compte les témoignages des usagers et des intervenants non professionnels, qui, par leurs besoins ou leurs expériences, complètent la perception d'une politique sociale donnée. La nécessité d'une « dose de confidentialité » limite la divulgation des informations. C'est ainsi que certaines informations sensibles (par exemple, sur l'immigration) et portant sur des territoires de taille réduite ne figurent pas dans la banque de données. Actuellement, le conseil général planche, avec l'aide de l'observatoire, sur la qualification des travailleurs sociaux. Métiers, fonctions, formations..., un ensemble d'éléments indispensables pour le plus gros employeur dans ce domaine du département. Et, l'OSD entend parfaire sa vocation, en renforçant les formations à destination des personnels des services sociaux ou médico-sociaux. Ce seront pour les travailleurs sociaux deux nouvelles occasions pour mieux appréhender un organisme avant tout partenaire des institutions. En effet, la vocation interinstitutionnelle de l'organisme ne doit pas être l'unique justification de sa pérennité. L'observatoire doit dépasser la seule fonction de cabinet d'études pour être le lieu d'une observation sociale partagée continue et de terrain. Sa base de données, construite par des groupes de travail, est son outil privilégié de concertation et d'échanges.
Dans la banque de données de l'OSD, l'entrée territoriale retenue est la commune. Traise (traitement automatisé d'indicateurs socio-économiques) est composé de 160 indicateurs, organisés en 11 thèmes : cadre de vie, délinquance, éducation, emploi, famille, financier, jeunes, logement, population, santé. Accessible à toutes les institutions adhérentes, l'analyse s'articule autour de quatre axes : indicateurs de situation (niveau socio-économique et démographique local), indicateurs de risques (tension sociale), indicateurs de consommation (mesurant l'impact des politiques menées) et indicateurs de ressources (offre allouée par les institutions). « Nous avons la chance d'avoir un lieu neutre où les techniciens des différentes institutions se retrouvent dans des groupes de travail permanents », explique Georges Buisson, responsable de la cellule de prospective du conseil général des Bouches-du-Rhône. « Nous modifions régulièrement nos indicateurs suivant l'évolution de la société : en 1991, le critère famille mono-parentale faisait partie des indicateurs de tension sociale. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas », illustre la directrice de l'observatoire. L'analyse factorielle en correspondances multiples des données est un instrument particulièrement important pour évaluer l'impact territorial des politiques publiques. « On s'est ainsi aperçu que dans les arrondissements marseillais où le niveau de la précarité est le plus fort, le nombre de médecins est le plus bas. »
Pour les années à venir, l'observatoire s'est fixé quatre axes prioritaires : le logement, la pauvreté et la précarité, la santé et enfin la sécurité. Lieu de partenariat, remarquable par sa pérennité, l'OSD ouvre la voie à une évaluation locale partagée devenue, par la complexité des interventions sociales, un outil indispensable d'aide à la décision.
Clémence Villedieu
ASH : Quel est aujourd'hui l'état de réflexion de l'ODAS sur les initiatives locales d'observation sociale ? C. P. : Dans notre groupe de travail « Observation locale-pauvreté et lutte contre l'exclusion », qui regroupe au niveau national les institutions sociales, nous sommes en train d'élaborer un guide méthodologique sur l'observation sociale partagée. Premier constat, l'observation sociale doit regrouper l'ensemble des institutions chargées d'une politique sociale, le diagnostic commun se révélant un préalable indispensable pour une amélioration de l'action des différents intervenants : techniciens et politiques. Il est indispensable que ces derniers s'approprient leur outil d'observation. Enfin, il ne faut pas mélanger l'observation et l'action. L'observation prépare seulement l'action. ASH : Quelles sont les précautions méthodologiques ? C. P. : Première chose, il n'existe pas d'observation purement qualitative ou quantitative, les deux sont complémentaires. L'observation quantitative doit être greffée sur un système statistique national pour un vocabulaire commun. Quant au quantitatif, trois sources d'informations sont requises : le témoignage des travailleurs sociaux, celui des observateurs bruts (ceux qui sont sur le terrain sans être des professionnels du social) et enfin celui des usagers. Une étude locale doit d'abord être ciblée sur le domaine où la demande est la plus forte. Aujourd'hui, c'est malheureusement l'insertion des jeunes. ASH : Si un département désire mettre en place un observatoire, quelles sont les conditions de sa réussite ? C. P. : L'initiative couplée du politique et du technicien. Ensuite, le comité de pilotage doit regrouper des grands acteurs sociaux. Pour le niveau départemental, au minimum, l'Etat, le conseil général, les grandes villes et les institutions spécialisées suivant les domaines étudiés. Et les groupes de travail regroupent les techniciens de ces différentes institutions. Enfin, un opérateur, chargé de traiter les informations comme l'Insee. ASH : Vous préconisez la participation des conseils généraux et des communes. Mais les différences politiques ne sont-elles pas des obstacles infranchissables ? C. P. : Depuis un an, nous assistons le département de l'Eure-et-Loir qui, préalablement à la définition de son schéma gérontologique, cherche à cerner les besoins des personnes âgées. Non seulement l'observation a regroupé des champs d'intervention ouverts avec des représentants des secteurs du transport, de l'urbanisme ou du logement, mais les grands principes ont été respectés : un leadership regroupant l'Etat, le département, la sécurité sociale et la ville de Chartres. Vous voyez, les différences politiques ne sont pas toujours infranchissables. ASH : Faut-il privilégier les initiatives prises au niveau départemental ? C. P. : Le niveau départemental est en effet le niveau privilégié car c'est celui des confrontations des politiques sociales. Mais les diagnostics des grandes villes demeurent indispensables car proches du terrain. Une observation réussie s'appuie sur l'articulation de ces deux niveaux. Enfin, l'échelon régional est important car il regroupe les outils généraux d'analyse (Insee, universités...). Propos recueillis par C. V. Claudine Padieu est chargée de mission à l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS).
(1) OSD : 19, rue Borde - 13008 Marseille - Tél. 04 91 83 00 80.
(2) Parmi celles-ci, notamment le conseil général du Vaucluse, la DDTEFP, la DDASS, la DRASS et des associations.
(3) Aix-en-Provence, Arles, Aubagne, Berre-l'Etang, Martigues, Miramas, Saint-Martin-de-Crau, Septemes-les-Vallon, Vitrolles.