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Permettre aux résidents de vieillir dans la dignité

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Les foyers de travailleurs migrants ont été conçus pour des hommes jeunes et actifs. Or, aujourd'hui, ils accueillent avant tout des personnes âgées, seules et sans emploi. Comment les associations gestionnaires gèrent-elles ces bouleversements ?

Le vieillissement des résidents des foyers de travailleurs migrants  (FTM) pose des problèmes complexes et humainement très douloureux. Depuis plusieurs années maintenant, cette question fait l'objet d'une réflexion approfondie au sein de l'Union nationale des associations gestionnaires de foyers de travailleurs migrants (UNAFO), qui a récemment organisé un séminaire sur ce sujet (1). Au-delà du constat du vieillissement des migrants, celle-ci souhaite mettre en place des solutions adaptées permettant de mieux appréhender les dépendances physiques, psychiques et sociales dont souffrent les migrants vieillissants. Des solutions qui doivent également tenir compte des particularités culturelles de ces hommes, originaires dans leur majorité du Maghreb et d'Afrique. Des solutions, enfin, qui ont l'ambition de proposer à ces personnes âgées une fin de vie digne et sereine.

Cette attitude volontariste est dictée par l'urgence qu'il y a à réagir - « dans trois ans, il sera trop tard », répètent les directeurs de foyers - face à un phénomène qui bouleverse les modes de prise en charge. En effet, les foyers ont été construits pour des hommes jeunes, actifs et de passage. Or, ils se transforment progressivement en résidences sociales, abritant des hommes sédentaires, âgés et dépendants pour certains.

Les chiffres sont d'ailleurs éloquents. L'enquête réalisée par l'UNAFO (2) montre qu'en 1994, 44 % des résidents de FTM adhérents étaient âgés de 45 à 60 ans.42 % avaient plus de 60 ans. Les 18-45 ans ne représentaient que 14 % des résidents. Marc Bernardot, chargé d'études à la Sonacotra, précise qu'en 1973, « les moins de 30 ans représentaient 48 % des résidents Sonacotra. En 1993, ils n'étaient plus que 21,5 %. Entre 1973 et 1993, en revanche, les plus de 40 ans sont passés de 20 % des résidents à 64,1 % ».

Mais les chiffres ne disent rien sur les conditions de vie et l'horizon désespérément bouché de ces travailleurs immigrés. Ali Abed, psychologue et président de Radio Salam, à Lyon, rappelle ce que ces hommes - puisque ce sont des hommes dans la grande majorité des cas - sont venus chercher en France. « Ils sont arrivés du Maghreb ou d'Afrique, il y a 30 ou 40 ans, pour gagner un maximum d'argent en un minimum de temps, et repartir chez eux. Et puis le temps a passé. L'idée du retour a commencé à s'anéantir, surtout lorsque l'immigré a commencé à perdre ses repères. » Une perte de repères due à l'inactivité. Car de travailleurs, ces hommes n'ont plus que le nom. Le chômage leur ôte tout statut. « Lorsqu'un travailleur immigré n'a plus d'emploi, il n'a plus de raison d'être, poursuit Ali Abed. Et s'il tombe malade, parce qu'il est âgé, il a l'impression de n'être plus rien. Il ne peut plus alors retourner au pays, car il se retrouverait en situation d'échec vis-à-vis de sa famille. » Dans ce contexte, les résidents ne peuvent pas envisager de quitter leur foyer : d'abord parce que c'est là qu'ils ont passé la majorité de leur vie, ensuite parce que tous les résidents partagent le même sort. « L'un d'entre eux m'a dit qu'il était marié depuis 40 ans, mais qu'il n'avait vu sa femme que 40 mois et qu'il ne connaissait pratiquement pas ses enfants, reprend Ali Abed. Ils n'arrivent pas à s'intégrer dans leur famille. Ou bien ils y retournent quelques mois par an, mais reviennent au foyer car ils ont des problèmes de santé. Or, ils ne peuvent se soigner qu'en France. »

Car la vie au foyer, dès lors qu'elle n'est plus rythmée par le travail, est marquée par l'inactivité et l'isolement, puis par la maladie liée à l'âge. Il faut ajouter à cela des ressources limitées : les résidents continuent d'envoyer une grande partie de leurs revenus dans leur pays. D'autres ont beaucoup de mal à percevoir une retraite à taux plein, en raison de la difficulté à justifier des 150 trimestres de cotisation.

Maintien à domicile

Dans ce contexte historique, social et culturel bien particulier, directeurs de foyers et travailleurs sociaux sont confrontés à une série d'interrogations :comment prendre en charge des personnes âgées dépendantes, dans un foyer conçu à l'origine pour héberger des hommes jeunes et en activité ?Comment faire entrer les services sociaux dans les foyers ?Comment aider des personnes qui ne connaissent pas leurs droits, maîtrisent parfois mal le français et sont souvent rejetées par l'administration ?

Les réponses ne sont pas simples, et diffèrent nécessairement d'un foyer à l'autre ou d'une association gestionnaire à l'autre. Une certitude néanmoins : l'UNAFO doit promouvoir des solutions et les mettre en œuvre dans la mesure du possible. Hors de question, donc, de se défausser sur d'autres types d'établissements ou sur les pouvoirs publics. Ce qui ne veut pas dire que les associations gestionnaires doivent travailler seules, sans solliciter l'intérêt et l'aide de l'Etat et des collectivités locales. En outre, les réponses à mettre en œuvre doivent bien évidemment prendre en compte le désir des résidents. Or, ceux-ci expriment le même souhait que tous les gens âgés : rester chez eux. Tous les directeurs de foyers insistent ainsi sur l'importance du « maintien à domicile », c'est-à-dire au foyer. Ce qui suppose un ensemble de services sociaux qui pour l'instant ne franchissent pas la porte des établissements - ou très rarement. Brigitte Dherbey, consultante en ingénierie sociale à Marseille, résume la situation : « Les migrants souffrant de vieillissement précoce, les pathologies liées à la vieillesse, comme les rhumatismes, apparaissent plus tôt que dans le reste de la population. De plus, le réseau familial n'existe pas. Or, c'est lui qui favorise le maintien à domicile pour les personnes âgées françaises. Autres difficultés : les migrants ont beaucoup de mal à obtenir l'allocation compensatrice pour tierce personne, c'est très compliqué. Sans oublier les difficultés culturelles qui interviennent, lorsqu'on fait appel à des intervenants extérieurs. Il est délicat, par exemple, de demander à une aide-soignante de faire la toilette de ces hommes. Ils refusent, c'est évident. » Comment faire en sorte que les services d'aide à la vie quotidienne, le portage des repas à domicile, l'aide-ménagère fassent leur entrée dans les foyers ? Pour l'instant, les services sociaux semblent peu sensibilisés. Le fait que les migrants vivent rarement en chambre individuelle constitue un blocage administratif. La conception des foyers n'est pas toujours compatible avec le passage régulier de services d'aide à domicile : certains, par exemple, n'ont pas d'ascenseurs. Enfin, et la liste ne s'arrête pas là, ce glissement des foyers de travailleurs migrants en résidences sociales change en profondeur les responsabilités - et le métier tout simplement - des directeurs de foyers.

L'accès au droit commun

Malgré l'ampleur des difficultés, plusieurs solutions sont évoquées. « Nous devons mobiliser les prestataires de services sur ce type de maintien à domicile », estime Brigitte Dherbey. D'autres soulignent la nécessité de faire appel aux mairies, aux conseils généraux, aux associations spécialisées dans le maintien à domicile. Luc Mainguy, directeur des établissements sociaux de l'AFTAM (3), est quant à lui favorable à une solution « en interne »   : « Nous devrions réfléchir à notre capacité à mettre en œuvre nos propres services d'aide à domicile. Nous aurions ainsi une maîtrise de l'outil, et nous pourrions nous tourner vers du personnel issu de l'immigration. » Une solution déjà mise en place dans certains foyers : « Nous avons des agents de service spécialisés. Un agent prend en charge 24 résidents pour la vie quotidienne. La formation de ces personnels est insuffisante, mais c'est une bonne approche », font remarquer deux animatrices de l'AMLI (4).

L'accompagnement social passe également par l'intégration de ces résidents dans le droit commun : c'est un leitmotiv au sein des associations gestionnaires. A l'heure actuelle, en effet, l'administration ignore les personnes âgées immigrées. A charge pour les directeurs de foyers ou les travailleurs sociaux d'aller retirer les dossiers de retraite ou de demande d'aides... et de les remplir. Si certains responsables de foyers estiment qu'il faut se battre pour que le droit reste le même pour tous, d'autres préfèrent mobiliser les différents partenaires institutionnels, pour mettre en place des services sociaux propres aux personnes âgées étrangères. « Nous ne pouvons pas nous contenter de décréter que les immigrés doivent avoir accès au droit commun, souligne Luc Mainguy. La préfecture peut nous financer sur son enveloppe dédiée aux populations en situation de précarité, le conseil général sur son enveloppe RMI, le FAS peut également nous aider pour créer des services spécifiques. »

Enfin, comment remédier à l'isolement et l'inactivité ? « En commençant par de toutes petites choses, suggère Subhi Toma, de la Sonacotra. Nous devons avancer des solutions expérimentales, comme le jardinage. » Rachid Farahi, travailleur social à Bordeaux, évoque pour sa part « un projet de fabrication de jouets - par les résidents - pour les enfants des écoles, et une invitation lancée aux associations qui visitent les hôpitaux et les prisons à venir rendre visite aux migrants ».

Anne Ulpat

DES PROPOSITIONS CONCRÈTES

Selon les directeurs de foyers adhérant à l'UNAFO, des solutions peuvent d'ores et déjà être mises en place pour améliorer le sort des migrants. Celles-ci devraient figurer, au début de l'année prochaine, dans un document qui sera distribué aux associations. Parmi les priorités, le maintien à domicile et le respect du droit commun même si les modalités financières ou pratiques restent en suspens. D'autres pistes sont également évoquées :

 l'amélioration du bâti passe davantage par la rénovation de l'existant que par la destruction pure et simple. Les adaptations doivent porter sur l'aménagement de locaux infirmiers et de chambres individuelles, dotées de mobilier et d'un équipement sanitaire convenant aux personnes âgées dépendantes (fauteuils et barres d'appui, par exemple)  

 les personnels doivent être en permanence sensibilisés et formés aux problèmes spécifiques des travailleurs immigrés âgés. Il peut également être utile de redéfinir chaque poste à pourvoir : cela permettrait d'envisager de nouveaux emplois plutôt que de se limiter à remplacer les départs « poste pour poste »  

 un poste de correspondant sanitaire et social pourrait être créé au sein des foyers. Ce serait un médiateur faisant le lien entre les prestataires sanitaires et sociaux et les résidents 

 il est impératif de maintenir un lien social avec les résidents et entre eux. Il faut tenter d'associer, pour cela, les familles - lorsqu'elles existent - et les résidents les plus jeunes. En outre, en 1997, l'UNAFO devrait solliciter tous ses partenaires, et notamment les pouvoirs publics, en les informant des conditions de vie des résidents des foyers de travailleurs migrants.

Notes

(1)   « Le vieillissement des résidents dans les foyers de travailleurs migrants », les 27 et 28 novembre - UNAFO : 13, rue Brochant - 75017 Paris - Tél. 01 46 27 23 99 - Fax : 01 46 27 95 95.

(2)  Cette étude est toujours disponible à l'UNAFO - 80 F - Voir ASH n° 1974 du 10-05-96.

(3)  Accueil et formation : 122, rue Nollet - 75017 Paris - Tél. 01 42 26 63 13 - Fax : 01 42 63 45 87.

(4)  Association pour le mieux-être et le logement des isolés : 1, rue Chambière - 57000 Metz - Tél. 03 87 32 60 77 - Fax : 03 87 32 89 69.

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