Le Conseil économique et social (CES) a adopté, le 11 décembre, le projet d'avis sur l'avant-projet de loi de cohésion sociale (1) - déjà évoqué dans les ASH (2) - présenté par sa section des affaires sociales. Un avis que Geneviève de Gaulle-Anthonioz, son rapporteur, préfère qualifier d' « exigeant » plutôt que de sévère, comme le suggèrent certains. Le CES déplore, entre autres, le manque de moyens financiers prévus pour la future loi de cohésion sociale. Et, s'il ne condamne pas le principe de l'activation des dépenses passives, il s'inquiète des risques d' « aggravation des inégalités » qui pourraient découler, notamment, de la réforme de l'allocation de solidarité spécifique (ASS).
« L'avant-projet de loi aura donné lieu à une concertation sans précédent », s'est félicité, pour sa part, Jacques Barrot devant les membres du CES, rappelant qu'il avait saisi, sur cette question, le Conseil national de lutte contre l'exclusion, le Comité national de l'insertion par l'activité économique, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme et le Conseil supérieur du travail social (3). Et qu'une concertation locale a été organisée par les préfets. Par la suite, le texte sera présenté au Conseil d'Etat début janvier, soumis au conseil des ministres courant février et débattu au parlement dès le printemps. « La loi entrera en vigueur immédiatement », a précisé le ministre des Affaires sociales. Lequel a jugé « encourageant » l'accueil réservé à l'avant-projet, celui-ci n'ayant fait l'objet « d'aucune contestation fondamentale ». Toutefois, répondant à certaines critiques formulées par le CES, il s'est engagé à améliorer le dispositif sur plusieurs points. « Nous compléterons le contrat d'initiative locale (CIL) d'un volet formation et d'un tutorat dans tous les cas où ce sera nécessaire », a-t-il indiqué, précisant avoir obtenu l'accord du Fonds social européen pour participer au programme CIL et au développement des itinéraires personnalisés d'insertion professionnelle (IPIP). « Nous allons au-delà des 10 000 visés initialement en 1997 », a annoncé Jacques Barrot. Selon ses services, le nombre d'IPIP pourrait ainsi atteindre la barre des 20 000. Le ministre s'est, en outre, déclaré prêt à aller plus loin concernant le développement de la médecine préventive, notamment de la médecine scolaire.
D'autres aspects de l'avant-projet de loi de cohésion sociale pourraient également être revus. Par exemple, l'article énumérant les droits fondamentaux, auxquels l'accès est garanti, devrait être réécrit, ainsi que le demande le CES, afin d'évoquer des « droits à » et non des « droits de ». De même, on reconnaît volontiers, au ministère des Affaires sociales, que l'article concernant le droit de vote des personnes sans domicile fixe est, en l'état actuel de l'avant-projet de loi, irréaliste et inopérant. Sous réserve des arbitrages du ministère de l'Intérieur, il pourrait être lui aussi réécrit afin que, sur la base d'une domiciliation associative, les intéressés puissent s'inscrire dans la commune de leur choix. En revanche, Jacques Barrot a écarté la proposition du CES qui prévoyait d'affecter à la lutte contre l'exclusion le 1 % EDF-GDF. « Un changement d'affectation se heurterait à des obstacles juridiques, voire constitutionnels », a-t-il expliqué. Et, revenant sur le sujet brûlant de l'activation des minima sociaux, il s'est défendu de vouloir « déshabiller Pierre pour habiller Paul ». « Ce sont bien les mêmes personnes qui recevront en salaire ce qu'elles recevaient en assistance », a-t-il déclaré -ainsi qu'il l'avait déjà fait dans l'entretien accordé aux ASH (4) -considérant que la réforme de l'ASS « a sa justification sur un plan d'équité » car elle rapproche le plafond de ressources donnant droit à l'ASS de celui du RMI. Enfin, conformément au programme d'action qui accompagne l'avant-projet de loi, il a déclaré qu'il « procéderait bientôt aux nominations des représentants des associations de solidarité dans les conseils de surveillance des caisses de sécurité sociale » et qu'une mission sur la représentation des associations dans les organismes de protection sociale a été confiée à un inspecteur général des affaires sociales, Georges Dorion.
« Il faut rechercher avec le ministre de l'Education nationale, comme nous y invite votre avis, comment aller plus loin dans l'aide à la scolarité, la restauration scolaire, le soutien des enfants en difficulté, le travail avec les parents ou le renforcement de la santé scolaire », a également indiqué devant le CES, Xavier Emmanuelli, répondant aux critiques relatives au manque d'implication de l'Education nationale dans l'avant-projet de loi. De même, en matière culturelle, il précise que les plans départementaux d'insertion et de lutte contre l'exclusion « devront aborder de manière concrète les difficultés d'accès à la culture des plus défavorisés ». Evoquant, en outre, l'accès aux soins et, particulièrement, le problème de la tuberculose, il a souhaité que la loi de cohésion sociale marque « le début d'une nouvelle réflexion d'ensemble sur notre dispositif de santé publique et sur la répartition des compétences issues des lois de décentralisation ».
Par ailleurs, 24 heures avant que le CES ne rende son avis, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, réunie en séance plénière, avait « regretté l'insuffisance de souffle et d'ambition » de l'avant-projet de loi. Reconnaissant que le texte présenté par le gouvernement comporte « certains aspects positifs », elle le juge cependant « sensiblement en retrait par rapport à ce qui avait été annoncé », car n'exprimant pas « avec assez de force l'élan de solidarité qui en avait inspiré l'initiative ». La commission demande, notamment, que « des engagements budgétaires soient pris pour les cinq prochaines années », que des garanties soient prévues dans la loi « de façon à ce que ne soient opérés des transferts qui auraient pour effet de remettre en question la garantie de ressources des bénéficiaires actuels de minima sociaux » et que les dépenses contribuant à la lutte contre l'exclusion « soient regroupées et apparaissent clairement dans les budgets de l'Etat et des collectivités ». Quant au Conseil national de lutte contre l'exclusion, s'abritant derrière un impératif de discrétion, il refusait de faire connaître sa position avant le 12 décembre, date à laquelle il devait se prononcer officiellement.
C'est également le 12 décembre que la commission interassociative Lutte contre la pauvreté et l'exclusion de l'Uniopss (5) devait présenter ses Observations et propositions d'amendements. Recoupant en partie les propositions du CES, ce document s'articule autour de trois objectifs principaux :développer le partenariat entre tous les acteurs, aider les personnes à construire leur propre parcours et garantir l'accès de tous au droit en matière d'emploi, de santé, de logement et de culture. Enfin, quelques jours avant la réunion du CES, le Collectif contre la précarisation et les exclusions (6) (dont plusieurs membres appartiennent également à la commission inter-associative), avait publié son analyse détaillée de l'avant-projet de loi. Dénonçant certaines insuffisances et lacunes du texte, il s'interrogeait, une nouvelle fois, sur le financement des mesures prévues par la loi.
(1) 33 amendements ont été discutés. Le projet d'avis a été adopté par 172 voix pour, 10 contre et 28 abstentions. Voir ASH n° 2000 du 6-12-96 et n° 1995 du 1-11-96.
(2) Voir ASH n° 1991 du 4-10-96.
(3) Voir ASH n° 1999 du 29-11-96.
(4) Voir ASH n° 1994 du 25-10-96.
(5) Contact : Uniopss - 133, rue Saint-Maur - 75011 Paris - Tél. 01 53 36 35 00.
(6) Contact : Médecins du Monde - 62, rue Marcadet - 75018 Paris - Tél. 01 44 92 15 15.