Stabilisée aujourd'hui autour de 30 %, la part des prestations de protection sociale dans le produit intérieur brut a connu depuis 1981 une forte croissance (3, 1 % par an). La hausse des dépenses, dont les trois quarts sont consacrées à la santé et à la vieillesse, s'explique principalement par « le vieillissement de la population, la montée du chômage, les besoins croissants d'assistance et la hausse de la consommation de soins et de biens médicaux », indique une étude du service des statistiques des études et des systèmes d'information (SESI) du ministère du Travail et des Affaires sociales (1) . Or, dans un contexte de chômage massif, le système, financé aux trois quarts par les cotisations sociales, connaît une crise de recettes. Ainsi, depuis 1992, les ressources ne couvrent plus les dépenses. Avec la mise en place de la contribution sociale généralisée, et plus récemment de la contribution au remboursement de la dette sociale, on assiste à une recherche de financements publics assis sur une plus large palette de revenus. Mais si la part relative des cotisations salariales a diminué depuis 1990, après une période d'augmentation constante, les barèmes de cotisations ont été relevés et des cotisations nouvelles ont été instaurées sur les retraites et sur certaines allocations chômage avant d'être majorées lors du plan Juppé de réforme de la sécurité sociale (2). Autre constat, « les cotisations employeurs ont enregistré une progression deux fois plus faible que les cotisations salariées ». Quant aux mesures adoptées afin de compresser les dépenses, elles ont visé plus précisément certains types de prestation.
Quelles en sont les conséquences sur la qualité des prestations et sur l'étendue de la couverture sociale ? Les effets de la crise du financement des prestations sociales et les choix politiques qui les accompagnent concernent les 16 millions de ménages qui perçoivent des revenus sociaux dont 7 millions touchent uniquement des revenus sociaux autres que les retraites (prestations liées à la famille, chômage, invalidité, RMI, aide sociale).
L'augmentation des dépenses liées au chômage et à la santé a contribué à la croissance générale des prestations, constate le SESI, qui note que les plans de redressement successifs de l'assurance maladie et les réformes de 1982, 1984 et 1992 sur les conditions d'indemnisation chômage ont réussi à freiner cette augmentation... au prix d'une moindre couverture des risques.
Après la réforme de 1982, qui a lié la durée de versement des prestations chômage aux antécédents professionnels des bénéficiaires, et celle de 1992 instaurant le principe de dégressivité de l'allocation, la tendance est clairement à la restriction des conditions d'indemnisation. Rien d'étonnant donc, à ce que la part des chômeurs indemnisés par rapport à l'ensemble des demandeurs d'emploi soit passée de 62, 6 % en 1993 à 54, 5 % en 1995. Parallèlement, le nombre de chômeurs bénéficiant du régime de solidarité - allocation de solidarité spécifique et allocation d'insertion - croît très rapidement : + 13, 8 % en 1994, + 4, 7 % en 1995. Alliée à l'allongement de la durée moyenne du chômage, la dégressivité touche également le montant des prestations. Ainsi, entre décembre 1990 et décembre 1995, la part des chômeurs percevant une indemnité inférieure à 3 000 F a progressé rapidement, passant de 28 % à 38 %. Pour les deux régimes (assurance et solidarité, allocation d'insertion exclue), cette part s'établit à 48, 02 %, le montant moyen étant de 3 869 F par mois.
Les dépenses de prestations versées au titre de la santé (maladie, accidents du travail, invalidité) ont augmenté globalement de 3 % par an depuis 1981. Mais, dans le même temps, la part des dépenses de santé couvertes par l'assurance maladie a régressé, passant de 84, 4 % en 1980 à 81, 5 % en 1995, essentiellement en raison de la baisse des remboursements. Les mutuelles ne compensant que partiellement les effets de ce retrait, les malades, indique le SESI, s'en remettent donc de plus en plus aux assurances privées, aux institutions de prévoyance et à eux-mêmes pour financer leur santé, payant maintenant 18, 5 % de leurs dépenses de santé avec ces ressources privées (contre 15, 6 % en 1980).
Si la part des dépenses de protection sociale liées à la vieillesse est restée stable depuis 1981, leur poids dans le produit intérieur brut a régulièrement augmenté (de 10, 5 % en 1981 à 12, 5 % en 1995). La hausse des prestations familiales, plutôt modérée entre 1983 et 1990, a connu depuis lors une forte progression (+ 6, 8 % pour 1993).
De 1988 à 1993, la hausse du montant moyen des retraites a atteint 20, 8 % en francs courants, sans toutefois dépasser 5 950 F par mois à cette dernière date. Deux faits expliquent cette tendance :d'une part, les pensions sont régulièrement revalorisées, d'autre part, on assiste à un changement dans la composition de la population retraitée au profit des entrants disposant de droits plus élevés. Se dessine donc ici un premier écart de ressources entre les générations, celle de 1906 disposant de 5 360 F par mois, celle de 1926, récemment retraitée, de 6 250 F par mois. Les disparités sont encore fortes entre salariés et non-salariés mais surtout, relève l'enquête, « les hommes, avec 7 950 F mensuels, disposent d'une retraite moyenne presque deux fois supérieure à celle des femmes (4 350 F par mois) ».
La diversification des aides à la famille
L'extension de l'allocation parentale d'éducation au deuxième enfant (3) a entraîné une nette augmentation du nombre de ses bénéficiaires. On assiste également à une forte croissance de l'effectif des titulaires de l'allocation de parent isolé ainsi que des familles allocataires des aides à la garde des jeunes enfants (aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée et allocation de garde d'enfant à domicile). Autre « fait marquant », l'entrée massive des étudiants dans le dispositif des aides au logement qui a entraîné une hausse globale du nombre de bénéficiaires.
Mais si, en matière de prestations familiales, la tendance est à la création ou à l'extension de prestations (allocation d'adoption instituée le 1er janvier 1995 (4), majoration de l'allocation de rentrée scolaire), l'étude rappelle que « la hausse de la base mensuelle des allocations familiales n'a pas permis de maintenir le pouvoir d'achat des prestations familiales en 1995, à la différence des trois années précédentes ».
946 000 allocataires du RMI ont été recensés fin 1995, soit, avec les conjoints et les enfants à charge, 1 800 000 personnes concernées par le dispositif. De 1989 à 1994, le nombre de bénéficiaires a doublé avec une croissance moyenne annuelle de 17, 4 %. Une progression qui s'est toutefois ralentie en 1995 (+ 4, 2 %), où l'on compte tout de même 37 700 allocataires supplémentaires. Les contrats de retour à l'emploi et surtout leurs successeurs, les contrats initiative-emploi, mis en place en août 1995 (5), expliqueraient à eux seuls 9 000 à 10 000 sorties du système. Quant au montant moyen mensuel du RMI en métropole, il était de 1 889 F en décembre 1995, en diminution de 0, 3 % en termes réels par rapport à 1994. Une moyenne qui cache cependant d'importants écarts entre les montants perçus. En effet, plus de la moitié des allocataires (52 %) ont touché entre 2 000 F et 2 500 F et 33 % moins de 2 000 F par mois en 1995. Ils sont seulement 15 % à avoir perçu plus de 2 500 F par mois.
Reprenant les études du Panel européen réalisé en 1993, le SESI a tenté d'évaluer le poids de chaque type de revenu de transfert mais aussi leur place dans le revenu des ménages. Près de 28, 9 % du revenu annuel moyen des ménages avant impôts, soit environ50 000 F, proviennent des revenus sociaux, dont les trois quarts des retraites. Les autres revenus sociaux représentaient, en moyenne, 7, 9 % du revenu total avant impôts, soit 13 400 F en 1993.
Les ménages, cadres et professions intermédiaires dans plus d'un cas sur trois, pour lesquels les revenus sociaux représentent moins de 10 % du revenu, perçoivent essentiellement des prestations liées à la famille. Mais « à mesure que le poids des revenus sociaux augmente [...], la structure des revenus sociaux perçus se modifie, les caractéristiques des ménages changent, leur position dans la distribution des niveaux de vie également », souligne le SESI. Ainsi, parmi les ménages dont le revenu est composé à plus de 50 % de revenus sociaux, figurent principalement les ménages d'employés et d'ouvriers et les ménages d'inactifs non retraités (notamment des personnes seules et des familles monoparentales). Et quand la part de ces revenus de transfert dépasse les 75 %, les prestations sont d'abord liées au chômage (pour 37, 5 %), à l'invalidité (pour 20 %) puis à l'aide sociale et au RMI (pour 8, 7 %). D'ailleurs, la majorité des ménages bénéficiaires de ces deux dernières aides ont un revenu formé à plus de 75 % par des revenus sociaux.
Le type de prestation bien sûr mais aussi le niveau de vie, la composition familiale ou encore le nombre d'enfants déterminent l'importance des revenus sociaux dans le budget du ménage.
Certaines prestations, par leur nature même de revenu de substitution, deviennent rapidement la plus grosse source de revenus pour leurs bénéficiaires. C' est le cas des retraites qui constituent 68 % du revenu des ménages, et des prestations chômage qui représentent en moyenne la moitié du revenu des bénéficiaires sachant que plus du tiers des chômeurs doivent compter sur ces allocations pour 75 % de leur revenu.
Les autres prestations qui ont une vocation d'aide ou de revenu complémentaire prennent néanmoins, dans certains cas, l'allure de revenus principaux. L'âge ou l'isolement social, entre autres, favorise ce genre de situation. Par exemple, les prestations liées à la famille, qui intègrent les bourses d'études versées aux enfants, entrent pour 9, 8 % dans le revenu des ménages bénéficiaires mais deviennent « la source la plus importante de revenus pour les isolés avec un enfant de moins de 3 ans » et représentent le quart des revenus pour les familles nombreuses (plus de quatre enfants). Même tendance pour les aides au logement qui constituent un apport important pour les personnes seules inactives (14, 3 %) et les familles monoparentales (11, 8 %). Pour ces dernières, le poids des revenus sociaux atteint 38 % du total de leur revenu.
La part du RMI a, du fait du caractère différentiel de l'allocation, un poids extrêmement variable dans le total des ressources et c'est ici la composition familiale qui joue. Car, le RMI, c'est 25 % des ressources d'une femme seule ayant trois enfants et plus mais 77 % des revenus d'un homme isolé (38, 6 % des allocataires) ce dernier possédant en moyenne 2 411 F pour vivre dont 1 859 F proviennent du RMI, 349 F de l'allocation logement et 2 F d'autres prestations. •
(1) Revue Synthèses n° 6 - Novembre 1996, édité par l'INSEE : 18, boulevard Adolphe-Pinard - 75675 Paris cedex 14 - Tél. 01 41 17 50 50 - 91 F.
(2) Voir ASH n° 1950 du 24-11-95.
(3) Voir ASH n° 1986 du 30-08-96.
(4) Voir ASH n° 1892 du 15-09-94.
(5) Voir ASH n° 1925 du 5-05-95.