C'est le 22 novembre que Jacques Toubon, garde des Sceaux, et Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale, ont rendu public le rapport du professeur Marc Gentilini, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, consacré au sida, aux hépatites et aux toxicomanies en prison (1). Au départ centrée sur la prise en charge du VIH et de la toxicomanie en milieu pénitentiaire, en vue d'une meilleure application de la loi du 18 janvier 1994 - qui a confié la prise en charge sanitaire des détenus au service public hospitalier (2) -, la mission du professeur Gentilini a été élargie, à sa demande, à l'ensemble des problèmes sanitaires en prison. Le résultat souffre quelque peu de cette vaste ambition. De constats largement connus, en multiples recommandations générales et souvent imprécises, les deux tomes de ce rapport « catalogue », rédigé en collaboration avec le docteur Jean Tchériatchoukine, inspecteur général des affaires sociales, se veulent « une sorte de première mise au point de l'application dans les faits de la loi du 18 janvier 1994 ». Ou plutôt de sa non-application dans certains domaines, même si Marc Gentilini salue « la révolution culturelle et sanitaire » qu'elle a induite et souligne « le changement radical constaté dans tous les établissements ».
Le rapporteur a tout d'abord effectué, selon les termes d'Hervé Gaymard, « un ratissage systématique » des problèmes sanitaires rencontrés par le détenu durant sa détention. De la visite sanitaire initiale (à effectuer dans un délai de 24 heures avec une présence médicale indispensable), en passant par le dépistage de l'infection à VIH (la proposition de test, si elle est plus fréquente depuis la mise en œuvre de la loi, reste cependant, dans l'ensemble, insuffisante), le secret médical (une réflexion devrait être conduite sur la révision du cadre déontologique), les vaccinations (trop rarement contrôlées), les soins dentaires (le dispositif mis en place depuis 1994 reste insuffisant)... Avec une mention particulière pour l'hépatite C, « pathologie beaucoup plus fréquente en milieu carcéral que le sida », et qui va constituer pour les auteurs, le « problème de santé prioritaire dans les mois qui viennent ». D'où la suggestion d'un dépistage systématiquement proposé à chaque entrant, proposition renouvelée si le détenu ne l'accepte pas lors d'une première consultation.
S'il se prononce pour un accès plus large aux préservatifs (services médicaux, salles d'attente, services socio-éducatifs), le rapporteur ne souhaite toutefois pas, à l'instar de la plupart des équipes médicales rencontrées dans les maisons d'arrêt, qu'ils figurent dans la trousse d'hygiène remise à l'entrée en détention « en raison des traumatismes éventuels sur le psychisme des primo-arrivants ».
Objet de larges développements : les soins aux toxicomanes. Le professeur Gentilini recommande le développement des traitements de substitution (méthadone et subutex) et se prononce en faveur de l'injonction thérapeutique. « Nombre de toxicomanes incarcérés sont des “recalés” de l'injonction thérapeutique », constate-t-il, s'interrogeant sur les mesures susceptibles de compléter cette alternative à l'incarcération, comme les peines de travail d'intérêt général et les suivis pluri-hebdomadaires par les éducateurs spécialisés.
S'agissant de la préparation à la sortie, « dont les projets sont trop ponctuels », et « souvent cloisonnés entre le médical et le social », les auteurs du rapport insistent pour qu'un « important recrutement » de travailleurs sociaux soit engagé dans les comités d'insertion et de probation situés dans les maisons d'arrêt. Mais surtout, « il y aurait lieu de mettre spécifiquement à la disposition de la population libérée des éducateurs spécialisés “référents“ qui prendraient en charge l'accompagnement des détenus toxicomanes dès leur libération » (démarches sociales, socioprofessionnelles ou éducatives, accès aux soins). Et pour que la prison soit plus « ouverte » sur la société, les rapporteurs évoquent entre autres la mise en œuvre d'un service national civil et civique dans les prisons après une formation préliminaire.
(1) Infections à VIH, hépatites, toxicomanies dans les établissements pénitentiaires et état d'avancement de l'application de la loi du 18 janvier 1994, non disponible.
(2) Voir ASH n° 1906 du 22-12-94.