Depuis toujours, la prison prétend ignorer le sexe. Comme si, en franchissant les portes d'une cellule, le détenu - homme ou femme - abandonnait toutes pulsions, tous désirs ou besoins sexuels et affectifs. En interrogeant plus de 500 personnes (ex-détenus, gardiens, médecins, éducateurs, visiteurs de prison... ), les auteurs de cet ouvrage ont réussi, non sans difficulté, à lever cet interdit extraordinairement pesant, mettant ainsi à jour une réalité étouffante, complexe et, à bien des égards, sordide. Fouille à nu, promiscuité, perte de l'intimité, recherche de substituts sexuels, agressions verbales et physiques, abus, viols, rapports de force... C'est tout un quotidien fait d'humiliations et de souffrances qu'ils décrivent au fil de cet ouvrage réalisé avec le soutien de l'Observatoire international des prisons.
Reste qu'au-delà de cet implacable constat, les chercheurs montrent surtout comment, à travers la question du sexe, la vie sociale de la prison se structure autour de féroces enjeux de pouvoir et de mécanismes identitaires sans nuance. Hiérarchisation des détenus et phénomène de « caïdat » : « [...]Il y a quelque part une règle du plus fort qui s'installe, dans laquelle personne ne peut grand-chose » (un ex-détenu). Sadisme envers les détenus les plus faibles et mépris affiché envers l'homosexualité (en prison, l'homosexuel est l'abusé, pas l'abuseur) : « Parce qu'automatiquement, dès que les gens savent que tu es homo, la première chose, c'est que dans les cours, on te branche, soit avec des gestes vulgaires [...], soit dans les couloirs. Les mecs, des fois à trois-quatre, ils t'attrapent et ils te touchent le cul et tout » (un ex-détenu). Impuissance, voire complicité des surveillants : « Qu'est-ce que vous voulez que l'on fasse ? On n'est jamais consultés. Chacun connaît des trucs comme ça ... euh... ou plus graves... On a juste le droit de fermer sa gueule. C'est ça la prison » (un surveillant). Silence autour de la sexualité féminine : « La sexualité, c'est vrai qu'on n'en parlait même pas entre nous, même entre les filles » (une ex-détenue).
La prison n'est cependant pas un espace coupé du monde, véhiculant ses propres représentations et pratiques sociales. Au contraire, soulignent les chercheurs, c'est « un lieu particulier d'actualisation de dispositions socialement acquises ». Autrement dit : ce n'est pas la prison qui fait d'un détenu le violeur de son compagnon de cellule. Elle ne fait que favoriser la manifestation de pulsions normalement refoulées. Autre conclusion :loin d'être rare, l'abus est une menace permanente, utilisée pour imposer une vision hiérarchisée et homophobe des relations entre hommes. D'où, d'ailleurs, la très grande difficulté de la prévention du sida et des MST en prison. « Tant que le fait de prendre un préservatif à l'infirmerie sera interprété comme un aveu implicite que l'on est “pédé”, et en ce sens, un des individus les plus méprisables de la hiérarchie carcérale, il est probable que la prévention restera un vœu pieux », concluent les auteurs. Une donnée incontournable à l'heure où le gouvernement annonce quelques mesures sur la prévention du sida en prison (voir ce numéro « Le social en textes » ).
(1) Sexualités et violences en prison - Daniel Welzer-Lang, Lilian Mathieu et Michaël Faure - Ed. Observatoire international des prisons et Aléas éditeur - 96 F.