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A Reims, le service de tutelle de l'UDAF propose des « familles gouvernantes » afin de permettre de maintenir à domicile, en milieu ordinaire, des adultes sous tutelle, multihandicapés, à partir de leurs propres ressources.

« On ne peut pas imaginer en les voyant aujourd'hui comment ils étaient quand on les a récupérés !  » Les gouvernantes elles-mêmes oublient l'état de délabrement physique et moral dans lequel étaient ces majeurs sous tutelle de 22 à 89 ans. Gisèle Guillard est la dernière gouvernante à avoir été embauchée. Le souvenir de la première rencontre est encore vif : « Un père de 81 ans et ses deux filles, analphabètes, ils avaient la gale, des morpions. Je me suis d'abord occupée d'eux dans leur ancien appartement, avant leur expulsion. J'y allais bien emmitouflée sinon je ne tenais pas, les vers couraient partout ! La salle de bains n'était plus accessible, il y avait des excréments partout. En guise de sous-vêtements, ils se servaient de serviettes hygiéniques, de papier WC ou de journaux ! », raconte-t-elle, soulagée d'en parler au passé.

Des détails insupportables parmi d'autres histoires encore plus sordides. Car le système des familles gouvernantes mis en place à Reims par l'Union départementale des associations familiales de la Marne (UDAF)   (1) est destiné à un public à l'extrémité de la marge. Des personnes reconnues « incapables majeurs » sous tutelle prestations sociales  (TPS), cumulant les handicaps, des pathologies physiques ou psychiatriques plus ou moins lourdes et désocia- lisantes, sans famille ou en rupture de liens familiaux, voire déracinées. Incasables dans des institutions spécialisées, trop jeunes pour des maisons de retraite (ou refusées en raison de leur dépendance alcoolique), ces personnes alternaient séjour en psychiatrie, rue, hôtel, hôpital...

Les sortir de situations inextricables !

« Nous en avions assez d'avoir un pourcentage important de gens qui se suicidaient. Nous ne pouvions plus l'accepter », raconte Sandrine Brenner, chef de secteur TPSA à l'UDAF de Reims, initiatrice du projet. Il fallait trouver une prise en charge globale qui redonnerait à la tutelle les moyens de remplir sa mission d'accompagnement social. Le dispositif des familles gouvernantes s'installe il y a trois ans. Le majeur protégé est colocataire d'un appartement et co-employeur d'une gouvernante (2). Celle-ci est embauchée lorsque cinq majeurs peuvent lui être confiés et installés dans deux appartements mitoyens ou voisins d'étage, à proximité de chez elle (3). Le délégué à la tutelle de l'UDAF gère l'administratif et contrôle la gouvernante.

Au cœur de la Croix-Rouge, un quartier périphérique défavorisé (classé zone franche) de la ville de Reims, trois femmes sous tutelle vivent ainsi au rez-de-chaussée d'un immeuble d'une dizaine d'étages. Un canapé, une table à manger en bois laqué verte, une télévision, des fleurs, des cadres aux murs, des chambres, une cuisine rangée, une grande entrée... leur nom à l'interphone. Tous les majeurs sous tutelle vivent dans ce quartier. Il n'y a eu ni rejet ni crainte des voisins. «  Quand un F3 s'est libéré au-dessus de chez moi, les voisins m'ont demandé si l'UDAF ne pouvait pas mettre des pensionnaires  comme cela, ils seraient tranquilles », illustre Claudine Barré, gouvernante de cinq hommes.

Le dispositif repose sur les épaules de 11 gouvernantes et 4 gouvernants. La santé des 65 adultes sous TPS ne se dégrade plus. Mais si l'encadrement se relâche, c'est la rechute plus ou moins garantie. Ce constat peut déranger tant il entérine le fait que ces personnes sont et resteront dépendantes. «  Et pourquoi pas travailler sur cette dépendance ? Ces personnes l'étaient de leurs symptômes, elles le sont aujourd'hui des gouvernantes, mais cela ouvre un champ thérapeutique que nous n'avions pas », argumente le psychiatre Alain Perceau. «  Les patients dont j'ai eu la charge, avant qu'ils n'intègrent les familles gouvernantes, étaient engagés dans une impasse thérapeutique, une impasse sociale, une impasse de vie, raconte-t-il. Une patiente éthylique sombrait dans la déchéance, elle vivait un délire total. En un an, elle s'est reconstruite, a repris une vie sociale, renoué des contacts avec sa fille. J'étais le premier à émettre des doutes et j'ai été extrêmement surpris par le travail des gouvernantes », témoigne-t-il. Une autre dame, qui paraît dix ans de plus que son âge, n'est pas guérie, «  mais la prise en charge familiale a rétabli une certaine fiabilité dans la relation humaine qui a permis de créer un espace thérapeutique et un projet de vie avec elle », conclut le Dr Perceau. Elle sourit même, confie Sandrine Brenner...

Une devise : « chaleur et rigueur »

Les gouvernantes revitalisent au quotidien ces personnes. Elles les écoutent, les rassurent, les soignent, entretiennent leur cadre de vie. Elles les tiraillent aussi quand il faut les sevrer - les dépendances alcooliques étant fréquentes. « C'est comme s'ils vivaient leur première année dans la vie active, image Claudine Barré. Nous leur réapprenons à faire leur toilette, à sortir seuls. » De 7 h 30 jusque vers 21 h-22 h, les gouvernantes sont là aux moments essentiels : réveil, toilette, repas, courses, visite du médecin... Certaines font manger leurs cinq « protégés » ensemble, dans l'un des deux appartements, d'autres seulement le dimanche. L'organisation quotidienne varie suivant leur personnalité, celle des pensionnaires et leurs possibilités. Certains font la vaisselle, vont chercher le pain, viennent aux courses. Eliane Bertrand partage la lecture avec ses cinq pensionnaires - «  surtout les romans policiers, les Agatha Christie ! », confie l'une d'elles en montrant sa petite bibliothèque. « Notre mission au niveau de l'UDAF c'est aussi de trouver cinq personnes qui pourront cohabiter », précise Sandrine Brenner. Même si cela n'évite pas des incompatibilités.

« Au début j'avais l'impression qu'il fallait être gentille pour que ça se passe bien, j'avais faux sur toute la ligne. On a beau vous prévenir à l'avance, vous n'imaginez pas ce que cela implique ! », explique Jocelyne Lévêque. L'évocation de leurs débuts prête à des effusions de souvenirs et autant de plaisanteries sur elles-mêmes. « J'ai commencé par crier. C'est une bonne thérapie !, ose clamer Gisèle Guillard. Puis on devient plus souple. Maintenant on partage plein de choses. J'ai une fille de 4 ans et demi qui déjeune avec nous, elle discute et joue avec eux... Je danse avec eux, ce que je ne fais pas chez moi ! »  »

« L'intérêt de la gouvernante, au-delà du relais santé, c'est d'être un relais familial. Certains adultes passent même le week-end chez un parent avec qui ils ont renoué. Le remaillage amical, affectif permet de recréer une identité sociale non plus basée sur l'insertion par le travail mais sur l'image de soi », commente Olivier Marguery, chef de service aux tutelles à l'UDAF de la Marne, satisfait de pouvoir démontrer qu'il ne s'agit pas d'un discours mais que « ça marche ! ».

La proximité des appartements, bien que contrainte, a aidé au tissage de ces liens par des activités collectives. Une fois par semaine, les gouvernantes animent des après-midi thématiques : pâtisserie, jeux de société, pétanque, cinéma, cuisine, promenade et bientôt chorale. Viennent ceux qui veulent. « Si les gouvernantes ne suggèrent pas d'activités, ne les motivent pas en fonction de leurs capacités et de leurs envies, ils ne font rien. Le désir de faire des choses revient petit à petit », explique la déléguée à la tutelle. Leur énergie est qui plus est largement grignotée par leurs traitements.

« Le ghetto, c'est la rue ! »

Ce dispositif renvoie à nouveau à la question de la qualification dans le cadre des emplois de service. Et n'y a-t-il pas un risque d'enfermer les majeurs sous tutelle dans un ghetto en les faisant vivre dans un quartier défavorisé, encadrés par des personnes auparavant sans travail ? La répartie est vive : « Le ghetto, c'était la rue ! » «  Vous avez des gens qui n'avaient pas de boulot et d'autres qui n'avaient pas de lien social, vous réunissez les deux et il y en a un pour qui c'est une offre et l'autre une réponse », rétorque Olivier Marguery.

Quant au manque de qualification des gouvernantes, il est gommé au fur et à mesure par diverses formations. Celle de l'UDAF sur les aspects juridiques des tutelles, le travail social, la connaissance des partenaires. Une fois toutes les six semaines, juge, psychiatre ou médecin assure une demi-journée de formation sur des questions pratiques... L'aspect santé étant indissociable de la prise en charge de ces personnes, l'UDAF travaille en partenariat avec le Collège régional d'éducation à la santé (CRES) pour des formations « sur mesure ». Par exemple, comment faire des menus pour des anciens alcooliques carencés en vitamine depuis des années ? « Il y a quelque chose de fort à reprendre un repas ensemble pour ces gens avec un passé institutionnel. L'alimentation est en plus un support éducatif et de prévention qui permet d'aborder les consommations excessives d'alcool et de médicaments, dans une démarche non pas moralisante mais éducative liée à la santé », commente Fabien Tuleu, conseiller méthodologiste du CRES.

Ces personnes pourront-elles un jour sortir de la tutelle ? « En bâtissant le projet, on s'était dit que ce serait un palier vers une autonomie plus grande. On a permis une stabilisation, est-ce que l'on permettra une plus grande évolution ? J'ai envie d'y croire pour ceux qui sont de nouveau en capacité d'avoir une relation avec tiers en milieu ordinaire », répond Olivier Marguery .

Mais au-delà de ces interrogations, le dispositif répond à un vrai besoin face aux demandes des psychiatres ou assistantes sociales. 20 personnes, en effet, sont actuellement sur liste d'attente. Un tel afflux, malheureusement, ne fait que conforter l'UDAF dans sa conviction qu'elle a ouvert une case vide. «  Nous avons été séduits par cette expérience », appuie Mme Gongora, juge des tutelles au tribunal d'instance de Reims. « C'est une initiative que nous soutenons car elle répond véritablement à une nécessité. »

Les instances administratives, sociales et les autorités politiques sont encore réfractaires à cet enthousiasme ! L'atypisme de ce dispositif dérange : contrôlé par l'UDAF, dépendant et de la législation sur les emplois de proximité et du régime légal de la tutelle. Olivier Marguery ne compte plus les dizaines de portes fermées poliment devant lui et donc les refus de financement. « II faudrait un fonds de roulement de 30 000 F afin d'acheter le minimum quand les pensionnaires s'installent. »

Des financements aussi pour ouvrir ce système à des personnes ne bénéficiant pas de l'allocation compensatrice tierce personne. La division entre champ du handicap et de la maladie plonge l'UDAF dans des méandres inextricables pour trouver qui du département ou de l'Etat voudrait assumer une partie de la prise en charge de ces personnes. Olivier Marguery annonce alors, comme s'il venait de tenter sa chance à la loterie : « J'ai envoyé le dossier de notre dispositif pour participer au concours des innovations sociales ! »

Emmanuelle Stroesser

UNE ÉCONOMIE POUR LA COLLECTIVITÉ !

Olivier Marguery (UDAF) et Fabien Tuleu (CRES) ont dressé le rapport qualité-coût du système de prise en charge des TPSA par des familles gouvernantes. Il y a trois ans, le préfet de région avait également apporté sa pierre en calculant l'économie de coût social sur une année pour 20 personnes placées : 600 000 F. Pour 60 personnes intégrées dans le dispositif des familles gouvernantes, ils évaluent à « 80 000 F l'économie dégagée par adulte suivi, comparativement à une prise en charge institutionnelle qui ne traiterait qu'un aspect de ses problèmes ».

Notes

(1)  UDAF 51 : 3 bis, rue Marie-Stuart - 51100 Reims - Tél. 03 26 47 92 01.

(2)  L'adulte sous tutelle doit avoir un minimum de 6 000 F de ressources. Seuls peuvent donc bénéficier actuellement de cette prise en charge les adultes qui perçoivent, outre l'allocation adulte handicapé (3 400 F), une allocation tierce personne. Le coût total brut pour chaque employeur est de 5 000 F. La gouvernante est rémunérée 9 000 F net.

(3)  L'UDAF a signé une convention avec l'OPAC.

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