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A la recherche du lien

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Comment maintenir le lien entre l'enfant placé et ses parents ? Est-ce même toujours souhaitable ? Dans un contexte marqué par une actualité brûlante, magistrats et travailleurs sociaux ne peuvent que rappeler la formidable complexité du problème. Et élaborer des réponses au cas par cas.

Pourquoi Johnny, cet enfant de 5 ans martyrisé durant plusieurs mois par sa famille, à Epinal, dans les Vosges, a-t-il été rendu à ses parents par le juge des enfants, à l'automne 1995, alors qu'il avait été placé dans un foyer, à l'âge de 7 mois, avant d'être confié, pendant deux ans, à une famille d'accueil ? Un placement durant lequel sa mère venait d'ailleurs le voir régulièrement. Sous le coup de l'émotion, certains s'interrogent sur la décision du juge et la responsabilité des travailleurs sociaux. Avaient-ils véritablement mesuré le caractère maltraitant de cette famille ? Et pourquoi ne pas avoir maintenu le placement ? Des questions qui, au-delà du drame vécu par le petit garçon, posent, une nouvelle fois, le problème extraordinairement complexe du maintien des liens entre l'enfant placé et sa famille d'origine.

110 000 enfants placés

Actuellement, en France, 110 000 enfants sont confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE), dont 106 000, ni orphelins ni abandonnés, ont toujours leur famille. Des chiffres qui suffisent à démontrer, s'il en était besoin, l'importance de cette question. Pendant longtemps, il est vrai, on ne s'en était guère préoccupé. « Autrefois, croyant bien faire, on pensait qu'il fallait séparer radicalement, et le plus tôt possible, l'enfant en danger ou délinquant de ses parents  », rappelait Myriam David, psychiatre et fondatrice du Centre familial d'action thérapeutique de l'Association pour la santé mentale, lors du colloque organisé, le 7 novembre à Paris, par l'association Villages d'enfants SOS (1). Une conception devenue, depuis, obsolète à la lumière des recherches sur la nature de l'attachement parents-enfant. Un lien extrêmement puissant puisque la plupart des enfants placés, une fois devenus adultes, tentent de renouer le contact avec leurs parents.

Il reste que le maintien de cette relation ne va pas toujours sans difficulté pour les travailleurs sociaux. C'est ce qu'observe quotidiennement Martine Duboc, psychologue chargée de mission enfance/ famille au conseil général de Seine-Maritime. « Au sein des services des conseils généraux, il y a un grand malaise autour de cette question et qui s'explique, d'abord, par la surcharge du nombre d'enfants confiés. Quand on est éducateur et que l'on doit suivre 50 enfants et autant de parents, il est difficile d'assurer un travail de qualité. Il faut également constater que les professionnels ont très peur de la parole des parents, de ce qu'ils peuvent dire à leurs enfants et qui ne pourra pas être repris. De même, ils craignent le changement. Lorsqu'un enfant est en famille d'accueil et que ça se passe bien, ils n'ont pas très envie de bousculer l'ordre établi en réintroduisant le lien parents/enfant. Finalement, auparavant, les enfants placés ne voyaient plus leurs parents mais c'était peut-être plus facile que de travailler avec des pères et des mères qui ne viennent pas ou qui se présentent, parfois, imbibés d'alcool ou dans un très mauvais état de santé. Car, dans ces conditions, comment faire pour que les enfants ne se sentent pas écrasés et dévalorisés ? Et faut-il maintenir les liens à tout prix ? »

Il semble en effet risqué de plaquer un principe rigide - le maintien de la relation - sur des situations toujours particulières et complexes, les motifs invoqués pour les placements étant très variables : maltraitance, abus sexuel, négligence éducative, trouble physique ou psychique des parents, délinquance du jeune, perte du logement familial... En outre, si la majorité des placements relèvent d'une décision judiciaire, beaucoup sont encore prononcés dans le cadre d'un accueil temporaire, donc avec l'accord du père et de la mère. Enfin, une fois le placement mis en œuvre, tous les parents ne réagissent pas de la même façon. Certains « décompensent » brutalement, par exemple en tombant gravement malades. A l'inverse, d'autres semblent connaître une amélioration progressive de leur situation, à tel point que l'on peut envisager le retour de l'enfant. «  Ce ne sont cependant pas les cas les plus fréquents. Ni les meilleurs si le retour se fait sous la pression de la famille et n'est pas bien préparé », précise Myriam David. Enfin, le plus souvent, une sorte de statu quo s'installe avec le maintien de contacts plus ou moins réguliers. «  Mais quelle que soit cette évolution, l'enfant aura à l'assumer et il faut l'aider à ce que ce soit supportable. »

Une problématique insoluble

La question du maintien du lien est d'autant plus complexe que, selon la psychiatre, « dans les cas de placement, on observe presque toujours des troubles de l'attachement primaire entre les parents et l'enfant avec une véritable impossibilité de vivre ensemble sans pouvoir, pour autant, supporter la séparation. C'est-à-dire qu'il y a, à la fois, attachement et rejet de l'enfant par les parents ». Une ambivalence profondément ancrée qui ne facilite guère le travail des professionnels. « Eux-mêmes peuvent être englués dans cette problématique insoluble qui est parfois une source de conflits entre eux. » Dans ces conditions, comment travailler avec les parents lors du placement ? Comment éviter qu'ils perçoivent les éducateurs ou la famille d'accueil comme des concurrents et soient tentés de parasiter leur action ou de renoncer à leur rôle ? Faut-il les obliger à venir voir leur enfant ? Jusqu'où faut-il les associer aux décisions éducatives ? Un placement peut-il réussir sans leur accord minimum ? Bien souvent, les parents eux-mêmes sont la proie d'interrogations qu'ils ne parviennent pas à exprimer. Comment rester père ou mère lorsque son enfant est placé et que l'on a le sentiment d'avoir été jugé incapable de s'en occuper ? « C'est une question trop peu posée. Pourtant, le placement constitue une réelle souffrance pour les parents. Et s'ils ne sont pas aidés, je ne vois pas pourquoi ils viendraient voir leur enfant », estime Dominique-Jeanne Rosset, psychiatre au Placement familial spécialisé (PFS) de l'Œuvre Grancher, à Paris.

Un lien irremplaçable

D'où la nécessité absolue, pour les éducateurs et les familles d'accueil, de ne pas tenter de se substituer aux parents. «  Quelle que soit la qualité de la relation éducative, le lien parental n'est pas remplaçable. Même si, dans un premier temps, le placement produit des effets positifs, la séparation et les bons soins n'ont pas le pouvoir de régler les troubles de l'attachement. Ce sont des enfants qui restent difficiles car ils rejouent inévitablement, avec les adultes qui les entourent, les relations qu'ils ont eues avec leurs parents », martèle Myriam David. Ainsi, pour elle, si le premier objectif du placement consiste à mettre l'enfant à l'abri, il faut, dans un second temps, traiter la relation pathogène qui s'est nouée entre le jeune et ses parents. Dans cette perspective thérapeutique aujourd'hui assez communément admise, le maintien du lien est donc tout à fait nécessaire, même s'il faut parfois l'interrompre momentanément. En outre, un contact, même irrégulier, permet d'éviter l'émergence de phénomènes fantasmatiques autour des figures parentales et aide l'enfant, qui se sent toujours plus ou moins coupable du placement, à comprendre que sa colère et sa souffrance n'ont pas « tué » ses parents. Mais si les rencontres parents/enfant sont indispensables (elles ne sont cependant pas toujours possibles), elles suscitent en même temps beaucoup de trouble et de souffrance chez les uns et les autres. «  Si elles ne sont pas conçues en tant que moyen de traitement du lien et réfléchies, avant et après, ces rencontres peuvent d'ailleurs être plus destructrices qu'autre chose », prévient Myriam David.

Pendant longtemps, l'association Villages d'enfants SOS, qui fête cette année son 40e anniversaire, n'a accueilli que des orphelins, réunissant des fratries entières au sein de petites unités placées sous la responsabilité d'une « mère SOS » et regroupées dans des « villages SOS ». Depuis plusieurs années, cependant, elle reçoit une majorité d'enfants ayant conservé un lien avec leurs parents. Une évolution qui l'a obligée à s'adapter, même si son fonctionnement - parfois décrié - demeure assez particulier en raison de son organisation « familiale ». Ainsi, dans tous les villages, il existe désormais un lieu destiné spécifiquement aux rencontres parents/enfants. «  Les visites ne se déroulent jamais dans la maison où vivent les enfants avec la “mère SOS” - que les parents peuvent cependant visiter lors de l'admission - afin d'éviter d'établir une rivalité. Pour nous, il n'y a pas de “bonne” ou de “mauvaise” mère. Nous ne sommes pas là pour remplacer les parents mais simplement pour pallier un manque à un moment donné  », explique Daniel Chaduteau, directeur du village d'enfants SOS de Marly-les-Valenciennes. Ce qui n'empêche pas les relations d'être bien souvent laborieuses entre parents et éducateurs. «  Par exemple, comme dans la plupart des internats spécialisés, nous avons souvent du mal à obtenir des autorisations médicales pour les sorties scolaires ou des départs en colonie de vacances. Ça prend beaucoup de temps et les enfants se trouvent démarqués par rapport à leurs camarades. Il est également fréquent d'organiser une rencontre entre un enfant et sa mère et de constater que, malheureusement, celle-ci ne vient pas. »

UNE QUESTION DE DROIT

Le maintien du lien entre l'enfant placé et ses parents est aussi une question de droit. En effet, explique Rémy Delattre, directeur départemental PJJ des Hauts-de-Seine, «  la loi prévoit que lorsque l'enfant a été confié à un tiers, l'autorité parentale continue d'être exercée par les père et mère. Ce qui est trop souvent oublié dans les faits. L'autorité parentale comprend les droits de garde, de surveillance et d'éducation. Or, en cas de placement, c'est le droit de garde qui est transféré. Les textes précisent toutefois que le tiers à qui l'enfant est confié accomplit tous les actes usuels relatifs à la surveillance et à l'éducation de l'enfant. Le législateur a ainsi voulu faire comprendre que ces actes usuels ne doivent pas entrer en concurrence avec les actes profonds d'éducation qui restent à la charge des parents d'origine. Même quand les difficultés sont extrêmes pour pouvoir discuter avec eux ».

Des groupes de parole

Au demeurant, le maintien du lien familial ne passe pas uniquement par les père et mère. « Le code civil prévoit expressément le droit des grands-parents à rencontrer leurs petits-enfants. Quand on parle de maintien du lien avec la famille d'origine, on ne peut pas oublier leur rôle qui est essentiel. Ils sont parfois d'un grand secours », rappelle Dominique Ferrière, président du tribunal de grande instance de Bressuire. « Et quand il n'y a pas de parent, nous essayons de trouver un membre de la famille, un oncle ou une tante, qui puisse maintenir le lien et permettre à l'enfant de se repérer dans sa parentalité », précise Daniel Chaduteau. Ce qui n'est pas toujours simple, compte tenu de l'existence de nombreuses familles recomposées. Comme ces cinq frères et sœurs accueillis dans un village SOS et tous nés d'un père différent.

Finalement, jusqu'où peut-on aller et comment mobiliser des parents défaillants ? « Dans mon département, raconte Martine Duboc, nous avons mis en place des groupes de parole réunissant des parents d'enfants placés. Et ce qui est extraordinaire, c'est qu'ils arrivent à dire la difficulté de la séparation tout en reconnaissant qu'elle était nécessaire. Parallèlement, nous avons constitué des groupes de jeunes confiés à l'ASE. Et j'ai été frappée du respect qu'ils manifestent à l'égard de leurs parents. Ce travail collectif n'est pas facile à mener, mais c'est peut-être une nouvelle voie à explorer. »

Jérôme Vachon

Notes

(1)   « Enfant placé et relations avec la famille d'origine » - Villages d'enfants SOS : 6, cité Monthiers - 75009 Paris - Tél. 01 42 82 13 00.

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