Quelle est la place et le rôle des centres communaux d'action sociale (CCAS) dans la lutte contre l'exclusion ? Le 20e congrès de l'Association nationale des cadres communaux de l'action sociale (Anccas) (1) avait, entre autres objectifs, de répondre à cette question. Pour ce faire, ses responsables avaient confié à un économiste, Hervé Guéry, le soin de réaliser une enquête auprès des CCAS adhérents. Certes, le nombre trop modeste des réponses (70 environ), ainsi que leurs imprécisions, ne permettent pas de tirer des conclusions que l'on puisse extrapoler à l'ensemble des CCAS français (2). Mais l'enquête montre bien la variété des réponses apportées à la lutte contre l'exclusion, tout comme la diversité des méthodes de travail utilisées. De plus, elle permet de cerner la façon dont chaque centre communal perçoit sa mission. Et là non plus, il n'y a pas de réponse unique.
Ce manque d'uniformité se retrouve dans l'échantillon lui-même : des villes de tailles très diverses ont répondu aux questionnaires, comme Marseille, Nantes, Gardanne, Grenoble, Avignon, Mulhouse, etc. Près de la moitié d'entre elles ont moins de 25 000 habitants, et seulement une dizaine compte plus de 100 000 habitants. Leur taux de chômage varie entre 6 % et 30 % de la population active.
D'une manière générale, 27 % des centres communaux qui ont répondu au questionnaire déclarent s'impliquer de façon intensive dans des actions en matière de logement, de santé, d'insertion sociale et économique. 17 % affirment avoir multiplié les offres dans ces domaines. Quatre sur dix disent s'impliquer, sans autre indication. En revanche, 14 %estiment qu'ils s'investissent faiblement, que ce soit dans la santé, le logement, l'insertion économique ou l'insertion sociale. « L'enquête montre qu'il n'existe aucune corrélation entre la taille de la commune et la diversification des actions menées par le CCAS, précise Hervé Guéry. L'offre des petites communes peut être aussi diversifiée que celle de villes plus importantes. »
Dans le domaine du logement et de la santé, les CCAS avouent la modestie de leurs moyens et de leurs actions :21 % d'entre eux ne disposent d'aucune offre de logement, alors que 64 % déclarent disposer de moyens restreints. En revanche, 14 % estiment leur offre diversifiée, et 1 % seulement la qualifie de très diversifiée, avec cinq ou six modes de logement différents à proposer. Concernant la santé, si 60 % mènent des actions de prévention, les deux tiers des CCAS interrogés interviennent au stade du traitement de la maladie. Mais l'offre de soins reste limitée aux centres de soins ou aux centres d'hygiène municipaux et à l'accompagnement hospitalier. Même constat en demi-teintes dans le domaine de l'insertion économique : 29 %des CCAS ne mènent aucune action, un tiers propose une seule action, tandis que 7 % offrent plusieurs dispositifs (chantiers d'insertion, formation, plans locaux d'insertion par l'économique...).
C'est dans le domaine de l'insertion sociale - mais est-ce vraiment étonnant ? - que les CCAS se déclarent les plus actifs. 7 % ne proposent rien de particulier, mais 57 % s'impliquent fortement, dont 14 % à l'aide de plusieurs outils (suivi de bénéficiaires du RMI, rétablissement des droits, suivi de budgets familiaux...).
Le second volet de l'enquête va au-delà des statistiques et s'intéresse davantage à l'aspect qualitatif du travail des CCAS : que font-ils, constituent-ils un bon poste d'observation de l'exclusion, peuvent-ils jouer un rôle de coordination vis-à-vis des partenaires communaux ou extra-communaux ? Là encore, les réponses montrent une diversité de situations intéressantes, à commencer par les missions des centres communaux, extrêmement variées : gestion de services emploi, suivi des budgets familiaux, médiation de rue, chantiers de resocialisation, gestion de foyers-logements, banque alimentaire, lutte contre l'échec scolaire, SAMU social, suivi des bénéficiaires du RMI, lutte contre l'illettrisme, animation d'un réseau contre l'exclusion, actions contre l'alcoolisme...
Un champ d'action qui devrait faire des CCAS un poste d'observation intéressant. Certains précisent, en effet, que toutes les requêtes d'ordre social passant par eux, ils peuvent même effectuer des opérations de prévention, ou bien analyser l'état de la population en fonction des prestations obligatoires ou facultatives. D'autres encore ont mis en place des antennes de quartier qui ont une bonne connaissance de la réalité sociale. Mais d'autres sont moins optimistes : les uns évoquent le manque de fiabilité des outils utilisés pour avoir une connaissance juste de la situation sociale des administrés. Les autres mettent en avant le manque total de communication entre le CCAS et le département. Plusieurs se disent même « dépouillés de certains outils d'observation » par l'apparition de services créés au sein de la mairie, et chargés exclusivement de l'observation. Enfin, un autre CCAS souligne le refus de certains élus de mettre en place un observatoire digne de ce nom... par peur des résultats.
Quant à savoir si les CCAS peuvent jouer le rôle de coordinateurs entre tous les services sociaux, là aussi la situation est contrastée. Un centre communal participe à une conférence mensuelle sur la précarité qui réunit tous les partenaires locaux et départementaux concernés, un autre a mis en place un lieu de coordination. Mais d'autres font remarquer à quel point chaque service est jaloux de son indépendance : comme le résume Hervé Guéry, « chacun ses pauvres ». D'autres centres communaux insistent également sur l'absence totale d'échanges entre différentes institutions, même si les techniciens, eux, arrivent à travailler ensemble. Enfin, un CCAS fait remarquer que les élus ne sont pas toujours favorables à une gestion de l'exclusion entièrement « municipalisée », préférant s'en remettre aux associations caritatives.
« Les situations sont très différentes les unes des autres, conclut Hervé Guéry, car le CCAS est le reflet d'une commune, qui dépend elle-même d'une histoire, de choix politiques et techniciens, de l'implication des associations dans la vie locale, etc. Mais aujourd'hui, tous les CCAS sont nécessairement bousculés. Les besoins évoluent fondamentalement, tout comme les populations prises en charge. » En effet, l'arrivée de jeunes très diplômés, ou pas diplômés du tout, de familles monoparentales, de chômeurs de longue durée, ainsi que les changements législatifs dans le domaine social, tout cela oblige les CCAS à remettre en question les réponses traditionnelles de l'aide sociale.
D'ailleurs, deux tendances très nettes se dessinent, entre les CCAS qui souhaitent privilégier l'insertion par l'économique, et ceux qui insistent sur la vocation sociale des centres communaux. « Un CCAS propose même de développer des actions en direction des entreprises, quitte à abandonner une partie de ses missions traditionnelles au conseil général, souligne Hervé Guéry. En revanche, d'autres estiment que la compétence des CCAS réside dans l'aide sociale, dans le bien-être minimum apporté à la population. Ils insistent sur leur manque de savoir-faire en matière d'insertion économique. » Hervé Guéry souligne à quel point les CCAS peuvent se sentir en décalage par rapport aux discours actuellement dominants : « Les centres communaux sont rarement cités dans les dispositifs d'insertion par l'économique. Or, les élus ne conçoivent une insertion que par l'économique... Les CCAS ont donc du mal à trouver leur place. »
Fort heureusement, cela ne les empêche pas d'agir. Quelquefois dans des optiques effectivement assez opposées. Ainsi, le CCAS de Rennes joue la carte de l'insertion économique. Le personnel a été formé et des réunions collectives de bénéficiaires du RMI sont privilégiées par rapport aux entretiens individuels, car elles poussent davantage les participants à mettre en avant leurs atouts. Des tables rondes sont également organisées entre employeurs et demandeurs d'emploi. La mise en œuvre est lente et progressive, mais semble apporter satisfaction.
A Saint-Lô, en revanche, le CCAS met en avant l'expérience Pastel, qui garantit un logement décent, conforme aux habitudes culturelles de l'usager. Car la possession d'un logement constitue une condition sine qua non pour pouvoir parler d'insertion.
Anne Ulpat
ASH : Pouvez-vous rappeler les objectifs de l'Anccas ? G.-M. B. : L'Association nationale des cadres communaux de l'action sociale regroupe presque 400 adhérents. Ce sont des directeurs de CCAS, ou des cadres qui dépendent soit du CCAS, soit d'un service social en mairie. L'Anccas est une assemblée de professionnels, qui a pour but de rassembler les gens et surtout de les informer. C'est aussi une force de propositions auprès du ministère chargé de l'action sociale, d'autant qu'il existe une vraie effervescence autour des nouveaux textes de loi, et notamment du projet de loi sur la cohésion sociale. ASH : L'Anccas semble plutôt satisfaite de ce projet de loi (3) ? G.-M. B. : C'était un texte très attendu, qui aborde en profondeur de nombreux aspects de la vie sociale. Nous sommes d'accord, en particulier, avec l'idée de rendre actives certaines dépenses qui étaient passives jusque-là. Mais cela suppose un accompagnement de chaque personne, donc des moyens accrus en termes de recrutement. Mais jusqu'à présent, nous ne sommes pas convaincus que les moyens mis en œuvre soient suffisants. ASH : Rendre des dépenses actives, cela signifie revenir sur la mission des CCAS ? G.-M. B. : Nous ne souhaitons pas du tout abandonner l'aide aux plus démunis, mais nous disons simplement, allons plus loin. Pour l'instant, nous donnons de l'argent à des familles - par le biais des prestations obligatoires ou facultatives - sans savoir s'il a été utilisé à bon escient. C'est à sens unique : nous versons de l'argent, pour qu'une famille puisse payer ses dettes, par exemple, mais sans savoir si elle a effectivement pu payer ses dettes. Donc, elle peut revenir nous demander exactement la même chose un mois plus tard. Nous devrions pouvoir mener des entretiens avec ces personnes, avancer avec elles, mais nous n'en avons pas les moyens. ASH : Certains CCAS souhaitent passer de l'assistance à l'insertion économique. Mais en ont-ils les compétences ? G.-M. B. : Les CCAS qui souhaitent rester dans le domaine de l'assistance soulignent que nous ne pouvons pas être pertinents dans l'économie, puisque ce n'est pas notre métier. Et c'est vrai que le monde de l'entreprise est très éloigné de nos pratiques. Je pense que les CCAS doivent plutôt devenir un pôle de référence, car c'est l'échelon de proximité, le dernier recours, que la population repère parfaitement : les CCAS devraient centraliser toutes les demandes sociales et aller plus loin dans l'accompagnement des personnes, grâce au recrutement de travailleurs sociaux mieux formés que nous dans ce domaine. Propos recueillis par A. U. Gérard-Marc Braud est président de l'Anccas et directeur général de la solidarité et de l'aide sociale à Nantes.
(1) « La lutte contre l'exclusion » - Du 22 au 25 octobre derniers à Saint-Lô - Anccas - Secrétariat général : 5, bd Diderot - 75012 Paris - Tél. 01 44 67 18 26.
(2) « Exclusion et intervention des CCAS » - Un premier questionnaire envoyé aux cadres de l'action sociale afin de connaître les moyens et les actions menées en matière de logement, de santé, d'insertion sociale et d'insertion économique a recueilli 70 réponses. Une deuxième série d'interrogations, visant, cette fois-ci, à entrer davantage dans le détail de leurs activités et du partenariat éventuel mené avec les autres services sociaux de la ville ou du département a recueilli 50 réponses. En 1994, le ministère de l'Intérieur recensait 33 000 CCAS.
(3) Voir ASH n° 1992 du 11-10-96.