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Ma politique de la ville selon Eric Raoult

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Actualités sociales hebdomadaires  :Faut-il voir dans cette loi un énième plan pour la ville ? Eric Raoult  : J'aimerais d'abord préciser qu'il ne s'agit pas, pour nous, d'un plan mais d'un pacte. Parce qu'un plan c'est annoncé, un pacte, c'est contracté et signé. Ensuite, il faut tout de même rappeler que comparativement aux actions ou aux plans précédents, le pacte de relance pour la ville ne supprime rien des mesures déjà mises en œuvre. Les contrats de ville, les grands projets urbains, toutes les actions de la politique de la ville élaborées jusqu'au XIe plan sont maintenus. C'est un plus qui est apporté avec plusieurs nouvelles logiques. Premièrement, nous avions beaucoup fait pour la perfusion sociale (le RMI, les actions d'accompagnement urbain, les contrats de ville...), nous faisons désormais plus pour la revitalisation économique. Deuxièmement, nous avions lancé les mesures pour les quartiers et, de 150 quartiers sensibles (ou 200 DSQ) dans les années 80, nous étions parvenus à 1 200 quartiers dans le cadre des contrats de ville. Nous revenons aujourd'hui sur cette dilution pour mieux concentrer les moyens sur des logiques qui sont tout à la fois celles du pacte de relance et celles de la loi sur l'aménagement du territoire. C'est-à-dire des logiques d'abondement social dans les zones urbaines sensibles, des logiques de revitalisation économique sur les zones de redynamisation urbaine et des logiques de forte exonération fiscale dans les quartiers les plus difficiles avec les zones franches urbaines. ASH  : Ces mesures de discrimination positive ne contribuent-elles pas à margi naliser encore davantage ces quartiers, au détriment du principe d'égalité ? E. R.  : Si l'on peut dire, c'est vrai, qu'il y a une discrimination positive, ce n'est pas une discrimination qui stigmatise mais qui revalorise. En deux mots : on inverse un peu les flux qui étaient ceux de départ des populations pour aller, nous l'espérons, vers des flux d'intérêt économique. Ce que je sais c'est que, dans ces lieux où l'on a cumulé les handicaps, le mot égalité sociale est souvent resté plus un slogan qu'une réalité. Avec ce dispositif, on n'a pas la prétention de promouvoir l'égalité sociale mais de donner un coup de pouce aux jeunes et si possible un coup de main aux quartiers. Et s'il y a lieu de promouvoir l'égalité sociale, c'est plus une égalité de rattrapage. ASH : On avait déjà les contrats emploi consolidés (CEC). Le pacte de relance a créé les emplois de ville. L'avant-projet de loi de cohésion sociale prévoit quant à lui l'instauration de contrats d'initiative locale (CIL). Comment les gens sur le terrain peuvent-ils s'y retrouver ? E. R. : Pour obtenir un CEC, il faut être passé pendant deux ans par un contrat emploi-solidarité (CES). C'est une « consolidation » d'une situation qui, bien souvent, était basée sur la précarité et concerne tout territoire et tout public. La formulation des emplois de ville part du constat que nous avions besoin d'un dispositif qui fasse du rattrapage en s'adressant à des publics jeunes de 18 à 25 ans habitant un certain nombre de quartiers reconnus d'habitat social dégradé. Quant aux CIL, il s'agit en fait d'un dispositif anti-exclusion adulte de dynamisation des dépenses passives. Ce qui veut dire en quelque sorte qu'un CIL en plus, c'est un Rmiste en moins. Aussi ces trois formules, loin d'être concurrentes, sont complémentaires :le CEC, c'est une passerelle après une période d'exclusion  l'emploi de ville, c'est pour les jeunes la première ouverture vers l'activité ; le CIL, c'est la sortie de l'inactivité et de l'exclusion. ASH : En quoi ces dispositifs sont-ils réellement nouveaux ? E. R. : Ces dispositifs sont surtout un arsenal d'utilité sociale. Par exemple, le jeune qui obtient aujourd'hui un emploi de ville perçoit 1 400 F en plus par rapport à un CES. Ce qui veut dire que l'indice de satisfaction vers les emplois de ville et les CIL sera quand même largement basé sur le fait que la rémunération va être supérieure à celle des CES. ASH : Justement, cela ne va-t-il pas créer un effet d'aubaine ? E. R. : Si nous avons des CES en moins et des emplois de ville en plus, moi cela ne me dérange pas. Il y a déjà des dépenses très importantes d'accompagnement social qui peuvent être changées en dépenses d'utilité sociale. Nous ne faisons pas le pari de la montée de l'exclusion mais de sa stabilisation et ensuite de sa décrue. Oui, d'un côté, on a un stock financier que l'on veut mieux utiliser (on a déjà un financement pour 550 000 CES) et oui, d'un autre côté, ces emplois d'utilité sociale doivent désormais avoir une porte de sortie, plutôt réorientée vers l'économie marchande ou vers l'activité réelle que, par exemple, vers la fonction publique territoriale... ASH : Le pacte de relance prévoit l'ouverture d'espaces de santé de proximité dans 15 sites de contrats de ville. Quelle sera leur vocation ? E. R.  : L'idée simple qui nous guide est qu'il vaut mieux faire du préventif à 10-15 ans que du curatif à 18-25 ans. Comme il existe maintenant une médecine de l'exclusion, que Xavier Emmanuelli a particulièrement expérimentée en direction des SDF, je voudrais avec Hervé Gaymard et Jacques Barrot promouvoir une médecine plus particulièrement orientée vers les jeunes en difficulté, avec une double approche médicale, psychologique et même psychiatrique. Il y a là une spécialisation à mettre en œuvre. Car beaucoup de jeunes ont maintenant un certain nombre de pathologies - sida, toxicomanie, tuberculose, avitaminose, mais aussi des problèmes dentaires ou dermatologiques - qu'on voit apparaître ou réapparaître dans un certain nombre de quartiers. ASH : Pourquoi ne pas étendre ces espaces de santé à tous les quartiers ? E. R. : Avec notre partenaire, la Mutualité française, nous préférons concentrer nos efforts sur des sites où un problème de santé réel s'est posé ou continue de se poser. Et où nous pouvons nous entourer d'expériences déjà acquises, d'un réseau de médecine de ville existant, d'élus municipaux ouverts sur ce dossier, de partenaires associatifs qui nous permettraient d'apporter un environnement favorisé. Ensuite, si ça marche dans les 15 sites choisis, la formule pourrait éventuellement être étendue. ASH : A quoi vont servir les comités consultatifs de quartiers que vous voulez mettre en place dans les zones de redynamisation urbaine ? E. R.  : D'abord rappelons un fait important, la légitimité repose sur le maire. Il peut choisir des conseillers municipaux dans l'ensemble de ces quartiers. D'ailleurs, là où vous avez des élus qui continuent à vivre dans ces quartiers, la nécessité de créer des comités de quartier se pose peut-être de façon un peu moins accrue. La difficulté vient justement quand la légitimité n'est pas reconnue sur le lieu d'habitat. D'une part, parce que les élus municipaux ayant quitté les quartiers très difficiles, il n'y a plus d'interlocuteur reconnu et l'on voit se créer un système de caïdat ou de « forte volonté d'être entendu ». D'autre part, parce que le cumul dans ces quartiers d'une population étrangère qui ne peut pas voter avec un fort taux d'abstentionnistes fait souvent en sorte que les élus se sont un peu désintéressés de ce quartier. ASH : Certains maires sont hostiles à cette forme de représentation. Comment comptez-vous contourner cet obstacle ? E. R.  : Nous n'avons pas voulu rendre obligatoire la mise en place des comités consultatifs de quartiers. Pour le moment, ce que nous proposons ce sont des lieux où les présidents d'associations peuvent être entendus, émettre un certain nombre de vœux et faire remonter des informations. Nous n'avons pas fait le choix le plus radical, et peut-être dangereux, du vote à la base. Mais au-delà, il faut aussi qu'un effort soit fait pour que les jeunes issus de l'immigration militent, dans les partis de droite comme de gauche. Pour ma part, je suis assez optimiste quand je vois qu'entre 1983 et 1995, on a multiplié par 17 le nombre d'élus municipaux issus de l'immigration. ASH : Comment, concrètement, allez-vous mettre en place le pacte de relance ? E. R.  : Ce pacte devrait se traduire, dans les deux mois qui viennent, par une quinzaine de décrets d'application. Et, durant le début de l'année 1997, par la mise en route des zones franches urbaines, des mesures d'exonération fiscale, etc. Ce que nous voulons, c'est que le pacte de relance se mette rapidement en place pour montrer que quelque chose se passe. Mais il faudra être attentif à ce qu'il n'y ait pas de dévoiement, par exemple en créant un effet « boîtes aux lettres » pour les entreprises dans les zones franches. Ou encore au risque qu'il y ait de l'argent qui arrive dans les quartiers et que les gens n'en profitent pas. ASH : On entend beaucoup moins parler des « femmes relais ». Où en est-on ? E. R.  : Pour reprendre une formule célèbre, je pense que l'avenir des quartiers passe aussi par les femmes... Elles y sont souvent les mamans respectées et les mamies disponibles. Dans beaucoup de lieux, ces structures de femmes relais ont une existence souvent embryonnaire et qui n'est pas assez reconnue. J'ai donc confié à une ancienne maire adjointe de Dreux, Ginette Chanal, une mission de six mois sur ce dossier. L'idée étant que si l'expérience marche dans 70 lieux aujourd'hui, il faut que cela marche partout. ASH : Va-t-on vers une professionnalisation de ces médiatrices de quartier ? E. R.  : Ce que nous souhaitons c'est reconnaître non pas un statut, mais, disons, une certaine officialité, c'est ce qu'elles souhaitent d'ailleurs. On ne peut pas, en effet, créer un service spécialisé qui serait un sous-travail social. Nous allons donc observer d'abord ce qui fonctionne. Est-ce qu'elles doivent rester en CES, donc à mi-temps, ou faut-il une professionnelle qui soit une tête de réseau ?Est-ce qu'il faut fonder cette fonction sur une base ethnique ou non ? Enfin, même si elle n'a pas une professionnalisation reconnue, une femme relais doit pouvoir, néanmoins, avoir accès à une fonction de travailleur social. Il faut que ce dispositif soit un lieu de passage et non un lieu d'oubli. ASH  : Au-delà du XIe plan qui arrive à terme en 1998, comment voyez-vous la politique de la ville ? E. R.  : Après 1998, si je suis toujours là, il faudra réfléchir à la politique de la ville du XIIe plan. Est-ce qu'on continue les contrats de ville ? Que fait-on avec ces grands projets urbains dont certains ne seront pas sortis de terre ? Quel sera le bilan des zones franches urbaines à leur deuxième année d'application ? Et puis la politique de la ville dans les années qui viennent ne doit-elle pas montrer qu'elle est biodégradable ? C'est-à-dire parvenir à passer de 1 200 à 1 000 quartiers. Et non pas se satisfaire qu'il y en ait 200 ou 300 supplémentaires. Il y a aussi des phénomènes nouveaux qui apparaissent, auxquels on n'a pas toujours de réponse appropriée. On sait intervenir sur le bâti social mais quand on intervient sur des copropriétés dégradées, on n'est pas toujours au point. On sait intervenir sur les commerces mais les professions libérales, notamment les pharmacies, subsistent dans des conditions très difficiles. On sait intervenir sur des jeunes, mais on voit apparaître maintenant le problème préoccupant des personnes âgées dans les quartiers. Et puis, on sait que les Maghrébins s'intègrent maintenant même s'il y a encore des difficultés. Mais est-ce que les jeunes Africains qui sont dans des familles de sept-huit enfants ne posent pas un nouveau problème ? Est-ce que les naturalisations ne vont pas devoir être simplifiées ? Il y a de nouveaux chantiers qui vont s'ouvrir. D'autant que maintenant les problèmes de la ville apparaissent même dans des cités bourgeoises. La ville restera donc longtemps un dossier d'actualité. Propos recueillis par Nicolas Gros et Isabelle Sarazin

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