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Les enfants des rues en quête d'adultes

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A Paris, des enfants passent des journées entières dans la rue. Avec tous les risques que cela comporte. C'est le cas, notamment, dans le nord du XVIIIe arrondissement où l'équipe du Relais 18 tente, sans grands moyens, de trouver des solutions.

« Notre rencontre avec les enfants des rues tient un peu du hasard. En effet, comme nos locaux n'ont pas d'étage, nous retrouvions régulièrement des petits juchés sur le toit. Ça les amusait... A force, nous nous sommes dit qu'il y avait quelque chose à faire avec eux », raconte Bruno Chaminade, l'un des trois éducateurs de rue du Relais 18 (1), un service de prévention spécialisée de l'association Arc 75 (2), implanté au fin fond du XVIIIe arrondissement de Paris. Depuis, avec ses collègues, il tente tant bien que mal, en plus de son travail habituel auprès des adolescents et des jeunes adultes, de s'occuper de ces enfants parfois très jeunes - certains n'ont pas 7 ans - qui passent le plus clair de leur temps dehors.

« Errance » enfantine

« Ce ne sont pas des enfants abandonnés ni des errants. Loin de là. Ils ont une famille et vont à l'école. Mais ils peuvent rester des journées entières dans la rue. Ainsi, l'été, il n'est pas rare de les voir traîner jusqu'à 11 heures ou minuit », explique Catherine Vancoillie, éducatrice depuis neuf ans au Relais 18. Selon elle, pour le seul secteur qui va de la porte Montmartre à celle de Clignancourt, en bordure du boulevard périphérique, une soixantaine de garçons et de filles, âgés de 7 à 12-13 ans, se trouvent dans cette situation. Fluctuant et informel, ce groupe se compose, pour l'essentiel, d'enfants de familles originaires d'Afrique de l'Ouest arrivées depuis une dizaine d'années en France. Pour eux, ce quartier d'HBM (habitations à bon marché), construit dans les années 30 et truffé de cours et de passages intérieurs, constitue un véritable terrain d'aventure. Sans parler du pôle d'attraction que représente le marché aux puces, tout proche.

Il y a plus de cinq ans que ces enfants des rues ont fait leur apparition dans le secteur. Et, selon les éducateurs, d'autres quartiers de la capitale sont touchés. Un phénomène qui, pour Jean-Luc Decourtis, directeur adjoint d'Arc 75, participe d'un mouvement général d'élargissement des tranches d'âge de la prévention spécialisée. « Les équipes de rue s'occupent traditionnellement des adolescents et des jeunes adultes. Mais aujourd'hui, la fourchette va facilement de 7-8 ans à 23 ans et plus », observe-t-il.

Au Relais 18, on cerne encore assez mal les raisons de cette « errance » enfantine. Pour Catherine Vancoillie, la transposition en France de pratiques éducatives traditionnelles africaines constitue l'une des explications possibles. « Cette relative liberté laissée aux enfants fait penser à ce qui se passe dans certains villages africains où les plus jeunes passent la journée ensemble, les adultes assurant une surveillance collective. » Autre cause probable : l'exiguïté et le mauvais état des logements. « Avec des familles nombreuses et des appartements trop petits - ce qui est fréquent par ici - il n'est pas étonnant que les enfants préfèrent être à l'extérieur. Ils fuient le bruit et l'entassement », souligne l'éducatrice. En revanche, selon elle, les familles sont rarement connues comme maltraitantes, très peu étant suivies par un service social ou éducatif. Même si certaines présentent des troubles psychologiques, voire certaines carences éducatives. « Il est clair que la précarité économique et les problèmes sociaux et de santé créent un véritable désarroi psychologique chez certains parents. Ce qui a forcément des répercussions sur l'éducation des enfants. Et ceux-ci se sentent parfois mieux dans la rue plutôt qu'au sein de leur propre famille », analyse Jean-Luc Decourtis.

Dangers et tentations

Selon les éducateurs, les parents semblent assez peu conscients des risques encourus par leurs enfants. Insouciance, indifférence, mauvaise appréciation de la situation ? «  Difficile de savoir, explique Bruno Chaminade, d'autant qu'ils ne laissent pas leurs enfants totalement sans surveillance. En général un adulte - un membre de la famille élargie - est présent dans les parages. » Une précaution qui reste toutefois insuffisante, cette surveillance s'exerçant à distance. Aussi les enfants sont-ils la proie de multiples dangers et tentations. Pour Catherine Vancoillie, « si l'on exclut les accidents de la circulation, le problème le plus fréquent est l'utilisation des petits par des plus grands, voire par des adultes : acheter des cigarettes, porter un paquet, livrer un objet... avec tous les trafics que cela peut cacher. En général, les enfants ne savent pas ce qu'ils transportent. Ce n'est qu'à partir de 12-13 ans qu'ils commencent à comprendre. Ça devient alors encore plus problématique parce qu'ils se sentent valorisés et veulent entrer dans le système ». Il est vrai, précise l'éducatrice, que compte tenu de la situation économique de leur famille, la plupart sont prêts, pour quelques sous, à rendre des menus services dont ils mesurent mal les conséquences. «  Pour le moment, peu d'enfants sont effectivement entrés dans la délinquance. Mais, si l'on ne fait rien, à terme, beaucoup risquent d'y plonger », prévient Jean-Luc Decourtis.

Le danger existe également au plan éducatif, la fréquentation de la rue ne favorisant évidemment pas l'intégration des comportements et règles de la vie en société. « Lorsque ces enfants sont dans la rue, la référence à l'autorité parentale est très faible. Ils ont toute latitude pour faire ce qui leur plaît. Ça leur procure une grande jouissance mais, en même temps, ça leur fait très peur », explique le directeur adjoint d'Arc 75. Résultat : « Quand ils ont fréquenté la rue durant plusieurs années, ils n'ont plus aucun repère, ou plutôt ils n'ont pas les mêmes que les nôtres. Ce qui fait que lorsque nous discutons avec eux, il y a un décalage énorme », constatent les éducateurs.

Des enfants en attente

Ces enfants sont pourtant loin d'être vraiment perturbés. Les travailleurs sociaux sont d'ailleurs les premiers à reconnaître leur vitalité et, surtout, leur extraordinaire attente à l'égard des adultes. «  Ils répondent positivement dès qu'on les sollicite. Ils ont vraiment envie qu'on s'occupe d'eux. » Pourquoi, dans ces conditions, ne pas encourager leur inscription dans les structures de loisirs du quartier : centres aérés, clubs sportifs, associations... ? Une solution que l'équipe du Relais 18 ne rejette pas. Bien au contraire. « Au début, nous souhaitions même jouer uniquement un rôle de relais. Le problème, c'est que si ces enfants sont très demandeurs ils ont beaucoup de mal à s'adapter au fonctionnement des centres de loisirs. Il faut dire que le système municipal manque souvent de souplesse », répond Catherine Vancoillie. Autre obstacle : le coût de l'inscription. En effet, même bénéficiant de tarifs préférentiels, peu de familles sont en mesure de financer des activités pour tous leurs enfants. D'autant, souligne l'éducatrice, que « les loisirs sont loin d'être une priorité pour elles  ». Preuve de l'absence d'une réelle volonté d'intégration ? «  Je ne crois pas. Pour la plupart, ces familles veulent s'intégrer. Mais c'est un processus extrêmement lent et nous commençons seulement à en percevoir les premiers effets. »

Bon gré mal gré, l'équipe du Relais 18 a donc décidé de s'impliquer plus directement. Tout en s'interrogeant sur son rôle : est-ce bien à des éducateurs spécialisés de s'occuper de ces enfants ? « Effectivement, à cet âge, ils n'entrent pas dans le cadre de la prévention spécialisée. Mais nous trouvions anormal de ne rien faire », s'enflamme Catherine Vancoillie. Une situation qui ne va cependant pas sans poser problème aux responsables d'Arc 75. «  Le travail auprès des plus jeunes ne doit pas se faire au détriment de l'action en direction des adolescents », rappellent-ils. « C'est vrai que nous sommes dans une position ambiguë, reconnaît Bruno Chaminade . D'un côté, nous affirmons ne pas avoir à nous occuper de cette tranche d'âge. Mais, de l'autre, nous voyons bien la dangerosité de la situation. Et de ce point de vue, nous sommes bien dans notre rôle de prévention. Si nous ne faisons pas cet effort de conquête relationnelle maintenant, comment va-t-on récupérer ces enfants vers 15 ou 16 ans ? »

L'équipe éducative a donc mis en place un dispositif minimum centré autour d'activités simples. Quelques enfants fréquentent l'atelier de soutien scolaire animé, deux soirs par semaine, par des bénévoles. D'autres, plus nombreux, viennent le mercredi et le samedi, lorsque les éducateurs organisent des activités de loisirs et, parfois, des sorties. Avec, une ou deux fois par an, un week-end à l'extérieur de Paris. Pour l'équipe du Relais 18, l'objectif reste très concret. Par exemple, apprendre à se comporter normalement, dans un local, en présence d'un adulte. « Ça n'est pas grand-chose mais ils finissent, petit à petit, par intégrer certaines règles », affirme Bruno Chaminade, qui se réjouit de voir ce travail porter ses fruits. Toutes ces activités constituent, en outre, autant d'occasions pour tenter de nouer des relations avec des parents souvent indifférents, sinon réticents. « En général, ils ne sont pas demandeurs. Ils manifestent une méfiance instinctive à l'égard de tout ce qui est social et préfèrent se débrouiller par eux-mêmes. » Signe assez paradoxal de cette méfiance : ils supportent mal que leurs enfants dorment ailleurs qu'à la maison. Ce qui, pour les éducateurs, ne facilite guère l'organisation des week-ends. « Nous prenons tous les prétextes possibles pour aller les voir. A force, cela crée une certaine relation de confiance. » Un travail de fourmi grâce auquel certains enfants peuvent maintenant partir 15 jours d'affilée lors des séjours organisés, en été, par le Relais 18 et les Scouts de France.

Quel bilan les éducateurs tirent-ils de cette action ? « En termes de prévention, il est encore un peu tôt pour évaluer les résultats. On pourra les mesurer plus tard, quand ils auront 15 ou 16 ans. A ce moment-là, on peut espérer que notre relation avec eux sera bien ancrée. » La situation demeure néanmoins insatisfaisante. « Il y a de plus en plus de jeunes enfants dans les rues et nous ne disposons pas des moyens nécessaires. Nous pouvons juste maintenir un contact relationnel », déplorent-ils.

Un projet tombé à l'eau

Il y a quatre ans, pourtant, ils avaient monté un projet, en partenariat avec la CAF, la direction des affaires scolaires de la ville de Paris et les centres d'animation du quartier. Il s'agissait de créer, pour ces enfants des rues, une structure d'animation souple, gérée par des animateurs volants. Le projet avait malheureusement capoté au dernier moment. «  La mairie de Paris craignait la concurrence pour ses centres aérés. C'était sans fondement, car les enfants des rues y vont peu. En outre, pour nous, il s'agissait d'un dispositif relais n'ayant pas vocation à garder les enfants. » Un choix que revendique Jean-Luc Decourtis. «  Nous faisons tout afin d'éviter l'instauration d'un système à deux vitesses. Notre objectif reste l'intégration de ces jeunes dans les structures du quartier. Mais il faut être réaliste, l'exclusion par l'argent existe. Et les enfants n'ont pas à en pâtir. »

Pour l'heure, l'équipe du Relais 18 a remisé son projet et souhaite simplement pouvoir embaucher un éducateur ou un animateur à mi-temps afin de poursuivre le travail entamé. Autre idée :organiser une sorte de mini-colonie de vacances, proche de Paris, afin de favoriser l'apprentissage de la vie en collectivité. Reste à trouver l'argent nécessaire... « Jusqu'à maintenant, nous nous sommes contentés d'interpeller les partenaires et les élus locaux... sans résultat. La machine est tellement lourde qu'on s'épuise un peu », concluent les éducateurs.

Jérôme Vachon

Notes

(1)  Relais 18 : 17/19, rue René-Binet - 75018 Paris - Tél. 01 42 52 92 13.

(2)  Arc 75 : 57, rue Saint-Louis-en-l'Ile - 75004 Paris - Tél. 01 43 29 62 61.

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