Actualités sociales hebdomadaires :35 chercheurs réunis dans le collectif La Rochefoucauld-Liancourt (1) vous accusent de dénaturer le RMI en mettant en œuvre l'obligation alimentaire. Que leur répondez-vous ?
Jacques Barrot : Que le gouvernement n'entend rien modifier à la loi. La loi du 1er décembre 1988 portant création du RMI a prévu l'obligation alimentaire dans son article 23. Il s'agit d'une obligation entre conjoints et entre parents et enfants. Le principe de cette obligation avait été défendu par le gouvernement de l'époque. La commission d'évaluation du RMI a, elle-même, souligné que « le législateur a tenu à éviter tout risque de substitution de l'Etat à la solidarité familiale ». Enfin, je rappelle que l'article 203 du code civil, contrairement à une idée répandue, ne réserve pas l'obligation alimentaire aux enfants mineurs. Une jurisprudence constante veut au contraire que l'obligation alimentaire ne cesse pas de plein droit à la majorité. Voilà pour les faits. Cet arsenal juridique est bien suffisant pour lutter contre les abus au moment où l'on voit que le RMI est parfois attribué - en violation de la loi - à des étudiants. Et, je le répète, le gouvernement n'entend rien modifier ni à la lettre, ni à l'esprit de la loi.
ASH : Les associations de solidarité reprochent à l'avant-projet de loi de cohésion sociale de ne pas avoir les moyens de son ambition. Certains déplorent « qu'on prenne aux moins pauvres pour donner aux plus pauvres » (2) ...
J. B. : Je regrette ces propos. L'action en faveur des personnes défavorisées, dans le budget de l'Etat, c'est aujourd'hui quelque 126 milliards de francs dans le projet de loi de finances pour 1997, lorsqu'on additionne les budgets sociaux de tous les ministères. Cela va des fonds de solidarité logement aux allocations de RMI en passant par la protection judiciaire de la jeunesse, les aides à l'emploi centrées sur les publics défavorisés, la lutte contre la toxicomanie, le sida, l'alcoolisme... Et ce budget est en progression constante, de plus de 5,7 % en 1996 et de 8,3 % en 1997.
Ensuite, à lui seul, le secteur social et médico-social mobilise 77 milliards de subventions publiques, qui vont à près de 22 000 institutions et services qui offrent un total de 1,2 million de lits ou places. Voilà pour le cadre général. J'en viens maintenant à la loi de cohésion sociale. Elle comprend des mesures nouvelles inscrites au budget 1997...
ASH : Lesquelles ?
J. B. : Les travailleurs sociaux, les CHRS, les institutions sociales et médico-sociales vont bénéficier de moyens supplémentaires au budget 1997. On peut même dire que, dans le contexte budgétaire actuel, ils bénéficient d'un traitement de faveur.
Je ne veux pas vous abreuver de chiffres, mais, à titre d'exemple, il y aura 1 000 places supplémentaires de CHRS, l'accueil d'urgence des personnes sans abri se verra allouer près de 100 millions supplémentaires pour porter à 572 millions les crédits à la disposition des préfets pour l'aide alimentaire, les fonds d'aide aux jeunes, l'appui social individualisé, l'accompagnement social du plan Périssol, les secours d'urgence, l'accueil de jour... De même, le secteur de l'insertion par l'activité économique verra ses moyens reconduits à hauteur de 133 millions au titre de l'action sociale et 320 millions au titre de l'emploi, lui permettant l'accueil de 20 000 personnes dans plus de 500 structures. Mais il se verra aussi, sur les ressources propres de la loi exclusion, allouer quelque 30 millions supplémentaires l'an prochain.
ASH : L'avant-projet est également fondé sur l'activation des dépenses passives.
J. B. : Oui. L'activation des minima sociaux est plus qu'un principe de la loi, il en est la philosophie. Il s'agit d'offrir un salaire en contrepartie d'un emploi, en lieu et place d'un revenu de remplacement. Ces ressources nouvelles, déplacées de l'assistance vers l'insertion, ce sont, pour la seule année 1997, 342 millions d'activation des minima sociaux dans le budget de l'Etat.
Et en transformant le RMI en salaire, les autres partenaires de l'Etat, les départements et les organismes de protection sociale, déplacent aussi des ressources de l'assistance vers l'insertion. Et que l'on ne vienne pas dire que l'on déshabille Pierre pour habiller Paul ! Ce sont bien les mêmes personnes qui recevront en salaire ce qu'elles percevaient en assistance. Elles toucheront plus, d'ailleurs, car l'Etat d'une part, l'employeur d'autre part, apporteront une contribution supplémentaire.
ASH : Autre critique dont vous faites l'objet, la réforme de l'allocation de solidarité spécifique (ASS).
J. B. : Il s'agit de limiter les possibilités de cumul de l'allocation avec le revenu d'activité du conjoint et de supprimer l'assimilation du chômage à l'activité. Ces aménagements représenteront, en 1997, 470 millions qui seront intégralement déployés sur les actions d'insertion professionnelle et sociale de la loi de cohésion sociale.
ASH : Justement, là encore, on vous reproche de réaliser des économies sur le dos des chômeurs.
J. B. : Non, non ! Ce sont des aménagements justes, qui auraient été faits même si la loi de cohésion sociale n'avait pas existé. La France a aujourd'hui deux « revenus minimums » : le RMI et l'ASS. 500 000 allocataires de l'ASS perçoivent 13 milliards et un million d'allocataires du RMI perçoivent 22 milliards d'allocations, c'est-à-dire moins du double. Et j'ajoute que ASS et RMI sont presque de même montant mais avec des conditions d'accès et de cumul très différentes. D'une part, aucune obligation d'insertion ne pèse sur l'allocataire de l'ASS . D'autre part, un couple a droit au plus à 3 450 F par mois si l'un des conjoints obtient le RMI. En revanche, il a droit de cumuler jusqu'à 10 160 F par mois lorsque l'un des deux reçoit l'ASS. Il s'agit pour nous de rapprocher ces deux « revenus minimums », sans les confondre, puisque, fixé à 8 140 F, le plafond de cumul de l'ASS reste très largement supérieur à celui du RMI.
J'ajoute que la durée de versement de l'allocation n'est pas modifiée. Elle continue donc d'être versée pour une période de six mois, renouvelable sans limite. Et puis, les 500 000 titulaires actuels de l'allocation de solidarité spécifique ne sont pas concernés. Seuls les futurs entrants en ASS sont visés par ces nouvelles conditions d'attribution. Et encore pas tous :d'après nos calculs, deux entrants sur trois percevront exactement le même montant d'allocation qu'aujourd'hui.
Propos recueillis par Hélène Morel
« Que le vieillissement soit une étape de vie et non une fin. » Plus qu'une déclaration d'intention, ce concept, fondé essentiellement sur le bénévolat, s'inscrit, au Québec, dans la réalité pour que les aînés gardent leur dignité de citoyens à part entière.
(1) Voir ASH n° 1992 du 11-10-96.
(2) Voir ASH n° 1991 du 4-10-96.