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Vers une reconnaissance ?

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Après 22 ans d'incertitudes, les lieux de vie pourraient être intégrés dans la loi de 1975 rénovée. Etat des lieux.

Le toilettage de la loi de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales va-t-il être l'occasion pour les lieux de vie/lieux d'accueil de sortir, enfin, de la fragilité où ils se trouvent ? C'est en tout cas dans ce cadre-là que la DAS a décidé de leur donner une reconnaissance légale (1).

Faut-il voir là la fin du tunnel pour les praticiens engagés depuis plus de 20 ans dans la longue marche pour leur légitimité ? Un combat qui est loin d'être gagné, notamment auprès d'une opinion publique rendue méfiante par certaines affaires dont la plus retentissante reste celle du Coral en 1982... Sachant que « déjà, la création des lieux de vie a été un combat. Un combat contre l'institution psychiatrique, carcérale ou pour enfants », rappelle Jean-Marc Antoine, président de l'Association pour l'étude et la promotion des structures intermédiaires  (Asepsi)   (2).

Dans la foulée de Deligny

C'est en effet dans les années 70, dans la mouvance de l'antipsychiatrie, qu'est né le mouvement. Certains praticiens, constatant les limites de leurs interventions dans un cadre institutionnel, voulurent démontrer que l'on pouvait aider les personnes en difficulté, ou plus communément les fous, à vivre autrement que dans les hôpitaux psychiatriques. Et que partager au quotidien leur existence était possible, et même souhaitable. C'est ainsi que vers 1975, dans la foulée de l'expérience menée par Fernand Deligny avec des enfants autistes dans les Cévennes, s'ouvrirent, en France, les premiers lieux de vie/lieux d'accueil. Avec, néanmoins, des nuances selon qu'ils s'inscrivaient dans la psychanalyse lacanienne (comme Patrick Ardon avec les fermes de Sever en Aveyron) ou en rupture radicale avec la psychiatrie (Claude Sigala avec le Coral).

Nés à l'origine en réaction par rapport à l'asile - même s'ils se situent aujourd'hui en complémentarité des institutions et des services -, les lieux de vie n'ont eu de cesse d'affirmer leurs spécificités. A commencer par leur dynamique reposant sur le « vivre avec ». « Le principe même du lieu de vie, c'est de partager sa vie, son amour relatif, sa maison, ses amis avec celui que l'on accueille », explique Jean-Marc Antoine. Ce qui a l'avantage d'assurer une présence permanente, sans rotation de personnels. Ce qui implique, également, le choix entre l'accueillant et l'accueilli à partir d'un travail à élaborer ensemble. « On a toujours la possibilité de ne pas recevoir une personne qui pourrait déstabiliser le lieu. De même que cette dernière peut refuser, si elle n'est pas emballée par le projet. D'où l'intérêt de la période d'essai pour voir si l'on peut vivre ensemble », explique Jacques Benoit, secrétaire régional du Gerpla (3) et permanent d'un lieu de vie dans les Deux-Sèvres. « Ce qu'apporte en plus un lieu de vie n'est pas basé sur un souci thérapeutique mais l'émergence possible du désir », ajoute, pour sa part, Claude Sigala, responsable du Coral (4). Désir qui a pour support l'acte créatif comme la poésie, le théâtre mais aussi l'élevage ou le jardinage... Par ailleurs, les praticiens, affichant leur refus de normaliser et de morceler, défendent le principe de l'hétérogénéité des publics selon l'idée qu' « il n'y a pas de lieux pour psychotiques, délinquants ou schizophrènes mais des lieux qui accueillent une personne quel que soit son symptôme ».

De fait, même s'ils sont encore parfois considérés comme des lieux d'utopie voire à l'inverse montrés du doigt, les lieux de vie ont su s'imposer dans le paysage de l'action sociale. Etant utilisés aussi bien par les services de l'aide sociale à l'enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse, les services psychiatriques des établissements hospitaliers et les institutions sociales et médico-sociales qui leur adressent des enfants, adolescents ou adultes en difficulté pour des durées pouvant aller de quelques semaines, voire quelques jours, à plusieurs années. « Ils remplissent une fonction sociale reconnue. Car finalement, ils se sont un peu spécialisés dans les incasables qui n'ont pas trouvé leur place dans les réponses institutionnelles. Ils peuvent, par exemple, offrir une réponse alternative à l'incarcération pour certains jeunes majeurs. Ou permettre à certaines équipes de souffler en proposant des séjours de rupture. C'est un peu des sas d'oxygène », témoigne Béatrice Fabius, chargée du dossier à la DAS. Preuve d'ailleurs, la poignée des 350 à 400 lieux existant actuellement est loin de suffire aux besoins. « On reçoit entre 500 et 600 demandes par an, alors que nous n'avons que trois places susceptibles de se libérer sur l'année. C'est complètement grotesque ! », s'exclame ainsi Jacques Benoit.

Un flou juridique

Et pourtant. S'ils sont largement utilisés « après 22 ans, les lieux de vie ne sont toujours pas reconnus en tant que tels », déplore Jean-Marc Antoine. Nés en marge des définitions administratives existantes, ils se sont développés dans le flou juridique, source d'incertitude et d'ambiguïtés. Et si la circulaire Dufoix du 27 janvier 1983 reconnaît l'utilité de ces structures d'accueil non traditionnelles, elle n'a fait que les renvoyer à des statuts existants (assistante maternelle, établissement, tiers digne de confiance) pas toujours adaptés à leur activité. Sachant que beaucoup de lieux fonctionnent sur la base de formules d'agrément et de conventions ne se référant à aucun texte réglementaire, ni législatif.

D'où une situation extrêmement confuse critiquée d'ailleurs autant par les professionnels que par les pouvoirs publics. En effet, les premiers, qui s'accommodent bon gré mal gré des statuts mis à leur disposition (exerçant comme salariés d'association, assistants maternels ou à titre libéral par le biais d'une autre activité professionnelle), dénoncent l'insécurité permanente dans laquelle ils se trouvent. Leurs conditions d'exercice pouvant ainsi, faute de critères objectifs reconnus par tous, être remises en cause selon la personnalité des fonctionnaires départementaux. C'est ainsi que si bon nombre de lieux de vie arrivent à fonctionner dans un climat de bonne entente avec les administrations locales, d'autres connaissent de sérieuses difficultés. Et les praticiens de dénoncer les réticences, voire les refus de principe de certains conseils généraux à toute implantation sur leur territoire même s'ils n'hésitent pas à adresser leurs ressortissants dans les lieux de vie des départements voisins. A cela s'ajoutent les retraits d'agrément, les tracasseries administratives, les obstacles financiers, notamment avec les services de psychiatrie des établissements hospitaliers depuis la mise en place de la dotation globale. Sans compter les difficultés sociales, fiscales...

De leur côté, les conseils généraux, déplorant le manque de transparence, la disparité des prix pratiqués, se plaignent de leurs difficultés à contrôler des structures dont ils ne connaissent pas toujours l'existence et à évaluer la qualification des intervenants.

Des règles du jeu donc extrêmement confuses qui n'ont, bien évidemment, guère aidé à lever les suspicions autour des lieux de vie. « Ce flou alimente tous les fantasmes. Il suffit que deux adolescents aillent se plaindre qu'ils sont maltraités pour que, avant même qu'on n'ait pu établir une faute, l'affaire monte en mayonnaise. Et qu'une mécanique imaginaire se mette en route. Alors que les enfants doivent remettre en scène avec nous les motifs pour lesquels ils ont été placés. Cela fait partie du processus thérapeutique », explique Martine Fourré, présidente d'Ethique freudienne et pratiques sociales (EFEPS)   (5) et permanente d'un lieu de vie à Paris. Et pourtant, « il n'y a pas d'endroit d'accueil plus contrôlé qu'un lieu dans la mesure où les intervenants réclament le contrôle de leurs pratiques par les services référents », défend Jean-Marc Antoine. « On n'accueille pas d'enfant s'il n'a pas un référent nommé que l'on peut joindre aussi souvent que nécessaire », renchérit Jacques Benoit. « Récemment, l'une des filles qui m'était confiée a fait un passage à l'acte. L'inspecteur ASE en a été immédiatement informé et nous avons travaillé ensemble », explique également Martine Fourré. Sans compter, ajoutent encore les praticiens, que de plus en plus les projets des lieux prévoient un contrôle de type analytique pour les permanents. Et que les conditions d'admission de certains regroupements garantissent une sorte d'éthique.

Comment contrôler sans rigidifier ?

Car le problème de fond est bien celui du contrôle de ces micro-structures, par nature fragiles puisque reposant souvent sur l'engagement de deux ou trois personnes, et quelquefois éphémères. « Comment trouver l'équilibre entre leur diversité, leur souplesse et indépendance et le minimum de confiance nécessaire pour les institutions ? », s'interroge ainsi Alain Bruel, président du tribunal pour enfants de Paris et membre de l'Association des magistrats de la jeunesse. Si celui-ci trouve la formule tout à fait intéressante car permettant une prise en charge très personnalisée pour des jeunes livrés à eux-mêmes, il reconnaît qu'il est parfois difficile aux magistrats, hors de leur réseau de relations professionnelles ou des connaissances directes qu'ils peuvent avoir, de disposer d'informations fiables sur la valeur éducative de ces lieux. « On les choisit en fonction du bouche à oreille », ajoute Pierre Sadoul, psychiatre de secteur. Lequel, s'il soutient ce type de pratiques, déplore l'absence de critères officiels permettant de garantir la qualité clinique et sociale des prestations.

Ce qui est évident en tout cas, c'est que depuis deux ou trois ans, on note une volonté de faire avancer le dossier. Tant du côté des regroupements de lieux de vie qui, ayant réussi à sortir de leurs divisions internes, sont réunis pour la plupart, depuis mars 1994, au sein d'un collectif (6) sous l'égide de l'Asepsi, que du côté de la DAS, Pierre Gauthier portant, de l'avis même des praticiens, un réel intérêt à la question. Autant de conditions qui ont permis d'aboutir à la mise en place, de janvier à septembre 1996, d'un premier groupe de travail interministériel (7) ouvert au Collectif des lieux de vie et à Faste Sud-Aveyron (8). Sachant qu'une deuxième commission devrait réfléchir aux questions de protection sociale.

Résultat : la DAS a retenu, dans le cadre de ses orientations sur l'actualisation de la loi de 1975, la proposition d'intégrer les lieux de vie dans le dispositif. L'idée étant d'ajouter les lieux de vie/lieux d'accueil à la liste des établissements sociaux et médico-sociaux de l'article 3. « Quelle que soit la loi, peu nous importe. Ce qui nous intéresse, c'est que la spécificité des lieux de vie soit sauvegardée », rétorque Jean-Marc Antoine. Car il est bien évident que c'est le décret d'application qui définira les conditions de fonctionnement et d'autorisation qui sera déterminant. «  Et là beaucoup de points restent à éclaircir  », reconnaît-on à la DAS. Où l'on se dit prêts à «  faire preuve d'inventivité réglementaire », mais à condition d' « ériger des règles minimales qui garantissent la sécurité des personnes hébergées ». C'est ainsi que si certaines garanties demandées par les lieux de vie (respect de la dynamique du « vivre avec », responsabilité financière et juridique des permanents de leurs actes...) ne devraient pas poser de problèmes, d'autres, comme la reconnaissance de la profession de permanent avec le maintien de la pluralité de statuts, soulèvent des difficultés techniques. Enfin, certaines demandes, par exemple l'établissement de règles d'autorisation nationales ou le non-passage en CROSS, suscitent de fortes réticences de la part des représentants institutionnels, notamment de l'APCG. C'est dire si la discussion est loin d'être close.

Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Voir ASH n° 1992 du 11-10-96.

(2)  Asepsi : 9/11, rue du Soleillet - 75020 Paris - Tél. 01 43 66 24 23.

(3)  Gerpla : La Castelle - 82160 Caylus.

(4)  Coral : 30470 Aimargues - Tél. 04 66 88 00 12.

(5)  EFEPS : 234, bd Voltaire - 75011 Paris - Tél. 01 42 50 81 44.

(6)  Qui réunit le CRA, EFEPS, le Gerpla, Itinéraires, le Syndicat des permanents de lieux.

(7)  Composé des représentants des directions des hôpitaux, de la PJJ, de la DAS, de la DGS, de la sécurité sociale, de l'APCG, des conseils généraux des Alpes-de-Haute-Provence et d'Eure-et-Loir.

(8)  Lequel fait état de divergences par rapport au collectif en revendiquant notamment que l'agrément soit donné à titre nominatif et qu'il y ait un statut de travailleur indépendant pour les permanents - Faste Sud-Aveyron : Brox - 12360 Brusque - Tél. 05 65 49 57 60.

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