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Ni famille, ni foyer...

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Vivre ensemble est l'un des quatre lieux de vie de la Sarthe. Huit enfants sont accueillis dans une grande maison où chacun peut « poser ses valises » .

Il est un peu plus de 17 heures à l'horloge de la salle à manger du lieu de vie Vivre ensemble, de Changé, à quatre kilomètres du Mans (Sarthe)   (1). Deux permanents profitent des dernières minutes de répit pour boire un café dans la salle à manger. Grande table, toile cirée à fleurs, bibelots et aquarium, l'intérieur n'a rien d'excentrique. Clémentine, 5 ans, dort dans sa chambre  dans la salle d'activités du sous-sol, Christophe et Fabrice, 16 et 17 ans, regardent une cassette vidéo. Le minibus blanc du lieu de vie, conduit par une bénévole, vient de faire son apparition dans la cour, de retour des écoles qui accueillent les enfants du lieu de vie à Changé et au Mans. Le véhicule passe loin de la piscine, près de l'enclos qui accueille un petit cochon, deux chèvres, une poule naine, et se gare à côté des balançoires. Cris, discussions et pas résonnent soudain, les enfants viennent de s'engouffrer dans le pavillon à deux étages. Le lieu de vie devient en quelques secondes une « grande maison italienne pleine de vie », comme le dit Michèle Buron, la créatrice du lieu, chaleureuse et attentive.

Un état d'esprit

Michèle Buron a commencé à accueillir des personnes en difficulté il y a 14 ans, en tant que famille d'accueil, avant de créer ce lieu de vie sous statut associatif, il y a quatre ans. En choisissant de devenir lieu de vie, elle pouvait non seulement demander des prix de journée plus avantageux (et donc faire intervenir des psychologues, avoir des animaux, organiser des vacances en commun, etc.), accueillir plus de personnes, mais également participer à un réseau, un état d'esprit, celui du « vivre avec » des jeunes en difficulté. Elle s'installe ainsi dans l'Orne avant de trouver, non sans difficultés, cette maison près du Mans qui lui permet d'accueillir jusqu'à huit enfants. Mais elle ne peut obtenir l'agrément du conseil général qui, faute de statut spécifique des lieux de vie, lui demande de prendre le statut d'établissement, ce qui exige un passage en CROSS. Démarche qu'elle juge trop lourde et trop exigeante. D'ailleurs, aucun des quatre lieux de vie de la Sarthe n'est agréé.

Aujourd'hui, le lieu de vie reçoit huit jeunes âgés de 5 ans à 17 ans : des filles fermées sur elles-mêmes après avoir vécu des violences familiales, des jeunes en difficulté ayant ou non fait de la prison, des enfants ou adolescents dont les parents n'ont pas pu s'occuper. Huit adultes travaillent avec Michèle Buron : quatre personnes chargées des courses, du jardin et des tâches ménagères, une secrétaire et trois encadrants chargés du travail éducatif. Quand on s'étonne du fait qu'une seule de ces personnes est salariée (la secrétaire) et que les autres sont en CES, Michèle Buron invoque des raisons financières, les prix de journée ne dépassant pas les 420 F. Néanmoins, les trois encadrants ont été choisis en fonction de leurs expériences d'animateur (dans des maisons rurales et familiales, ou à l'association SOS Villages d'enfants) ou d'éducateur sportif en banlieue parisienne, et de leurs qualités personnelles : « Je demande aux permanents d'être sincères, de savoir recevoir et communiquer une information, de faire bénéficier les enfants de ce que l'on a appris en commun. Je ne pense pas qu'il faille spécialement être diplômé pour cela. Et puis il faut donner sa chance à tout le monde : après tout, au départ, je n'étais pas formée pour ça, je suis infirmière. » Elle regrette en revanche que la précarité du statut de CES ne permette pas de garder dans le lieu de vie les gens qui y ont été formés. Il faut ajouter à l'équipe quatre bénévoles. Jeune femme du village ayant été surveillante en lycée, ancienne employée en CES dans le lieu, jeune adulte intéressé par le métier d'éducateur, ils assurent le soutien scolaire, le ramassage scolaire, la veille de nuit ou ils participent à l'encadrement éducatif. En semaine, quatre de ces adultes dorment là (Michèle Buron, un permanent et deux bénévoles), ainsi que sept enfants. Le huitième, Karim, vit en internat depuis cette année, mais revient tous les week-ends.

Par rapport à d'autres lieux de vie, Vivre ensemble peut apparaître comme une grosse structure. Mais pour Michèle Buron, c'est un choix : « Moi je crois aux vertus des “grandes familles”. Chacun apporte sa richesse et, en écoutant les problèmes de l'autre, chacun accepte mieux sa propre douleur. Mais il faut faire attention à conserver une certaine hétérogénéité des profils :deux adolescents violents risquent par exemple d'entretenir leur malaise. »

Trouver un juste milieu

Si Vivre ensemble peut sembler fonctionner un peu à la manière d'une grande famille, les permanents refusent qu'elle en devienne une. « Bien sûr, il faut aimer les gens, comme dans une famille, mais il faut d'abord les comprendre, écouter les histoires, les souffrances que chacun amène ici, précise Michèle Buron. A la différence d'une famille, on fait d'abord un travail psychologique et éducatif. » Elle refuse également de devenir une institution « car, à la différence d'un foyer, on peut réellement se parler, un jeune peut toujours se mettre à l'écart pour discuter... ». Ce « ni famille, ni foyer » n'empêche pas l'équipe du lieu d'avoir une vue claire de l'objectif poursuivi : « Nous voulons leur apprendre à vivre avec eux-mêmes, qu'ils comprennent que tout n'est pas joué et donc qu'ils peuvent s'imaginer une vie », explique Lydie Maillard, une encadrante. « Ç a signifie qu'on commence par leur laisser faire ce qu'ils veulent, y compris s'ennuyer, ce qui leur permet de se retrouver, de retrouver le désir de faire quelque chose. Ce n'est qu'une fois que la personne a posé ses valises, et ça peut mettre plusieurs mois, qu'on travaille avec elle la scolarité, la formation, le retour en famille. » Le corollaire est le refus de la part des permanents du lieu d'avoir le dossier des enfants. « Si nous avions un dossier avec marqué “voleur” dessus, sans le vouloir, nous ferions attention à tous les gestes de l'enfant. Il sentirait cela et finalement n'en sortirait pas. Chez nous, les enfants savent qu'il n'y a pas de dossier sur eux. C'est la première étape pour instaurer un climat de confiance. » Ils n'en travaillent pas pour autant de manière isolée. Une fois tous les 15 jours, une psychologue vient pour discuter avec les enfants. Une fois par mois, une autre psychologue s'entretient avec l'ensemble des adultes, pour un travail de « supervision », comme cela se passe dans beaucoup de lieux de vie. Tous les adultes du lieu, y compris cuisinières, jardiniers ou secrétaire, lui racontent la vie, les problèmes ou accrochages avec les enfants. Le but est non seulement de soutenir les adultes face à des situations parfois difficiles, mais aussi de traduire de manière constructive les paroles des enfants. Surtout, un travail régulier a lieu avec les représentants des institutions qui ont confié les enfants. Les permanents discutent souvent avec les éducateurs de la PJJ ou de l'ASE, les inspecteurs de l'ASE ou les juges des enfants, qui continuent à suivre les personnes accueillies depuis les institutions d'origine. Les ados peuvent eux-mêmes leur téléphoner grâce à un point-phone qui leur est réservé dans la maison et qu'ils peuvent utiliser comme bon leur semble. Pour Michèle Buron, « il s'agit d'une soupape. Certains jeunes viennent ici sans avoir donné précédemment leur accord. En gardant ce lien autonome avec l'extérieur, cela atténue le malaise qu'ils peuvent ressentir au début. C'est aussi la traduction concrète de leur liberté de parole : s'ils ne sont pas d'accord avec nous, ils peuvent le formuler auprès de leur éducateur en dehors de tout contrôle ».

Vivre avec

Christophe, par exemple, est arrivé il y a à peine dix jours, sortant de prison, il a l'air calme, heureux d'être là. « Quand j'étais en foyer, je me sauvais en permanence, raconte l'ado, bonnet rap et grosses baskets. C'est vrai que je pourrais partir d'ici comme je veux, mais je n'en ai pas envie. Ici, personne ne te prend la tête. Je vais rester là et essayer de trouver un apprentissage dans la photogravure ou l'imprimerie. » L'aspect cool du lieu n'empêche pas des règles communes. Chacun doit faire un tour de vaisselle par semaine. Se joindre aux repas n'est pas une obligation, mais tout le monde est prévenu par une cloche lorsqu'ils commencent. La réserve de nourriture est fermée à clé, mais une grande corbeille de fruits reste à la disposition de chacun. Personne n'est obligé de participer à la vie du lieu, pourtant intense. Le mercredi matin, un atelier « travail manuel » est organisé dans la salle d'activités du sous-sol, régulièrement les enfants vont monter les quatre chevaux qui ont été donnés à l'association, et suivent les ateliers qu'ils ont choisis à Changé ou au Mans (orgue, danse ou gymnastique rythmique). Le lieu n'est pas pour autant calme en permanence. La sérénité est parfois troublée par des fugues, des vols, etc. « Il arrive qu'on rouspète quand il s'agit de protéger les petits ou quand, comme hier, on retrouve un petit chat enfermé dans un tiroir, explique Lydie Maillard, mais on fait en sorte de comprendre et proposer des solutions, de faire des transactions qui permettent de faire évoluer les choses tout doucement. »

L'impossibilité d'accueillir des publics trop durs est sans doute la principale limite du lieu. Considérant le lieu de vie comme un lieu ouvert, un lieu de communication, Michèle Buron estime qu'il n'est pas adapté aux personnalités toxicomanes dont elle pense qu'ils « ont besoin d'être rassurés par un cadre plus strict ». De même, si elle se sent en mesure de recevoir des adolescents dont les violences sont passagères, cela lui semble impossible pour ceux dont « la violence devient un moyen d'expression habituel, qui ont des déficiences au niveau de la réflexion, un grand trouble de la personnalité pas encore stabilisé et qui ont besoin de passer précédemment par un cadre hospitalier ». Les permanents ont en revanche du mal à donner un bilan ou une évaluation de leur action. Ils pensent que 90 % des jeunes accueillis retrouveront un lien avec leur famille, reprendront d'une manière ou d'une autre une scolarité, mais estiment que l'effet du passage dans le lieu de vie n'est pas forcément immédiat. Se basant sur les témoignages des anciens du lieu qui passent dire bonjour ou écrivent pour donner des nouvelles, Michèle Buron raconte que « c'est souvent plus tard que ce qu'ils ont vécu de positif ici leur sert le plus, ils se souviennent d'avoir entendu et vu des choses différentes que ce qui fait leur vie quotidienne ».

Stéphane Lavignotte

UN LIEU, PLUSIEURS STATUTS

Les huit enfants du lieu ont été confiés par des juges des enfants de différents départements (Paris, Seine-Saint-Denis, Ille-et-Vilaine, Aisne, Calvados, Maine-et-Loire, Hauts-de-Seine, Essonne) via les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) quand ils relèvent de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs délinquants, via les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) de leur département d'origine pour les autres. Faute de texte spécifique sur les lieux de vie, il faut jongler avec les statuts. Quand un enfant est confié par les services de la PJJ, Michèle Buron est considérée, à titre personnel, par ces services comme « tiers digne de confiance » (article 375-3 du code civil). Quand ils le sont par les services de l'ASE, chaque département doit préalablement passer une « convention de placement » avec l'association loi 1901 Vivre ensemble, après inspection par un de ses travailleurs sociaux.

Notes

(1)  Vivre ensemble : Le Petit Galet - 72560 Changé - Tél. 02 43 40 14 76. Les prénoms des mineurs accueillis ont été modifiés.

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