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Un duo à l'écoute des salariés

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La médecine du travail, qui fête ses 50 ans, et son aîné le service social du travail sont les seuls interlocuteurs neutres auxquels les salariés peuvent se confier au sein d'une entreprise. A Lyon, un service social interentreprises du travail mise depuis longtemps sur le couple médecin-AS pour renforcer les liens entre salariés et entreprise.

A une dizaine de kilomètres du centre de Lyon, l'aile architecturale de l'aéroport de Lyon-Satolas couve un couple hors du commun : Marie-Thérèse Laure et Emmanuelle Salaud. Respectivement membres de l'Association interentreprises lyonnaises de médecine du travail (ACTIM) et de l'Association interentreprises de service social du travail  (ACTIS), deux associations dirigées par Chantal Chevallier (1). A l'image d'ACTIM et ACTIS qui partagent leurs bureaux au troisième étage d'une bâtisse plutôt moderne surplombant le Rhône, Marie-Thérèse, le médecin, et Emmanuelle, l'assistante sociale, partagent leur local et une partie de « leurs » salariés. Le médecin surveille presque l'ensemble des salariés du site (2 000), tandis que l'assistante sociale n'est affectée qu'à une entreprise.

A ACTIS, on ne conçoit pas que l'assistante sociale du travail  (AS) ne collabore pas avec le médecin du travail, qu'il soit directement salarié, interentreprises, membre d'ACTIM ou non. C'est une affaire de conviction. « Notre rôle n'est pas d'insérer mais d'éviter l'exclusion », précise Chantal Chevallier, qui poursuit : « On aborde la notion de lien social, et le premier à mettre en place ou consolider est celui entre médecin et assistante sociale du travail. »

Etablir des liens soit, mais sur quelles bases ? « Par essence l'assistante sociale exige un partenariat, elle y a intérêt pour mieux appréhender un problème posé », invoque Jacqueline Roque, AS d'ACTIS. Deux de leurs trois grands domaines d'intervention (maladie, retraite et logement) couvrent un nombre important de cas où médical et social s'entrecroisent. « C'est plus en termes d'évaluation de situation que nous nous interpellons », explique Emmanuelle Salaud. « La première collaboration avec le Dr Laure portait sur une histoire d'alcoolisme. J'étais intervenue en situation de crise, alors que le problème d'alcool avait toujours été nié par le salarié devant le médecin. » La confrontation des deux versions permet d'équilibrer le jugement. Ou bien, assistante sociale et médecin se passent le témoin. « Certains salariés se débattent dans des problèmes alors qu'une solution simple existe, résume Marie-Thérèse Laure. Je leur parle de l'assistante, “je n'y avais pas pensé” me répondent-ils ! » Il ne s'agit pas d'interpréter tout problème médical d'un point de vue social et vice versa, mais de s'inscrire dans une démarche d'assistance mutuelle. La collaboration n'est pas vécue comme une lubie, mais comme un « plus » dans le service rendu au salarié pour améliorer sa situation dans l'entreprise.

Les dossiers traitant d'inaptitude au poste de travail (décision majeure du médecin du travail (2) ) révèlent l'importance de ces actions croisées. L'assistante sociale du travail a un rôle fondamental à remplir dans l'accompagnement, la préparation, mais surtout la prévention. « Notre but avec le médecin du travail est de prévenir une évolution clinique qui risque d'être grave au niveau santé, financier, familial. Quand une inaptitude est décelée, nous collaborons beaucoup pour envisager avec le salarié toutes les solutions », raconte Emmanuelle Salaud.

Jacqueline Roque, qui navigue entre trois entreprises dont une de bâtiment, a l'expérience des licenciements pour inaptitude : « Licencié et diminué physiquement, c'est difficile à assumer ! Je vois si on ne peut pas négocier avec l'employeur de différer le licenciement, pour éviter par exemple à un homme de 50 ans de se retrouver cinq ans plus tard sans droits ouverts au niveau des Assedic et donc au RMI à la fin de sa vie malgré 40 ans d'activité. Sur la base de nos arguments médicaux, sociaux et économiques, nous essayons avec le médecin de reculer les échéances. » L'importance de cette concertation se mesure à la lumière de cas où le médecin n'a ni consulté ni averti l'assistante sociale. Un après-midi, celle-ci peut ainsi découvrir, posé sur sa table, un dossier d'inaptitude paraphé d'un « Vous verrez avec l'assistante sociale qu'elle vous explique »  ! Sa palette de conseils est d'emblée réduite par le manque de travail préalable.

Une occasion pour Chantal Chevallier de relancer son cheval de bataille sur l'impact de « la multitude de ces liens qui permettent aux salariés de rester insérés. Pendant un arrêt de travail, les entreprises, les postes de travail ou les compétences peuvent changer. Il faut pouvoir rattraper le salarié à temps ».

L'assistante sociale du travail est un médiateur

Médecin et AS profitent des lieux de contacts de chacun avec le salarié pour tisser une toile entre lui et l'entreprise. Dans le cadre des visites médicales régulières. « Quand la hiérarchie ou des salariés me disent untel a un problème, je ne peux pas intervenir sans demande de la personne, alors que le médecin aura un contrôle régulier », illustre Emmanuelle Salaud. Et hors de l'entreprise. Maladie, accident du travail, invalidité, congé formation sont autant de situations d'éloignement du salarié de ses référents traditionnels.

Cet éloignement est souvent vécu par le salarié comme une marginalisation. Seule l'assistante sociale, par ses coups de fil, ses visites, peut déceler une déprime, un problème de rééducation... « Si j'ai un lien avec l'assistante, nous pouvons par exemple proposer une visite de pré-reprise  pour le médecin du travail, c'est une visite importante qui permet de décider un mi-temps thérapeutique ou une adaptation de poste suffisamment tôt », commente Marie-Thérèse Laure.

Le secret professionnel n'est-il pas transgressé ?

Ces échanges d'information sont-ils déontologiques ? Quand deux professions soumises au secret professionnel se rencontrent, que peuvent-elles vraiment se raconter ? « Des fois, le secret professionnel peut être mis entre guillemets parce qu'on estime cela utile pour le salarié. Mais la majeure partie du temps, il y a concertation avec lui », rétorque Emmanuelle Salaud. C'est d'ailleurs dans l'intérêt de l'assistante sociale de ne pas trop tirer sur la corde au risque de briser une relation de confiance. Cette dernière se souvient de cet homme venu se réfugier derrière ce secret : une lettre de son médecin traitant contre-indiquait un travail de nuit que demandait le salarié pour des raisons financières. Il hésitait à transmettre cette lettre au médecin du travail. Après discussion, il l'a finalement donnée.

« Si le médecin ne veut pas me dire que telle personne est atteinte du sida, il n'est pas obligé ou il peut me le dire d'une manière détournée », ajoute Jacqueline Roque. Si le besoin de son intervention se ressent, que le salarié ne suit pas le conseil du médecin d'aller la voir, l'assistante sociale cherche une occasion de dialogue avec la personne... Elle doit alors finement jauger l'étendue de sa mission pour ne pas franchir la limite de l'incursion dans la vie privée.

En tant que médecin du travail, Marie-Thérèse Laure partage cette notion de l'interprétation du secret professionnel. « Si une certaine communication est bénéfique au salarié, je peux faire des écarts. Parfois on a juste une impression comme une drôle d'haleine, un comportement bizarre (les alcooliques fuient les visites médicales et les reportent sans cesse). Le fait d'en discuter avec l'assistante fait qu'on parvient à reconstituer les origines du problème », argumente-t-elle. Toutes balisent les doutes qui pourraient subsister par un argument irréfutable : l'information reste confinée entre deux secrets.

Paradoxalement, Emmanuelle Salaud et Marie-Thérèse Roque puisent un grand « bol d'air » de cette chape de plomb que sous-tendent tant le secret professionnel que leur obligation de neutralité au sein de l'entreprise. La collaboration médecin-assistante sociale c'est aussi ça, rebondit Chantal Chevallier : « Pallier la fameuse usure des travailleurs sociaux. » Ce soutien psychologique débouche sur des appuis plus concrets. Dans la mise en place d'actions de prévention collective. Un travail en synergie donne plus de poids pour convaincre la direction ou le CHSCT de l'utilité d'un programme de prévention sur l'alcool, par exemple. Souvent à l'origine de groupes de travail, les AS associent dès le départ ou progressivement les médecins : réflexions sur les rythmes de travail, l'aménagement de temps partiels, les préretraites, l'accueil des salariés en reprise de travail (souvent vecteur d'accident), ou encore l'emploi de personnes handicapées.

La collaboration n'a de limites que les missions... et les hommes. C'est affaire de subjectivité, aiment à dire les assistantes sociales comme pour ne pas froisser les blouses blanches. Des médecins apprécient la complémentarité de l'assistante sociale du travail, d'autres pas. De peur sans doute de s'ajouter des pressions supplémentaires. Les « jeunes » semblent plus réceptifs aux conséquences sociales d'un diagnostic. Mais l'organisation a des limites que la bonne volonté n'a pas. Surtout en interentreprises. Partager son bureau en alternance avec le médecin du travail ou devoir pister le camion mobile à bord duquel le praticien tourne de site en site ne prête pas à la rencontre. Marie-Thérèse Laure et Emmanuelle Salaud n'ont pas ces soucis. Depuis que leurs bureaux sont mitoyens, elles « collaborent mieux » que lorsque deux étages les séparaient. ACTIS était pourtant réticente à ce déménagement : « Pour l'information, c'est bien d'être proches mais cela dissocie moins nos deux interventions et c'est dommage », reconnaît Emmanuelle Salaud. Quoique la promiscuité du cabinet médical offre l'opportunité de se faire connaître des salariés. Même s'ils n'apprécient pas de devoir passer devant le médecin pour aller voir l'assistante sociale.

Emmanuelle Stroesser

UN SERVICE SOCIAL À LA CARTE POUR LES MÉDECINS DU TRAVAIL

En plus de ses vacations, Jacqueline Roque est prestataire de service pour les médecins d'ACTIM qui ne bénéficient pas, sur leur lieu d'affectation, des ressources d'une assistante sociale (3). Plutôt que d'orienter le salarié vers l'assistante sociale du quartier ou de la sécurité sociale, les médecins sollicitent Jacqueline Roque directement. Pour un simple renseignement administratif, une adresse, un point de droit du travail... qu'ils transmettent eux-mêmes au salarié. Ou pour un conseil sur un cas précis :mise à terme en invalidité, problème de mutuelle, souhait de départ en retraite, longue maladie... C'est au salarié de contacter Jacqueline Roque qui le reçoit sur rendez-vous dans les locaux d'ACTIS. Là, elle ne fait pas de suivi. A moins que « la personne désire venir me voir au fur et à mesure de l'évolution de sa situation pour refaire le point ». Cette prestation de service d'ACTIS vers ACTIM existe depuis déjà cinq ans. Une démarche innovante qui semble faire des envieux parmi les confrères médecins du travail...

Notes

(1)  ACTIS et ACTIM : 20, quai Jean-Moulin - 69002 Lyon - Tél. 78.42.25.82.

(2)  Cadre législatif de la médecine du travail (art. R. 241-41 à R. 241-48 du code du travail).

(3)  Le service social est obligatoire dans trois branches d'activité (céramique, cuir, transformation des métaux) et dépend de la taille de l'entreprise en nombre de salariés. Dans les autres secteurs, la décision est du ressort de la direction et/ou du comité d'entreprise.

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