« Le département des Yvelines est un département duel. A côté de communes aisées, coexistent des cités qui voient croître leur taux de précarité », décrit Marie-Joëlle Gorisse, conseillère technique à la direction de l'action sociale du conseil général (1). D'où la nécessité, selon elle, d'éviter d'accroître la fracture sociale au plan départemental, ce qui passe notamment par la lutte contre le surendettement des populations. Un phénomène qui, en raison de l'aggravation de la situation économique et sociale, connaît depuis deux ou trois ans une évolution que la loi Neiertz du 31 décembre 1989, modifiée par la loi du 8 février 1995 (2), a du mal à prendre en compte. Car, si celle-ci s'inscrivait déjà dans une logique de lutte contre la spirale de la pauvreté, elle n'avait pas prévu l'ampleur de ce mouvement. Aussi, le conseil général s'est-il résolument engagé dans une série d'actions visant à renforcer la mise en œuvre du dispositif.
« Déjà il y a une douzaine d'années, dès les premiers indicateurs de précarité, le conseil général avait anticipé en mettant en place un système“antichute” vers la précarité », raconte Marie-Joëlle Gorisse. C'est ainsi que, dès 1984, une cellule pauvreté-précarité (CPP) est créée afin, est-il précisé, « de répondre à l'aggravation de la crise économique et à l'émergence de nouvelles difficultés sociales qui affectent des familles, des individus épargnés jusque-là... ». En effet, « dès cette époque, les aides permanentes existantes commençaient à ne plus correspondre aux nouvelles réalités sociales :au paupérisme qui s'installe dans le département », se souvient Christine Baudère, responsable de la cellule. « Toute une catégorie de personnes passait alors au travers des mailles du dispositif social établi. »
La fonction de la cellule ? Leur prise en compte et surtout la gestion de l'urgence, que les familles soient à la rue - suite à une expulsion - ou en situation de « transition ». Toucher un premier versement d'allocation RMI prend au mieux un mois et succède à une absence de ressources de trois mois ! La CPP fournit, de façon immédiate, un hébergement provisoire dans un hôtel - elle a passé des conventions avec certains d'entre eux et loue des chambres à l'année -, distribue des chèques multiservices, ou permet le maintien d'un confort minimum (électricité, eau...). Mais surtout, elle oriente la famille vers d'autres partenaires sociaux afin qu'elle retrouve une situation viable. « La cellule pauvreté-précarité constitue l'anti-chambre des différents dispositifs du traitement du surendettement », souligne Christine Baudère.
Enfin, devenue complémentaire au dispositif de la loi Neiertz, la cellule tient lieu, à l'échelon départemental, d'observatoire de la pauvreté capable de dresser une cartographie précise des publics en difficulté et de leurs besoins. C'est ainsi qu'elle a vite constaté l'accroissement des demandes d'aides financières de la part des travailleurs sociaux et l'alourdissement des tâches administratives au détriment du contact direct avec les familles.
Autre innovation : à côté du dispositif mis en place par la loi Neiertz, la création, en 1990, de commissions interinstitutionnelles des aides financières (CIIAF) gérées administrativement par la caisse d'allocations familiales (CAF). Objectif : s'assurer que l'ensemble des droits ont bien été ouverts, favoriser la coordination des institutions pour le traitement des aides financières, et permettre l'apurement des petites dettes non prises en compte par la commission de surendettement installée à la Banque de France.
Mission des CIIAF : effacer les dettes courantes ou « périphériques » des particuliers : chauffage et électricité, téléphone, assurances, garde d'enfant, cantine, petits crédits liés à la consommation, etc., n'excédant pas 5 000 F. Il existe trois commissions dans le département, adaptées aux territoires des unités de gestion de la CAF des Yvelines : Saint-Germain-en-Laye, Saint-Quentin-en-Yvelines et Mantes-la-Jolie. Les membres permanents en sont le conseil général - la cellule pauvreté-précarité et l'aide sociale à l'enfance -, la CAF, la caisse primaire d'assurance maladie et les Assedic. Au cours d'une réunion mensuelle, ils étudient les dossiers (environ 300 par séance !) qui leur sont transmis par les travailleurs sociaux - ces derniers ayant vérifié, au préalable, que tous les droits de la famille ont bien été ouverts. Selon les cas, d'autres acteurs participent aux réunions :assistants sociaux de secteur ou spécialisés, représentants d'associations caritatives, etc.
L'intérêt ? La mobilisation de tous les partenaires, publics et privés, en un seul et même lieu, un seul et même moment, pour une étude concertée et globale des difficultés financières d'un ménage. « Celui-ci n'a pas à aller d'un organisme à l'autre, ballotté de dispositif en dispositif », se réjouit Christine Baudère. « Les partenaires présents déterminent, en accord les uns avec les autres, l'aide financière qu'ils apporteront. Il n'y a pas de hiérarchie parmi les participants : chacun agit selon les critères définis par l'institution qu'il représente. »
« Le dispositif permet aussi, ajoute Christine Baudère, un échange humain entre travailleurs sociaux, administratifs ou institutionnels qui ne se rencontrent jamais. Lors d'une récente réunion, un employé des Assedic s'étonnait du silence d'une famille qui ne répondait jamais à ses courriers : “mais comment voulez-vous qu'elle remplisse vos papiers puisqu'elle ne sait ni lire ni écrire !”, lui ai-je répondu. »
Echange, concertation, mais aussi motivation : « Travailler coude à coude est plus stimulant. Chacun a plus à cœur d'aller jusqu'au bout des choses et apporte volontiers, à l'occasion, des aides autres que financières (orientation vers des stages d'insertion...).»
Enfin et surtout, la CIIAF constitue une étape reconnue pour le traitement des dossiers de surendettement : sa situation financière épurée de ses « petites dettes », la famille repart sur de nouvelles bases et est dirigée, s'il reste de lourdes dettes, vers la commission de surendettement.
Autre maillon essentiel de la chaîne des dispositifs des Yvelines : les conseillères en économie sociale et familiale (ESF) recrutées dès 1990 par le conseil général. « Tous les départements n'ont pas fait ce choix-là, certains ont multiplié les postes d'assistants sociaux polyvalents de secteur, nous, nous avons voulu recruter des professionnels capables de traiter très en amont les problématiques financières et d'agir au niveau de la prévention », précise Marie-Joëlle Gorisse. Le rôle des conseillères en ESF : développer des aides éducatives et budgétaires, globales et sociales, et accompagner individuellement les personnes, mais également agir en étroit partenariat avec la Banque de France. Au total, dans les Yvelines, 36 conseillères en ESF se répartissent ainsi les 20 circonscriptions.
« Concrètement, explique Bénédicte Guedon-Carassic, conseillère en ESF de la circonscription d'action sociale d'Elancourt, c'est l'assistante sociale qui, après avoir détecté un problème de surendettement, m'envoie la personne intéressée. Lors d'un premier entretien, nous effectuons un bilan approfondi de la situation du ménage (charges, crédits et ressources) et nous vérifions qu'il bénéficie bien de tous ses droits : les gens en ignorent souvent un certain nombre. En fonction de cet état des lieux, on détermine si le cas relève du Fonds de solidarité pour le logement, des CIIAF, de la Banque de France - pour les dettes excédant 20 000 F - ... ou des trois à la fois. » Dans ces deux derniers cas, la conseillère va donc accompagner la famille dans sa demande d'aide auprès de la Banque de France. « J'explique au ménage, poursuit Bénédicte Guedon-Carassic, que la commission de surendettement va calculer sa capacité de remboursement mensuel des prêts en tenant compte des ressources du foyer, des charges courantes (loyer, eau...) et d'un minimum vital (alimentation, habillement...). On calcule ensemble cette somme afin d'en avoir une idée précise. Je lui apprends aussi que, pendant trois à cinq ans, il ne lui sera plus possible de contracter des crédits et que sa banque risque de lui supprimer automatiquement chéquiers et cartes bancaires. Après un délai de réflexion, la personne revient me voir avec les papiers nécessaires à la constitution de son dossier. »
Faciliter le travail de la commission et, de ce fait, accroître les chances que le dossier soit jugé « recevable », telle est l'une des fonctions essentielles des conseillères en ESF. « Pour la ville nouvelle, ajoute Bénédicte Guedon-Carassic, j'ai eu à traiter, en 1994, 18 dossiers - trois par mois en moyenne. Sur les 16 envoyés à la Banque de France, 15 ont été jugés recevables. »
Mais au-delà de ce travail, c'est une véritable action de terrain qu'effectuent les conseillères :intervenant directement auprès des huissiers ou des créanciers pour négocier une interruption des poursuites ou un moratoire des dettes. Faisant intervenir la CIIAF pour la liquidation des petites dettes... Le dossier « accepté » par la Banque de France, les conseillères continuent d'apporter un soutien à la famille. La rassurent, l'aident à gérer son nouveau budget. De son côté, la Banque de France aussi est plus confiante, consciente de ne prendre, avec un tel suivi, qu'un minimum de risques.
En tout cas, de l'avis des responsables départementaux, la démarche a suscité une véritable mobilisation. « Il y a deux ans, témoigne ainsi Marie-Joëlle Gorisse, les conseillères en ESF ont conçu une brochure intitulée Consommation, le surendettement, destinée à leurs collègues travailleurs sociaux. Ce document technique sur la constitution d'un dossier de surendettement était destiné à les informer de son cheminement à la Banque de France. Avec un objectif ultime : améliorer l'information et les conseils apportés aux usagers du service social à ce propos. »
De même, en 1993, les assistantes sociales du personnel du département des Yvelines assistent à une multiplication des cas de surendettement chez les agents du conseil général. Elles élaborent alors un fascicule et une exposition itinérante dans les circonscriptions du département. Avec des mises en garde contre les multiples formes de crédits et contrats de vente...
Quel bilan tirer des actions menées ? « Au plan local, les collaborations et les régulations fonctionnent bien. Il faudrait maintenant qu'il y ait un bilan du dispositif au plan départemental avec l'ensemble des partenaires concernés pour qu'il y ait véritablement solidarité autour du traitement de la pauvreté », analyse Marie-Joëlle Gorisse. « Le problème, conclut Christine Baudère, c'est que la Banque de France considère que son statut est avant tout économique et non pas social. Or, comment envisager de traiter le surendettement en deux temps - financièrement et socialement - quand on le sait si imbriqué avec précarité et exclusion ? » Faut-il alors, comme le suggère Marie-Joëlle Gorisse, repenser la loi Neiertz, conçue à l'origine surtout dans une logique économique, pour prendre en compte davantage l'accompagnement social ?
Lise Bouilly
(1) Direction de l'action sociale - Conseil général des Yvelines : 2, place André-Mignot - 78012 Versailles - Tél. 1 39.07.78.78.
(2) Voir ASH n° 1955 du 29-12-95.