Les contrats emploi-solidarité (CES) « coûtent cher à l'Etat, la sécurité sociale et l'Unedic et ne bénéficient pas en priorité aux personnes les plus nettement défavorisées ». Tel est le constat dressé par la Cour des comptes dans son rapport public 1996 (1), dont un chapitre est consacré à ce dispositif destiné, depuis sa création en 1989, à favoriser le retour à l'emploi des publics défavorisés.
La montée en puissance de la mesure, utilisée dès 1992 comme un « instrument majeur de la politique du traitement social du chômage », a entraîné une croissance très forte du nombre de conventions et de salariés concernés. Chaque année, en effet, quelque 400 000 personnes en moyenne ont bénéficié du dispositif qui porte sur plus de 700 000 contrats. Dès l'origine, la mesure a fonctionné « à guichet ouvert », constate la Cour, les préfets étant « invités à certaines périodes non pas à gérer la mesure dans le cadre d'une enveloppe mais à réaliser un quota minimum de CES qui a d'ailleurs été globalement dépassé ». L'absence de programmation financière s'est accompagnée « d'une sous-évaluation systématique des dépenses et d'un dépassement des prévisions initiales de 74,5 % en moyenne de 1990 à 1995 ». Le coût pour l'Etat est ainsi passé de 2,6 milliards en 1990 à plus de 17 milliards en 1995.
Mais le dispositif a aussi un coût élevé pour la sécurité sociale. Si les salariés en CES paient la part salariale des cotisations, l'exonération des cotisations patronales n'est pas compensée par l'Etat, d'où une perte de ressources pour la sécurité sociale évaluée à 4,4 milliards en 1994. A cela, il faut ajouter un « surcoût pour l'Unedic », estimé par celle-ci à près de 4 milliards fin 1996 pour les salariés entrés en CES entre 1990 et 1993, lié à la prise en charge du risque chômage de ces salariés qui bénéficient d'un régime particulier.
Pour autant, malgré l'investissement important qu'ils représentent, les CES n'ont pas eu l'effet escompté pour les personnes auxquelles ils étaient théoriquement destinés. Non seulement « les publics prioritaires n'ont pas été les principaux bénéficiaires des CES, mais les tâches proposées ne correspondent pas aux objectifs initiaux », affirme la Cour. Les publics prioritaires au titre de la politique de l'emploi ne représentaient, en effet, que 36 % des entrées totales en CES en 1995 : 12 % pour les demandeurs d'emploi comptant plus de trois ans de chômage, 18 %pour les titulaires du RMI chômeurs depuis plus d'un an et 6 % pour les personnes handicapées.
Pire, la recherche des résultats quantitatifs a conduit à une « banalisation des tâches proposées aux salariés alors que les CES devaient répondre à des besoins collectifs non satisfaits et ne pas concurrencer l'emploi permanent ». Les emplois recensés recouvrent le plus souvent des tâches classiques, administratives notamment, au détriment de tâches sociales plus novatrices, note encore la Cour des comptes. Aujourd'hui, le fonctionnement de nombreux établissements de santé repose partiellement sur des CES. « Des emplois durables ont été ainsi remplacés par des emplois précaires, à la faveur d'une gratuité souvent totale pour l'employeur. » L'interdiction des CES dans les services de l'Etat a été délibérément tournée dans différentes administrations, parfois sur encouragement exprès de l'autorité hiérarchique. Ainsi, le ministre de l'Intérieur a invité les préfets, en novembre 1994, à recruter sur des emplois de CES pour étoffer les services d'accueil dans les préfectures. Même les DDTEFP ont reconnu avoir utilisé les services de salariés en CES. « Ces montages anormaux, déplore la Cour, recréent, dans la précarité, une nouvelle catégorie D parmi les agents de l'Etat. » Dernier constat, les actions entreprises pour favoriser un retour à l'emploi durable de ces salariés « ont été décevantes ». Les études réalisées établissent en effet que la sortie vers l'emploi reste faible et que le dispositif des CES « tend de plus en plus à sélectionner les meilleurs et à rejeter les autres ». Le quart seulement des salariés sortant de CES accède à un emploi non aidé, précise le rapport.
(1) Rapport public 1996 de la Cour des comptes - Direction des journaux officiels : 26, rue Desaix - 75727 Paris cedex 15 - Tél. (1) 40.58.78.78 - 130 F.