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Comment faire participer les habitants ?

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La participation des habitants au processus de décision concernant les projets urbains apparaît de plus en plus nécessaire. Elle induit généralement une meilleure satisfaction des usagers. Mais sa mise en œuvre demande un certain savoir-faire.

Cela pourrait sembler un thème ancien et usé. Depuis deux décennies au moins, la notion de participation des habitants aux décisions concernant leur habitat et leur environnement figure en bonne place dans la réflexion menée autour de la gestion urbaine des zones sensibles. La piste n'est pas nouvelle, certes, mais elle est en plein renouvellement. « La relation des habitants et des acteurs institutionnels doit être considérée comme un fil conducteur pour accomplir de nouveaux progrès dans les quartiers et à partir des quartiers », notait ainsi Georges Mercadal, délégué général de l'Union des fédérations d'organismes d'HLM  (Unfohlm), à l'occasion de la première rencontre nationale du GIE villes et quartiers (1). Ce GIE, créé le 11 avril 1996 par la Caisse des dépôts et consignations  (CDC) et l'Unfohlm pour « apporter son soutien financier à des projets présentés par les acteurs locaux, spécialement les organismes d'HLM et les villes », a ainsi décidé de consacrer 8 millions de francs -sur un budget total de 80 millions - à un programme intitulé « Initiatives des habitants »   (2). Une démarche qui correspond à l'ambition d'être un « laboratoire de nouvelles pratiques professionnelles » en encourageant la participation des citoyens (en l'occurrence, les locataires d'HLM) aux choix qui relèvent habituellement exclusivement d'institutions telles que les offices publics et les sociétés anonymes d'HLM (ils sont 600 organismes à gérer aujourd'hui 3,5 millions de ces logements en France).

A la périphérie du métier

Cette prise de conscience de la CDC et de l'Unfohlm relève d'un constat : « Il est vain aujourd'hui de vouloir se limiter à son rôle traditionnel, c'est-à-dire le bâti. Dans le contexte social actuel, on se doit d'intervenir au cœur et à la périphérie du métier », affirme André Barthélémy, administrateur délégué du GIE (au titre de l'Unfohlm). Un souci qui semble de plus en plus prégnant puisque « une réunion exceptionnelle des organismes d'HLM devrait avoir lieu très prochainement, en dehors du congrès annuel », précise Georges Mercadal. Une optique de travail qui met la barre assez haut, voulant surtout dépasser les simples et bonnes intentions : « Le cynisme institutionnel du type “on va aller superficiellement pour la forme vers les habitants” ne peut plus avoir de place dans la gestion urbaine », tranche ainsi la directrice du développement d'ALFA (3), Monique Robert, qui affine son propos : « Il faut qu'il y ait un intérêt réciproque. Les organisations doivent ressentir la nécessité impérieuse de faire intervenir les habitants sans se déresponsabiliser. » C'est précisément ce qui s'est produit aux Aigues-Douces (4), un quartier de 30 000 habitants, à Port-de-Bouc dans les Bouches-du-Rhône. Sous l'égide de l'OPAC sud de Marseille, la réhabilitation d'une cité de 700 logements très dégradés connaissant des liens de voisinage assez tendus a été décidée. « Dès le départ, on a associé les habitants à l'opération : on a fait 200 relogements en concertation avec les locataires », explique Martine Lahondes, de l'OPAC sud de Marseille. La satisfaction des locataires, cette préoccupation a guidé les options du bailleur qui souligne : « On a même déterminé avec les gens ce qu'ils souhaitaient dans leur hall d'immeuble : des plantes ou des tableaux. » A l'inverse : « Nous avons engagé un processus de réhabilitation classique dans le quartier Allende à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), sans approche globale préalable, raconte Philippe Lamotte, responsable de l'office public d'HLM du secteur. Et nous avons débouché sans nous y attendre sur du social : nous avons découvert des réseaux d'entraide familiale pour la garde des enfants que nous ne soupçonnions pas et une attente non formulée dans ce domaine. On en est venus à réfléchir au montage d'une halte-garderie avec les habitants. »

Une démarche pragmatique

Des avancées certaines « quand on pense que lors d'un congrès sur les relations entre bailleurs et usagers, en 1974, il y avait à peine une vingtaine de représentants d'HLM. On peut dire qu'on a été un peu longs à réagir sur cet enjeu et à en réaliser l'importance », reconnaît Daniel Asseray, maire adjoint à Nantes après avoir été directeur général de l'office public d'HLM Nantes Habitat. Effectivement, les temps ont changé. On voit, comme bien d'autres, l'OPAC de Montpellier revendiquer sa mobilisation sur cette question : « On connaît tous les habitants, cage d'escalier par cage d'escalier. On est à l'écoute des associations de locataires. On mène ensemble des réunions et une longue réflexion pour l'amélioration du cadre de vie. » Attitude qui rencontre encore quelques résistances - même si elles se font plus rares - du type de celle émise par un responsable d'HLM. Celui-ci se disant peu favorable à la participation des citoyens, car « les institutions ont déjà tellement de mal à travailler ». Cela dit, comme l'énonce le GIE, cette tendance actuelle ne relève pas d'un choix « idéologique » mais « pragmatique ».

A la recherche de la satisfaction des habitants

L'évolution repose, en effet, « sur le simple constat de l'efficacité de cette solution : les projets portent de meilleurs fruits quand les habitants sont acteurs », indique le GIE. Conviction confortée par de nombreuses études, notamment celles menées par le Centre scientifique et technique du bâtiment dont le chef de division, Michel Bonetti, affirme : « La satisfaction des habitants est davantage liée aux relations de voisinage et à l'environnement urbain (la propreté, la sécurité, l'accès aux services publics) qu'au logement lui-même. Il y a un décalage complet entre les politiques centrées sur le bâti et les attentes des usagers.» Remarque qui résulte des enquêtes menées en France mais également à l'étranger. « Nous travaillons en relation avec l'European Network for Housing Research, créé en 1988, au sein duquel la confrontation des travaux menés dans différents pays ne fait que confirmer cette thèse », ajoute le sociologue. Thèse totalement approuvée par le directeur du bureau d'études Tetra, Serge Brunet, qui va même jusqu'à considérer que « les opérations de réhabilitation accélèrent le processus de réorganisation sociale ». Une perspective partagée par le vice-président du Conseil national des villes, François Geindre, dont l'approche est cependant moins théorique : « De nos jours, on ne peut plus séparer la gestion du patrimoine immobilier de la gestion de ceux qui l'occupent. Mais cela ne se fait pas forcément dans des grands plans. Que veulent les gens ? Une réponse immédiate au jour le jour. En fait, ils veulent de la réparation au quotidien. »

Un champ ambigu qui nécessite du savoir-faire

Concrètement, néanmoins, l'implication des habitants n'est pas une mince affaire. Pour Daniel Asseray : « C'est un champ ambigu. On voit des institutions se servir de cette notion de façon détournée. Exemple : organiser une réunion avec les habitants pour les faire soi-disant participer à une décision, en réalité, déjà prise. » L'institution escompte, dans ce cas, la mise en œuvre d'un projet peu consensuel avec la caution des habitants qui s'estiment, si la stratégie est menée habilement, parties prenantes. Déviance et solution de facilité pour obtenir un assentiment à peu de frais. Car si la nécessité de la consultation est unanimement reconnue, il faut cependant admettre qu'elle induit une forte dépense d'énergie de la part des organismes publics. Comme l'explique Michel Bonetti : « On a vu beaucoup d'échecs. Certains pensent qu'il suffit de réunir les gens pour avaliser une réhabilitation. C'est loin d'être aussi évident. Cela demande un savoir-faire très pointu. On ne manipule pas facilement des personnes qui ont été méprisées pendant des années. » Un savoir-faire qui pourrait s'inspirer de quelques règles minimum. En premier lieu, savoir estimer si les habitants venus à la réunion sont représentatifs de la cité qui fait l'objet d'un programme urbain. Deuxièmement, savoir interpréter la demande des habitants, tâche particulièrement complexe car, souvent, le désir réel n'est pas celui exprimé verbalement. Exemple fourni par Michel Bonetti : « Des habitants réclament des rondes de chiens policiers pour leur sécurité et ne sont cependant pas satisfaits par l'instauration de cette mesure car elle accroît leur sentiment d'insécurité. Dans ce cas de figure, on pourrait imaginer que la pose d'interphones dans les entrées d'immeuble serait une réponse judicieuse à la demande implicite. » D'où un troisième élément à retenir : savoir faire émerger des profondeurs d'une vie quotidienne difficile une volonté des habitants qui soit réfléchie, donc mûrie. Autant de pistes indicatives qui requièrent « de la méthode, du temps, un investissement en matière grise et des moyens financiers », résume Jacques Depaw, directeur à la direction régionale Ile-de-France de la CDC. Idéalement, on devrait pouvoir parvenir à un « diagnostic partagé », selon la formule de Francis Rathier, directeur d'études au Bureau d'études et de recherches sociologiques (Bordeaux). Ce qui reviendrait à travailler avec les habitants le plus en amont possible et à abandonner l'idée d'arriver devant eux avec un projet, de le leur soumettre, puis de tenir compte de leur avis (dans le meilleur des cas).

Manier avec attention et doigté la parole des usagers, leur consacrer du temps et des moyens financiers, leur donner une place dès l'enclenchement de la réflexion autour du projet urbain pour dégager ensemble la meilleure solution, tels sont les axes qui sous-tendent une participation citoyenne digne de ce nom. Des axes qui permettent d'espérer « les meilleurs fruits », comme l'exprime le GIE. Mais cette efficacité n'est pas systématiquement au rendez-vous, rappelle le maire adjoint de Grenoble, Jean-Philippe Motte : « Si les habitants ont dit leur mot sur un projet, cela donne généralement une garantie quant à leur satisfaction future et, surtout, quant à leur respect des immeubles et des espaces alentour. Mais c'est une hypothèse de départ. Le résultat n'est jamais sûr. » Un doute qui a d'ailleurs poussé le bureau d'études Urbanis à réaliser un travail d'enquête sur cette « hypothèse »   (5) dont le résultat est tout en nuances : si la participation des habitants est souvent « un plus », elle « n'est peut-être pas la condition suffisante à la réussite du projet » quand ce dernier appelle « des modifications importantes du cadre de vie ».

Emmanuelle Heidsieck

Notes

(1)   « Première rencontre nationale du GIE villes et quartiers : nouvelles initiatives, nouveaux projets », organisée le 18 septembre 1996, au CNIT, Paris-La Défense - Tél. 1 40.75.68.84.

(2)  Ce budget de 80 millions de francs est établi pour trois ans (1995-1996-1997) et finance des projets déjà lancés tel « Le programme 50 quartiers », qui a démarré en janvier 1992 et se poursuit actuellement, auquel se sont ajoutés, en 1996, trois programmes thématiques : « Initiatives des habitants », « Gestion urbaine » et « Recrutement par les organismes d'HLM de chargés de mission gestion urbaine ».

(3)  ALFA est la filiale de la Caisse des dépôts et consignations spécialisée dans l'ingénierie sociale.

(4)  Les deux quartiers cités (Les Aigues-Douces et Allende) sont soutenus par le GIE villes et quartiers.

(5)  La participation des habitants aux processus d'élaboration des projets urbains, travail mené par le bureau d'études Urbanis dans trois sites (Villiers-le-Bel, Vaulx-en-Velin et Perpignan), février 1996. Tél. 1 48.00.04.00.

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