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Un comité pour prévenir la maltraitance

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Depuis 1989, les conseils généraux sont responsables de la prévention des mauvais traitements sur mineurs. La Seine-et- Marne a su innover en faisant participer les enfants, en instaurant des groupes de travail productifs et surtout en dépassant les blocages administratifs.

Dans le département de Seine-et-Marne, la loi de 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance n'est pas restée lettre morte, c'est le moins que l'on puisse dire. Le conseil général est même allé au-delà de l'esprit de la loi, en faisant des enfants les acteurs de la prévention des mauvais traitements. Quelques mois seulement après la promulgation du texte, en octobre 1989, le conseil général crée le Comité départemental de prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs. Après des débuts plutôt balbutiants, le comité trouve un second souffle en 1992. C'est à cette date que Pascal Vivet, chargé de mission à la direction de l'action sociale de Seine-et-Marne (1), pense à demander leur avis aux principaux intéressés : les enfants.

Les enfants parlent de la maltraitance

Deux groupes de travail voient le jour, l'un réunissant une dizaine d'enfants âgés de 8 à 12 ans, l'autre composé de dix enfants également, de 12 à 16 ans. « Nous avons constitué ces groupes en lien avec l'inspection d'académie, qui a lancé un appel dans les établissements scolaires, explique Pascal Vivet. Les enfants ont donc été élus par leurs copains. » S'il a beaucoup insisté pour que les enfants soient consultés sur la question de la maltraitance, celui-ci n'en reste pas moins conscient des risques d'une telle initiative : « C'est difficile car on peut très vite tomber dans la démagogie. Il est évident que les enfants ne vont pas nous apporter des solutions toutes faites, mais j'estime qu'il était important de connaître leur sentiment sur ces questions. D'ailleurs, les enfants ont été très clairs dès le début. Ils nous ont dit : nous, on veut bien en parler, mais il faut que cela serve à quelque chose. »

Pendant six mois, les membres du comité de prévention ont donc écouté les enfants, pour savoir comment ils se représentent le problème de la maltraitance. « C'était très instructif, souligne Pascal Vivet. Ils nous ont expliqué que s'ils étaient maltraités, ils n'en parleraient pas. Certains par honte, d'autres parce qu'ils étaient persuadés que les adultes ne les croiraient pas s'ils n'avaient pas de marques. Une jeune fille nous a raconté qu'elle avait été obligée de déchirer son anorak pour que ses parents croient, enfin, qu'elle était rackettée à la sortie du lycée. » D'autres ont avoué : « Nous ne voudrions pas être séparés de nos parents pour aller dans un foyer de la DDASS... sauf en cas de violences sexuelles. »

Enfants et adolescents se sont également exprimés sur la façon dont ils percevaient l'appareil de protection de l'enfance. Une vision misérabiliste, pour le moins. « Ils voulaient se cotiser pour que les enfants vivant en foyer puissent dormir dans de bons lits... Nous leur avons expliqué qu'ils avaient déjà une literie correcte. » Les réunions de travail des enfants ont été filmées puis montées en un petit film qui, aujourd'hui, peut circuler dans les établissements scolaires et susciter des débats.

Le comité ne s'est pas arrêté là. « Base de travail intéressante », comme le souligne Nanou Olivotti, assistante sociale, attachée de direction dans un CMPP (2) et membre du comité de prévention, la participation des enfants a eu pour effet - tout simplement - « de les informer et de les prévenir des risques de maltraitance ». D'autant que le comité leur a fait visiter les différentes institutions de l'appareil de protection de l'enfance, comme la brigade des mineurs ou les assises. Enfin, certaines de leurs idées ont été retenues. « La loi impose un affichage des coordonnées du service d'accueil téléphonique dans tous les établissements recevant des mineurs, rappelle Pascal Vivet. Or, ils nous ont fait remarquer que cette mesure n'était pratiquement pas appliquée. Ils nous ont demandé de ne pas coller ces affiches près du bureau du surveillant général, parce qu'il n'avait pas à savoir si tel ou tel enfant avait un problème. Ils nous ont conseillé de mettre des affiches dans les MacDo, et pas seulement dans les bibliothèques. » Enfin, revendication aussitôt suivie d'effet : la présence d'avocats qui puissent les écouter et les défendre. Depuis le 15 septembre dernier, des permanences d'avocats sont organisées tous les mercredis après-midi à Meaux, Melun et Fontainebleau.

Dépasser les blocages administratifs

Le principe de ces groupes de travail constitués d'enfants n'est remis en cause par aucun des membres du comité de prévention, même si chacun en souligne les limites. Mais surtout, ce n'est pas là le seul intérêt du comité. L'on serait tenté de dire que ce qui est innovant en Seine-et-Marne, c'est que ça marche. Les représentants de la Justice, de l'Education nationale, de la police et des services sociaux ne se contentent pas de se réunir, mais affirment avoir appris à se connaître et avancer ensemble. « Cela fait 20 ans que je travaille avec les différentes institutions chargées de la protection de l'enfance, explique Antoine Lopez, chef enquêteur à la brigade des mineurs de Melun (3). J'ai donc vécu de nombreuses situations de conflit entre les unes et les autres. J'ai participé à beaucoup de réunions où chacun repart sur ses positions, avec ses préjugés. Les travailleurs sociaux ne voyant que le côté répressif de la police, la police considérant les travailleurs sociaux comme trop laxistes. Au sein du comité départemental, nous sommes parvenus à dépasser ce stade. Nous avons enfin réalisé que nous travaillons tous pour un même objectif. » Son de cloche identique du côté de Noël Boursin, directeur du Dispositif d'accompagnement et d'intervention sociale (4) à Melun : « Nos réunions ont rapproché les institutions. » Chacun affirme que, désormais, derrière la Justice, l'Education nationale, la police, les PMI, etc., il y a un visage, un numéro de téléphone, une compétence et éventuellement une réponse à ses interrogations. Ce qui a des implications très concrètes sur le terrain lorsque se pose un cas de maltraitance : « On décroche plus facilement son téléphone. Du coup, les problèmes se règlent, parce que l'on discute entre nous et que l'on se fait confiance », souligne Nanou Olivotti. « J'ai le sentiment que dans d'autres départements, à de rares exceptions près, c'est chacun pour soi », ajoute le docteur Steiwslneder, membre du comité de prévention, pédiatre et représentant du Conseil de l'Ordre des médecins (5). « Auparavant, par exemple, les travailleurs sociaux n'appelaient pas les représentants de la justice car ils pensaient qu'ils ne sauraient pas bien s'y prendre avec tel enfant. Aujourd'hui, les deux institutions discutent et chacune fait part de ses craintes à l'autre. Donc chacun prend en compte les compétences de l'autre. »

Trois groupes de travail

La clé de cette réussite ? La présence d'un homme, tout d'abord, Pascal Vivet. « Son militantisme pour la protection de l'enfance », souligné par René Blanc, directeur départemental de la protection judiciaire de la jeunesse  (4), à Melun, n'est pas seul responsable. Très concrètement, il joue le rôle de coordonnateur - essentiel dans ce comité départemental de 90 personnes, représentantes de grandes institutions qui ont l'habitude de se croiser sans vraiment s'écouter. « Il est un moteur permanent, ajoute René Blanc. C'est important qu'une personne soit chargée à plein temps de dynamiser le comité. C'est le seul moyen pour qu'il fonctionne. »

La bonne marche du comité de prévention des mauvais traitements est également due à l'organisation et à la répartition des tâches. Outre les deux groupes de réflexion réunissant les enfants, il existe trois autres groupes de travail composés des membres du comité. Chacun réfléchit et avance des propositions sur les trois thèmes suivants : « La maltraitance dont peuvent être victimes les enfants en dehors de la famille », « La coordination entre l'administration et la justice » et « Le rôle de la famille ». « L'assemblée plénière ne se réunit que deux ou trois fois par an, explique Pascal Vivet. Mais les groupes travaillent beaucoup plus souvent ensemble, et font ensuite valider leurs propositions par l'assemblée plénière. » Exemple : le groupe chargé de réfléchir à la coordination entre l'administration et la justice a mis au point un protocole d'accord qui définit les modalités pratiques de cette collaboration entre les deux institutions. « Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce protocole est très concret, souligne Pascal Vivet. Il prévoit, lors d'un problème grave et complexe de maltraitance, que l'administration et la justice se réunissent sous les 24 ou 48 heures pour le régler, ce qui s'est déjà produit une dizaine de fois cette année. » Les autres groupes de travail ont mis au point des séances d'information sur les questions de maltraitance auprès des enseignants, des assistantes sociales, des agents de surveillance de nuit, etc. Un livret a été distribué dans les maternités auprès de parents pouvant, éventuellement, devenir maltraitants : ce guide explique l'attention dont a besoin un bébé, il définit les situations de maltraitance et donne des adresses utiles.

Passer à la vitesse supérieure

Difficile, cependant, de mesurer l'efficacité du comité de prévention. Certains, comme Antoine Lopez, estiment qu'il est temps, maintenant que les clivages administratifs ont été dépassés, de passer à la vitesse supérieure en étant plus concret, en engageant des actions plus pratiques de prévention sur le terrain. D'autres, comme Nanou Olivotti, voient encore plus loin : « Nous travaillons sur la prévention, et c'est une très bonne chose car j'ai le sentiment que c'est efficace. Mais nous sommes obligés de nous poser une autre question : une fois la prévention assurée, que fait-on au niveau de la prise en charge des enfants maltraités ? Pour l'instant, cette interrogation reste entière : nous n'avons pas les moyens de prendre en charge tous les cas qui se présentent à nous dans les centres médico-psycho-pédagogiques. Nous fonctionnons avec des listes d'attente. Il faudra bien répondre à cette question un jour ou l'autre. »

Anne Ulpat

1 100 ENFANTS EN DANGER EN 1995

Avec 320 000 enfants âgés de moins de 18 ans sur une population totale d'un peu plus d'un million de personnes, la Seine-et-Marne - département le plus jeune de France - connaît une augmentation des enfants en danger de 20 % chaque année (6), contre 12 % au niveau national (7). En 1995, 1 100 signalements ont été reçus par la cellule signalement du conseil général. Ils sont répartis de la façon suivante :

 maltraitance : 213 situations, soit 14 % des appels 

 absentéisme chronique :142 situations, 10 % 

 danger moral : 305 situations, 21 % 

 délaissement : 104 situations, 7 % 

 délinquance, enfant en danger :73 situations, 5 % 

 violences sexuelles : 180 situations, 12 % 

 manque de soins : 73 situations, 5 % 

 problèmes relationnels : 317 situations, 22 % 

 autres : 64 situations, 4 %.

Notes

(1)  DASSMA : 19, rue Saint-Louis - 77000 Melun - Tél. 1 64.14.77.30.

(2)  Centre médico-psycho-pédagogique : 36, rue Aristide-Briand - 77300 Fontainebleau - Tél. 1 64.22.11.27.

(3)  DDSP : 51, av. du Général-de-Gaulle - 77000 Melun - Tél. 1 60.56.67.77.

(4)  DAIS : 11, av. Thiers - 77000 Melun - Tél. 1 64.39.45.21.

(5)  Conseil de l'Ordre : 11, bd de l'Almont - 77000 Melun - Tél. 1 64.52.15.45.

(6)  Ces chiffres proviennent de la cellule signalement du conseil général de Seine-et-Marne.

(7)  Selon les derniers chiffres de l'ODAS. Voir ASH n° 1989 du 20-09-96.

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