« Pierre a repoussé la couverture, puis remonté le drap jusqu'à mi-poitrine. Il compte les lits successifs : celui de son séjour au foyer de l'enfance, ceux de Mamie et de Mme Detil, ceux de sa mère, à Sarcelles puis à Boulogne-sur-Mer. Et le lit de Lumbres. » Placé dès l'âge de 5 ans, Pierre connaît la vie discontinue et segmentée des enfants ballotés, entre faux espoirs et vaines promesses, d'un lieu d'accueil à l'autre... Décors différents pour « une histoire toujours recommencée ».
Dans ce court roman, écrit avec sensibilité et nuance, Bertrand Dubreuil, éducateur spécialisé et sociologue, déroule les fils de l'existence chaotique de Pierre Mallard, « pantin désarticulé » entre les personnages incertains de sa mère, de son père et de son beau-père, à la recherche d'un passé verrouillé par le secret familial. Tout l'art de l'auteur étant d'être parvenu, à travers ce drame ordinaire, à trouver les mots justes, tout en évitant les pièges de la sensiblerie, pour évoquer la déchirure de la séparation, l'angoisse et la révolte de celui qui, « repoussé dans ses questions », se voit « interdit de nom ». Nul doute qu'au-delà de tous les écrits sur l'enfant placé, seul le roman pouvait rendre compte de ce vide incommensurable né de l'incertitude du lien.
Pierre, fils de rien - Bertrand Dubreuil - Ed. L'Harmattan - 85 F.