Ecole : violence ou incivilité ?

« Sommes-nous en présence d'une brutale flambée de violence ? », s'interroge Eric Debarbieux dans ce premier tome de La violence en milieu scolaire. Un document dans lequel il tente de dresser un état des lieux objectif de la situation, s'appuyant pour cela sur les statistiques officielles et sur une enquête menée dans toute la France auprès de 14 000 élèves d'âges différents, et de 700 adultes. Principale conclusion : à l'exception notable du racket, le milieu scolaire est encore largement à l'abri des violences délictuelles, même s'il se sent menacé. «  Le climat moyen semble beaucoup plus apaisé qu'on ne le craint parfois », explique l'auteur. Un constat qui s'appuie, toutefois, sur des données assez partielles dans la mesure où, actuellement, seules les statistiques 1993-1994 du ministère de l'Intérieur donnent une vision globale des violences scolaires pénalisables, autrement dit des crimes et des délits. Ainsi, en 1993, on a déploré, en France, à l'encontre des élèves, un homicide, 771 coups et blessures volontaires (dont 49 % à l'intérieur même des établissements scolaires et plus de 75 %sans arme), 983 actions de racket (dont 320 dans les établissements) et 244 attentats aux mœurs. La même année, les personnels de l'Education nationale ont été victimes d'un homicide, de 210 coups et blessures volontaires (dont 195 à l'intérieur des établissements et plus de 82 % sans arme), de 770 dégradations volontaires et de 3 694 vols. Autant de chiffres qui semblent peu élevés, rapportés à la masse des élèves (14 millions) et à l'effectif total des personnels de l'Education nationale (1,1 million).

Toutefois, souligne l'auteur, ces données ne rendent pas compte de la toute petite délinquance et des « affaires » réglées directement au sein des établissements. Autrement dit, de tous les actes que l'on peut ranger dans la catégorie des « incivilités »  - insultes, mouvements d'humeur, dégradations peu importantes mais quotidiennes - qui rendent l'ambiance d'un établissement scolaire plus ou moins tendue. Or, s'inquiète Eric Debarbieux - qui a mesuré très concrètement le « climat » de nombreux établissements scolaires - ces incivilités sont d'autant plus préoccupantes qu'elles apparaissent comme « la marque d'une transgression de l'ordre en public, une perte intolérable des repères qui permettent de s'orienter dans le monde ». Pour lui, chiffres à l'appui, ce phénomène est d'abord lié aux difficultés sociales des populations. «  Ce n'est pas qu'il existe un handicap socio-violent et les élèves de banlieue populaire ne sont pas des sauvages [...]. Mais il faut bien en convenir, la violence dans les structures scolaires est liée aux déterminants sociaux de la population qu'elles accueillent. Une sociologie de la violence à l'école est d'abord une sociologie de l'exclusion », martèle-t-il. Sans parler de l'ethnicisation progressive de la violence scolaire. A cet égard, observe l'auteur, « nous nous heurtons aux limites de notre modèle d'intégration ». « Chez les élèves, il y a plus d'amour déçu pour l'école que de réel rejet », explique-t-il, constatant que la violence apparaît lorsque «  la déliaison entre promesse d'intégration et réalité sociale et scolaire est trop importante ». Pourtant, des solutions existent. Ce que démontrent certains établissements scolaires qui parviennent, «  sur le fil du rasoir », à maintenir un bon climat, notamment en nouant des liens avec leur environnement direct. Des initiatives qu'il convient d'encourager car « le pire serait une école qui se fermerait sur elle-même », aggravant ainsi la coupure sociale, conclut l'universitaire.