Huit ans après sa création, la DIRMI pourrait ainsi passer au second plan du paysage administratif. Ce qui marquerait probablement la fin d'une époque car cette structure de petite taille - guère plus de 15 personnes y travaillent - avait été conçue, à l'origine, pour donner une véritable visibilité politique et administrative au revenu minimum d'insertion (seul dispositif social à disposer de sa propre délégation). Avec, à sa tête, Bertrand Fragonard, spécialiste des questions sociales, ex-commissaire général au Plan et proche conseiller de Simone Veil au ministère des Affaires sociales, de 1993 à 1995. « La décision de créer la DIRMI correspondait à une volonté politique forte », témoigne Michel Raymond, qui participa de près à la rédaction de la loi sur le RMI en mai et juin 1988, étant alors directeur de cabinet de Georgina Dufoix, ministre délégué à la solidarité et à la famille du gouvernement Rocard. « En effet, poursuit-il, le gouvernement de l'époque souhaitait disposer d'une structure qui ne soit pas engluée dans l'administration ordinaire, qui ait une capacité d'action rapide et, surtout, qui constitue un interlocuteur valable pour les cabinets ministériels. Cependant, s'il n'y avait eu que la partie revenu minimum, je suis convaincu qu'il n'y aurait pas eu de DIRMI. C'est bien la dimension insertion du dispositif qui justifiait une structure interministérielle, dans la mesure où elle concerne plusieurs administrations : la santé, l'emploi, le logement, l'action sociale, les départements d'outre-mer... Il y avait donc besoin d'un véritable travail de coordination interministérielle et d'animation du dispositif sur le terrain. »
Depuis, la DIRMI s'est maintenue, passant alternativement, et au fil des gouvernements, de la tutelle de Matignon à celle du ministère des Affaires sociales. Elle a cependant été amenée, parfois, à batailler ferme avec les cabinets ministériels et, surtout, les administrations centrales. Par exemple, avec la délégation à l'emploi concernant l'attribution aux bénéficiaires du RMI d'un certain nombre de contrats emploi-solidarité. Même chose pour la mise en place des contrats emplois consolidés à propos desquels la DIRMI dut faire appel à l'arbitrage du Premier ministre. D'où le reproche fait parfois à la délégation de venir « manger le pain des autres administrations », selon l'expression d'un haut fonctionnaire des affaires sociales. « La DIRMI n'a pris les compétences d'aucune direction des principaux ministères. Elle est simplement chargée de les coordonner. Or, les administrations vivent ça plus ou moins bien. Certaines défendent leur pré carré. D'autres se déresponsabilisent. Ce sont les écueils inhérents à ce type de structure », rétorque Michel Raymond avec philosophie.
Reste qu'en dépit de ces difficultés, et à l'heure de réintégrer l'IGAS, l'ex-délégué adjoint au RMI - par ailleurs maire (PS) d'une commune de 6 000 habitants - dresse un bilan plutôt positif de l'action de la DIRMI. « J e pars avec quelques regrets mais globalement je suis plutôt satisfait. Le RMI s'est complètement intégré dans le paysage, malgré des critiques dont certaines peuvent d'ailleurs se justifier. » Une satisfaction partagée par Bertrand Fragonard qui, s'il se refuse au moindre commentaire sur l'évolution de la DIRMI, se dit « très heureux » des huit années passées à sa tête. « C'était une expérience passionnante et je suis assez fier de ce qui a été fait. Le RMI est un outil utile. Il faut continuer d'appliquer la loi, sous réserve d'adaptations. » Lesquelles ? On n'en saura pas plus, l'ancien délégué interministériel ne souhaitant pas en dire davantage sur ce sujet. Comme d'autres d'ailleurs qui, sollicités par les ASH, ont refusé de répondre ou ont souhaité conserver l'anonymat. Tel ce haut fonctionnaire des affaires sociales qui, s'il reconnaît que la délégation a constitué, au départ, une véritable force de propositions, regrette que, par la suite, elle se soit trop peu préoccupée de l'animation de ses réseaux départementaux. « Ceci dit, ce qui compte dans la période récente de la DIRMI, ce n'est peut-être pas tant ce qu'elle a fait que les dérives qu'elle a contribué à contenir », nuance-t-il.
Toujours est-il que si le RMI est devenu incontournable dans le paysage des politiques sociales, plusieurs points noirs demeurent. En particulier l'augmentation continue du nombre d'allocataires - aujourd'hui ralentie - qui a frôlé les 20 % de hausse certaines années. « Honnêtement, reconnaît Michel Raymond, lors de l'adoption de la loi sur le RMI, nous n'imaginions pas atteindre comme aujourd'hui le million d'allocataires. Les ordres de grandeur tournaient plutôt autour de 500 000, avec un peu plus de familles et moins de célibataires. En 1988, nous étions dans une période de croissance économique forte et le chômage régressait légèrement. Du coup, le RMI apparaissait comme un dispositif transitoire. Mais dès que l'on a vu quels étaient les publics concernés, on a compris que l'on ne réglerait pas le problème en trois ans. » Autre difficulté persistante : le rendement insatisfaisant du volet insertion. Et ceci malgré la multiplication des initiatives sur le terrain et même si les taux de sortie du RMI ne sont pas négligeables comparés à ceux du chômage de longue durée. « Malheureusement, les nouveaux moyens mis en œuvre en matière d'insertion ont toujours été en retard par rapport à la croissance des effectifs. Par exemple, sur le volet insertion professionnelle, on stagne aux alentours de 30 % de bénéficiaires rentrant chaque année dans un emploi ou une formation. Nous n'avons jamais réussi à atteindre les 50 % », regrette l'ancien délégué adjoint. Sans parler du manque de mobilisation de certains conseils généraux et, parfois, des services déconcentrés de l'Etat.
La lettre de cadrage budgétaire du ministère des Affaires sociales pour 1997 prévoit qu'une économie de 500 millions de francs (sur un montant de 24,2 milliards) pourrait être réalisée sur le RMI en renforçant les contrôles et en mettant en œuvre la récupération sur succession et l'obligation alimentaire (qui sont prévues par les articles 30 et 23 de la loi sur le RMI, mais non appliquées). Pourtant les effets pervers de l'obligation alimentaire sont connus. Beaucoup d'allocataires en situation de rupture familiale risquent de se trouver face à une alternative difficile : demander le RMI au prix d'éventuels conflits familiaux, ou y renoncer. Sans parler de ceux qui s'exclueront d'eux-mêmes du dispositif par crainte de dévoiler leurs difficultés à leur famille ou pour ne pas mettre celles-ci à contribution. Au ministère des Affaires sociales on indique qu'il « n'a jamais été envisagé de subordonner systématiquement l'attribution du RMI à l'examen des ressources des parents et des enfants ». Tout en ajoutant néanmoins que « les difficultés que peut soulever au regard de l'équité le cas de jeunes demandeurs de plus de 25 ans dont les parents bénéficient de revenus élevés font l'objet d'un examen en vue de leur apporter une solution appropriée ». Par ailleurs, confirmant les craintes de certains, le ministère annonce, sans plus de précision, que la loi de cohésion sociale comprendra « les dispositions nécessaires pour orienter efficacement par l'insertion professionnelle et l'emploi les allocataires du RMI ».
D'ailleurs, certains responsables politiques ne se privent plus, désormais, de stigmatiser un système qui, selon eux, favorise une culture de l'inactivité. On se souvient des critiques décochées l'an dernier par Eric Raoult et Alain Juppé sur « la culture RMI » et sur la fraude (1). « Depuis deux ans, il n'y a pas eu de messages politiques forts sur le RMI. Sauf des messages négatifs. C'est un vrai problème pour la DIRMI et pour les gens du terrain », déplore Michel Raymond, craignant une modification très sensible du dispositif. Pour lui, trois dangers menacent le RMI : la limitation de la durée d'ouverture du droit au RMI, l'obligation de travail en contrepartie du revenu minimum et l'obligation alimentaire (voir encadré). Ne peut-on, pour autant, toiletter le dispositif ? « Probablement, mais nous manquons de marge de manœuvre car même les mesures de simplification ont tendance à coûter de l'argent », répond l'ancien délégué adjoint. Pourtant, poursuit-il, certaines améliorations seraient nécessaires, notamment sur le volet « droits sociaux ». « Normalement, tous les bénéficiaires sont couverts à 100 % par l'assurance maladie mais c'est un monstre administratif. Et, au vu des projets en cours, l'assurance maladie universelle risque de ne rien arranger. »
Dans ces conditions, faut-il conserver la DIRMI à tout prix ? Est-elle vraiment utile ? « Pas nécessairement, reconnaît Michel Raymond, d'autant que lorsque nous avons mis sur pied la délégation avec Bertrand Fragonard, il n'a jamais été question qu'elle perdure. » Il avait d'ailleurs été fortement envisagé de la supprimer en 1992, après l'évaluation du RMI et l'adoption de la nouvelle loi. Un projet qui n'avait pas été mis à exécution en raison de la stature de Bertrand Fragonard et de l'atmosphère de fin de règne qui empoisonnait, à l'époque, les hautes sphères politiques et administratives. Il n'en demeure pas moins que, pour l'heure, aucune décision ne semble définitivement arrêtée. Seule certitude : on se dirige, à terme, vers une fusion DAS-DIRMI. Laquelle a d'ailleurs été annoncée, cet été, par Alain Lamassoure, porte-parole du gouvernement (2). Les autres hypothèses qui avaient pu être envisagées semblent donc définitivement abandonnées, que ce soit la fusion DAS-DIRMI-DPM, ou encore le regroupement DIRMI-DIIJ-DIV. Reste à savoir quand se fera le rapprochement DAS-DIRMI. Selon Pierre Gauthier, elle devrait avoir pour cadre la réforme de l'Etat actuellement en cours et se faire selon une « é chéance raisonnable ». Sachant que le nouveau délégué interministériel juge prématuré de s'exprimer davantage.
La délégation peut-elle réellement se fondre dans la DAS ? Du côté de la direction de l'action sociale, bien qu'on ne l'affiche pas ouvertement, on est depuis longtemps favorable à cette fusion. Raisons invoquées : la DAS est l'administration qui a la plus grande expérience des opérations d'insertion. En outre, sur le terrain, la plupart des chefs de mission RMI entretiennent des liens étroits avec les services déconcentrés du ministère des Affaires sociales. « J e ne crois pas à l'utilité d'une fusion, estime en revanche Michel Raymond , dans la mesure où les champs de compétences de la DAS et de la DIRMI ne se recouvrent que très partiellement. Le volet “action sociale” ne représente qu'une fraction de notre travail. Nous passons plus de temps sur les questions de logement, d'emploi ou de santé. En outre, l'allocation du RMI n'est pas de la compétence de la DAS. C'est la direction de la sécurité sociale qui s'en charge. » Sans parler des obstacles liés à la culture administrative. En effet, au cas où la DIRMI deviendrait une sous-direction de la DAS, elle perdrait beaucoup de sa représentativité. « C'est un problème de positionnement institutionnel. Un délégué interministériel est reconnu au niveau interministériel. Pas un sous-directeur à la DAS », souligne l'ancien délégué adjoint au RMI. Un débat sans doute vain s'il se révélait que le RMI, dans sa philosophie actuelle, devait être remis en cause.
Jérôme Vachon
ASH : Pourquoi quittez-vous la DIRMI ?
M.R. : Je m'étais déjà posé la question il y a un an. C'est alors que nous avons été chargés de préparer la loi de lutte contre l'exclusion. La commande de Matignon était ambitieuse et nous avons cru pouvoir faire avancer les choses. Malheureusement, l'élaboration de ce texte a traîné en longueur. Et aujourd'hui, les ministres ne savent pas où ils vont. On se demande même s'ils ont vraiment envie, au-delà de la promesse présidentielle, qu'il y ait une loi exclusion. Ce n'est plus, pour le gouvernement, un axe de travail prioritaire.
ASH : Le projet risque-t-il d'être abandonné ?
M.R. : Non. La loi va tout de même se faire mais elle sera très modeste. La seule mesure un peu porteuse devrait être les emplois d'utilité sociale, qui doivent s'appeler les contrats d'initiative locale. Ce sera une nouvelle forme de contrats emplois consolidés. Apparemment, le gouvernement vise la création de 300 000 emplois, dont 27 000 sont financés pour l'an prochain. Sur le reste de la loi, l'aide médicale sera inchangée et la réforme du dispositif institutionnel départemental sera réalisée mais dans une version tellement modérée qu'elle sera facultative ou qu'elle n'aura pas de réel impact. De même, nous avons des craintes assez fortes sur les crédits d'insertion du RMI que certains voudraient déspécialiser. Ainsi, le nouveau conseil départemental pourrait élaborer un plan pour l'ensemble des publics démunis. Les crédits affectés jusque-là au RMI risqueraient alors de glisser vers d'autres publics avec le recyclage d'actions déjà financées par les conseils généraux.
ASH : Que reprochez-vous au projet de loi de cohésion sociale ?
M.R. : On va faire financer la lutte contre l'exclusion par les chômeurs. Quels que soient les gouvernements, il y a toujours des contraintes budgétaires. Ça n'est jamais facile. Mais aujourd'hui, il est clair que l'orientation consiste à faire des économies, dont une bonne part touche les milieux modestes. A mon sens, on va plutôt à l'inverse de la lutte contre l'exclusion. La loi-cadre représentera en apparence un gain positif. Mais, si l'on regarde la globalité des moyens affectés aux personnes les plus modestes, il y aura des milliards d'économies budgétaires. Ainsi, l'allocation de solidarité spécifique va être réformée. Ça fera 3 ou 4 milliards d'économies. Autres exemples : les allocations logement qui seront réduites, ou encore l'aide aux chômeurs créateurs d'entreprise qui ne subsistera plus que sous forme d'exonération. C'est l'un des très bons outils d'activation des dépenses passives qui va passer à la trappe.
(1) Voir ASH n° 1942 du 29-09-95.
(2) Voir ASH n° 1985 du 23-08-96.