Une volonté politique dynamique, une association solide, un conseil d'administration engagé, une idée généreuse et, enfin, une bonne dose de rêve : tels sont les ingrédients qui, selon Régis Barraquier, promoteur et directeur du foyer Loumet Intergénération, ont permis la création de cet ensemble situé dans un quartier ancien de Pamiers, à proximité du centre ville. « Le rêve, explique avec son accent chantant Régis Barraquier, c'était celui de voir un jour des “pépés” sortir des chaises devant leur foyer et s'installer en compagnie d'habitants du quartier, et de les entendre discuter en verlan avec des jeunes qui leur répondraient en patois ! » En des termes plus conventionnels, il s'agit de rompre l'isolement des générations, de lutter contre la ségrégation par catégories d'âges ou de problématiques et d'éviter ainsi la constitution de mini-ghettos.
Lorsque Régis Barraquier accepte de prendre la direction du foyer départemental de l'enfance, c'est une vieille institution qui périclite. Et que le département veut fermer, contre l'avis des services de la Justice. « J'avais alors posé comme condition, explique-t-il, la dissolution de l'association gestionnaire et la création d'une association de sauvegarde de l'enfance. J'avais déjà, à cette époque, l'idée de créer un foyer intergénération et j'avais besoin d'une association à support national. » C'est ainsi que l'Association départementale pour la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence de l'Ariège (ADSEAA) (1) naît fin 1987 juste avant l'entrée en fonction, le 1er janvier 1988, de Régis Barraquier.
Bien inséré localement et bénéficiant d'une longue expérience du travail social et de la politique familiale, celui-ci mesure rapidement la faisabilité de son projet. Petit département de 130 000 habitants, dont Pamiers avec ses 15 000 habitants est la ville la plus importante, l'Ariège ne disposait par exemple d'aucun foyer de jeunes travailleurs (FJT). Quant aux foyers pour personnes âgées, ils n'étaient destinés qu'à des personnes invalides.
« Le premier contrat que je me devais de remplir, se souvient-il, était de “remonter” les effectifs, pour retrouver à moyen terme un équilibre budgétaire. » Dans la foulée, Régis Barraquier fait voter à son conseil d'administration le principe de la création du foyer intergénération. Cinq ans de démarches et de recherches de financement seront alors nécessaires avant que le projet utopique ne prenne la forme de cet ensemble architectural chaleureux, ouvert sur l'extérieur...
Car si certains bâtiments ont été conservés tout en étant profondément rénovés, la plupart sont sortis de terre, conformément à un projet architectural adapté aux objectifs pédagogiques de l'établissement :des espaces privés préservent l'indépendance et la tranquillité des résidents et d'autres, communs, sont destinés à favoriser les rencontres. De larges surfaces vitrées, des murs couleur brique et ocre, donnent de l'ensemble une impression de chaleur et d'intimité, bien loin de la réalité de certains foyers destinés aux personnes âgées ou aux jeunes.
« La politique familiale éclatée que nous connaissons, analyse le directeur, génère des structures lourdes afin d'assurer leur viabilité financière. Vous ne trouvez guère de foyers de jeunes travailleurs à moins de 45 lits, de même pour les établissements pour personnes âgées. Outre les risques de ghetto que peut comporter une grande concentration de population identique, ajoute-t-il, cette politique entraîne trop souvent la relégation de ces établissements à la périphérie des villes. »
Pour combattre le risque de ghetto institutionnel, on a délibérément renoncé à aménager des espaces pour des activités internes. Pas de salle de télévision, pas de salle de ping-pong, les résidents sont invités s'ils le souhaitent à investir les associations existant sur la ville. Quant à la maison de quartier qui occupera l'ancienne chapelle de l'orphelinat, actuellement en cours de rénovation, elle se veut un pôle d'attraction des habitants de Pamiers et de rencontres avec les résidents. De même que le restaurant qui, s'il est bien sûr prioritairement destiné aux usagers et au personnel, se veut également ouvert au voisinage ou aux familles et invités. A l'opposé d'une cantine, on y rencontre ainsi, isolés ou en groupe, les personnes âgées résidentes ou les jeunes du foyer de l'enfance. Sans forcément observer le mélange rêvé par le promoteur du projet, il n'en demeure pas moins que l'on peut y voir par exemple une adolescente embrasser en passant telle ou telle personne âgée. Car le mot d'ordre du personnel éducatif - 11 éducateurs ou moniteurs-éducateurs, une conseillère ESF, 2 maîtresses de maison - est de surtout ne rien imposer en matière de rencontres entre générations. Beaucoup de choses, dit-on, se passent entre les résidents qui ne sont pas impulsées par le personnel. Ce peut être par exemple l'accompagnement d'une personne âgée qui se déplace avec difficulté pour la raccompagner dans sa chambre après le repas. Ou encore ces adolescents qui, durant un mois et à l'insu de leurs éducateurs, sont allés rendre visite à une résidente hospitalisée.
« Ce qui m'a séduit dans ce projet, explique Robert Oliveras, éducateur spécialisé auprès du groupe d'adolescents de la Villa des mille-hommes, la maison d'enfants à caractère social, c'est la possibilité de ce regard extérieur par des personnes d'autres générations, que ce soit par exemple les personnes âgées ou les jeunes travailleurs. C'est aussi la confrontation entre des personnes en difficulté et d'autres qui le sont moins. Les adolescents ne sont ainsi pas seulement confrontés à la parole de leurs éducateurs. Il est ainsi plus facile, ajoute-t-il, de faire passer des notions comme le respect ou l'attention aux autres. »
Plus facile en effet de faire comprendre aux jeunes travailleurs qui habitent au-dessus du foyer-logement pour personnes âgées (FLPA) la gêne que celles-ci peuvent éprouver lorsque la musique est trop forte. « Ce n'est pas la promiscuité des jeunes qui me gêne, confirme avec le sourire cette résidente du FLPA, ce serait plutôt celle des autres personnes âgées. » De fait, les premiers appartements loués dans la résidence par les personnes âgées ont été ceux qui donnaient sur la halte-garderie. Mais si c'est un avantage indéniable pour cette catégorie que d'être dans un lieu de confrontation des générations, qu'en est-il pour les jeunes travailleurs ou les adolescents en difficulté ? Là, l'intérêt de la cohabitation est sans doute plus diversement ressenti par ces derniers, moins présents dans l'institution.
« Cela permet d'éviter la vie en vase clos que l'on rencontre parfois dans les institutions, observe, pour sa part, Robert Oliveras. Tous ces regards de personnes différentes me semblent avoir finalement une fonction tout à fait éducative. On n'est plus dans le cadre traditionnel d'une maison d'enfants où l'éducateur est pratiquement le seul interlocuteur auprès des jeunes. » « Cela permet aussi, renchérit Françoise Sabathier, conseillère en économie sociale et familiale, de démystifier, aux yeux des visiteurs occasionnels qui fréquentent le restaurant, ce qu'est un foyer, une maison d'enfants ou une résidence de personnes âgées. Et contrairement à ce que l'on aurait pu craindre, on n'a pas constaté de manifestation d'intolérance. Au contraire ! »
Mais pour le personnel également, il a fallu accepter d'être sous ces regards croisés. « Cela n'a pas toujours été facile, se souvient Régis Barraquier. Ma première crainte, c'était que le personnel ne prenne pas suffisamment à son compte ce projet, en demeurant chacun dans le cadre de ses fonctions spécifiques. » Afin d'éviter ce risque, on a fait appel durant l'année qui a précédé l'ouverture à un cabinet conseil chargé d'organiser la formation du personnel ancien ou nouveau. Visites de FJT et de FLPA, réflexion sur les conditions de réussite du projet, élaboration du projet pédagogique, rencontres avec les architectes, les membres du conseil d'administration, etc. Preuve de la réussite de cette mobilisation, le personnel suit actuellement, à sa propre demande, une formation en gérontologie.
Mais si Loumet Intergénération a aujourd'hui valeur d'exemple - son promoteur a récemment représenté la France lors d'un congrès européen consacré à la prise en charge des personnes âgées -, il ne peut être question pour Régis Barraquier d'en faire un modèle. « Par contre, insiste-t-il, il est toujours possible de chercher à faire jouer les solidarités. Qu'on ne se contente pas de faire venir une fois par an les enfants des écoles maternelles pour présenter un spectacle auprès des personnes âgées ! »
Philippe Jouary
Le foyer départemental de l'enfance : six lits pour permettre l'accueil en urgence et en permanence d'enfants du département, confiés soit par le service social départemental, soit par le procureur de la République.
La maison d'enfants à caractère social : elle comprend deux unités de vie, une villa située à quelques kilomètres de l'établissement qui accueille un groupe mixte de huit adolescents entre 16 et 18 ans (habilitation Justice et ASE) et deux appartements situés à l'intérieur de Loumet Intergénération pouvant accueillir chacun sept enfants entre 3 et 16 ans (2).
Le service d'accompagnement spécialisé pour jeunes majeurs : il reçoit des jeunes de 18 à 21 ans avec, outre une aide éducative et psychologique, une possibilité d'hébergement soit dans le FJT, soit dans des studios loués en ville.
L'hôtel maternel : composé de trois appartements, il permet l'accueil de femmes seules avec un, deux ou trois enfants. Le suivi est assuré par les services sociaux du département.
Le service enfants/famille : mis à la disposition des services sociaux du département qui sont chargés de suivre les enfants placés en famille d'accueil, il offre, grâce à une éducatrice et une psychologue, la possibilité d'une écoute ainsi que celle de droits de visite en lieu neutre.
Le foyer-logement pour personnes âgées : il comprend 12 appartements destinés à accueillir 21 personnes seules ou en couple de plus de 65 ans.
Le foyer de jeunes travailleurs : 20 appartements comprenant chacun une salle de bains et une kitchenette aménagée permettent l'accueil de jeunes travailleurs entre 16 et 25 ans. Un animateur est à la disposition des résidents.
La halte-garderie : gérée par la caisse d'allocations familiales du département, elle peut accueillir 25 enfants par demi-journée, âgés de 3 mois à 6 ans.
La maison de quartier : l'ancienne chapelle de l'orphelinat, actuellement en cours de rénovation, est destinée prioritairement à la musique de chambre et au jazz, ainsi qu'aux expositions.
Le restaurant : sous forme de self-service, il s'adresse aux résidents du FJT et du FLPA, mais aussi aux groupes d'enfants et d'adolescents qui ont également la possibilité de l'utiliser en prestation de plats emportés et consommés dans leurs lieux de vie respectifs.
(1) ADSEAA : 7, rue de Loumet - 09100 Pamiers - Tél. 61.67.94.00.
(2) Prix de journée pour les enfants et jeunes majeurs : 689 F. Tarif qui, selon le directeur, est plutôt inférieur à celui d'établissements de même nature.