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...Noël Jouenne, sur la mendicité

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Interdire la manche revient à priver les personnes de toute possibilité de se construire des repères indispensables à la vie psychique. Telle est la thèse défendue par Noël Jouenne, doctorant à l'université René Descartes-Paris V (1), qui vient porter un autre éclairage sur les arrêtés anti-mendicité.

ASH  : Selon vous, la manche serait un travail ? N.J. : Oui, puisque comme tout travail, elle procure non seulement une rétribution ou un revenu mais aussi des contraintes. Mais cette idée sur laquelle s'accordent la plupart des chercheurs actuels n'est pas forcément une évidence pour le sens commun. Considérer la manche comme un travail n'est toujours pas accepté par les gens en général et les institutions politiques, comme le prouve la recrudescence des arrêtés municipaux. Pourtant, il s'agit bien d'une forme de travail avec un rythme, des étapes à respecter... Par exemple, le repère d'une personne potentielle. En général, le mancheur ne s'adresse pas à n'importe qui mais aux gens qui vont commencer à le regarder. Car dès l'instant où l'on a les yeux sur quelqu'un, il y a un jeu de regards qui se crée. Et souvent le mancheur s'en sert pour capter la personne. En outre, celui-ci ne sollicite pas, du moins pour ce que j'ai pu observer, les femmes enceintes, celles avec des jeunes enfants, les personnes très âgées. Il y a donc un respect des valeurs, des règles - plus ou moins observées, il est vrai - qui se transmettent oralement d'un mancheur à l'autre. Et qui permettent de dire qu'il s'agit d'un travail. ASH  : Vous défendez donc l'idée que la manche serait une activité structurante ? N.J. : C'est structurant parce que, comme tout travail, on s'impose des rythmes, une tenue vestimentaire. Les mancheurs, selon mon hypothèse, ayant une tenue spécifique destinée à accentuer un côté misérable. La structuration se fait de manière spatiale et temporelle : le mancheur va, en général, toujours au même endroit et toujours aux mêmes horaires. Avec des créneaux où il s'accorde un moment de repos, une pause. Cette valeur structurante, d'après l'hypothèse de Sylvie Canovas que j'ai reprise, le fait de s'accorder des repères au niveau de l'espace et du temps, permet de mieux structurer sa personnalité. Contrairement au discours avancé par le Secours catholique ou certains travailleurs sociaux selon lequel il ne faut pas leur laisser faire la manche car il y va de la dignité de la personne, je montre que cette pratique leur permet en contrepartie de restructurer ou de conserver cette structure nécessaire à une « bonne santé psychique » si je puis dire  car derrière, il y a bien évidemment l'alcoolisme et d'autres problèmes... Aussi, le fait d'interdire la manche reviendrait à leur couper ces possibilités de structuration. Avec les risques de névrose ou d'autres troubles pathologiques liés à la perte de tout repère. Celle-ci étant d'autant plus grave que ces gens n'ont déjà pas de références fixes au niveau de l'habitat. ASH  : Mais ne craignez-vous pas que votre thèse soit prise comme une incitation à ne pas donner les moyens aux gens de sortir de la mendicité ? N.J. : On pourrait à la limite leur laisser faire la manche mais ce n'est pas une finalité. On ne peut pas en rester là. A partir de cette analyse, on peut aussi les inviter à aller dans les accueils de jour et pourquoi pas recréer quelque chose qui permette de structurer leur temps, leur donner des repères peut-être différents. Une fois qu'on comprend le phénomène, on peut essayer de réfléchir et se dire : d'accord, on n'interdit pas la manche et, à partir de là, quelles sont nos possibilités ? Sachant bien évidemment que cela dépend aussi des ressources locales et de la volonté politique des municipalités.

Notes

(1)  Recherche effectuée dans le cadre d'une thèse de doctorat menée depuis 1991 sur la population SDF - Noël Jouenne : 27, rue de Madrid - 62100 Calais - Tél. 21.97.92.70.

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