Si les accidents du travail ont tendance à diminuer en nombre, la nature des handicaps qu'ils engendrent va, elle, en s'alourdissant. Les progrès de la chirurgie ont en effet permis de faire diminuer le nombre de décès consécutifs aux accidents mais, du même coup, les séquelles et handicaps dont souffrent les « rescapés » sont plus lourds. Ces traumatismes physiques s'accompagnent en outre souvent de problèmes psychologiques, familiaux et professionnels qui nécessitent une approche et une prise en charge globales.
C'est pourquoi le centre du Belloy, à Saint-Omer-en-Chaussées (dans l'Oise, près de Beauvais) (1), conjugue harmonieusement rééducation fonctionnelle et réadaptation professionnelle, avec une équipe pluridisciplinaire composée de médecins, de 14 kinésithérapeutes, de 5 ergothérapeutes, d'une assistante sociale, d'une orthophoniste, d'une psychologue, d'une consultation psychiatrique mensuelle, et dentaire deux fois par semaine, ainsi que de 20 formateurs. « Chacun participe à sa manière au mieux-être des personnes accueillies », déclare Christine Laviéville, l'assistante sociale, également responsable du service d'admission des stagiaires en formation dans le cadre de la réadaptation professionnelle.
Au cœur de la verdoyante campagne picarde, tout est fait ici pour inspirer calme, repos et sérénité à des patients dont la durée moyenne d'hospitalisation est de 58 jours et à des salariés en phase de réadaptation professionnelle qui vivent au Belloy pendant plus d'un an (15 mois).
Créé dans les années 60 par la caisse de retraite des ouvriers du BTP (bâtiment et travaux publics) pour « réparer physiquement et socialement » des salariés issus d'un secteur fortement touché par les accidents du travail, le centre du Belloy accueille encore aujourd'hui 40 % d'accidentés du BTP et est géré par PRO-BTP (2). Cette vocation nettement professionnelle n'est toutefois plus exclusive, puisque Le Belloy participe au service public hospitalier et accueille à ce titre des accidentés (du travail ou non) venus de tous horizons professionnels et géographiques. Cette ouverture vers la prise en charge de nouveaux accidentés explique d'ailleurs que 48 % d'entre eux soient âgés de plus de 65 ans, pour 23 % de moins de 45 ans, et que la moyenne d'âge s'établisse à 60 ans.79 % des handicaps relevant de la traumatologie et de l'orthopédie.
Autre spécificité de ce centre, 15 % des 119 malades accueillis en permanence ont été victimes d'amputation. Un étage leur est réservé afin de leur assurer les soins infirmiers adéquats, et 3 des kinés de l'établissement sont spécialisés dans la rééducation des malades appareillés. Dès 1972, Le Belloy a d'ailleurs créé sa propre société d'appareillage qui réalise sur place plus de 200 prothèses et orthèses par an, pour les accidentés du centre et pour d'autres établissements hospitaliers. Avantages d'une telle structure : une plus grande souplesse et la possibilité d'assurer sur place le suivi des malades après appareillage. « Lors du réapprentissage de la marche, il est important de savoir distinguer les défauts de la marche elle-même et les défauts de l'appareillage », explique Michel Margotin, chef kinésithérapeute et responsable technique de la société d'appareillage.
A côté de la salle de rééducation fonctionnelle traditionnelle, Le Belloy dispose d'un centre de balnéothérapie et d'un gymnase où se pratique la rééducation de la marche. « Après un long alitement, les malades doivent se réhabituer à la position verticale, explique le Dr Gérard Latour, médecin chef de l'établissement à cet effet, nous utilisons un plan incliné, des barres parallèles pour guider la marche puis un parcours extérieur avec des obstacles. » Le résultat est spectaculaire : chez les plus jeunes patients victimes d'amputation, le défaut de la marche est à peine perceptible en fin de rééducation.
Pour les patients amputés des membres supérieurs, hémiplégiques, ou souffrant plus largement de séquelles neurologiques, les ergothérapeutes travaillent, en complément des kinésithérapeutes, plus spécifiquement à la rééducation des fonctions supérieures et de la mémoire par le biais d'activités artisanales (poterie, fabrication d'objets en bois, tapisserie, tissage, etc.) et ludiques (jeux de stratégie). Moins habituelle, il arrive toutefois que cette approche ne soit pas bien perçue par les patients. « Il faut expliquer en quoi consiste l'ergothérapie et pourquoi elle est prescrite, déclare Denise Barré, chef du service d'ergothérapie, mais quand quelqu'un reste vraiment hostile, on n'insiste pas. »
Autre volet essentiel du rôle des ergothérapeutes : la réadaptation en vue du retour au domicile. Il s'agit là de permettre aux patients de recouvrer une autonomie maximum et de lever les obstacles de la vie quotidienne. A cet effet, une visite au domicile du patient, avec lui, est organisée à la demande du médecin, de l'équipe de rééducation et de la famille afin de voir les problèmes concrets qui vont se poser à lui du fait de son handicap. « Une visite qui avait autrefois lieu à la fin du séjour des malades mais qui est organisée aujourd'hui de plus en plus tôt, notamment pour les patients en fauteuil roulant », explique Denise Barré. « Il est en effet important, ajoute-t-elle, de faire participer les patients à l'aménagement de leur domicile. »
Une fois les lieux repérés, les ergothérapeutes discutent du matériel à acheter (que la sécurité sociale ne prend pas en charge), puis c'est à la famille de l'installer. « Nous essayons toujours d'aménager à moindre coût en limitant au minimum nécessaire :des barres d'appui dans les sanitaires et la salle de bains. » Ce matériel, les malades peuvent ensuite s'exercer à l'utiliser au Belloy, où un mini-appartement a été reconstitué à cet effet. Une aide-ménagère et/ou la famille sont néanmoins souvent nécessaires en complément, quand le handicap est trop lourd. Enfin, lorsque le retour au domicile présente un danger, notamment pour les personnes d'un certain âge, c'est le placement en maison de retraite qui est envisagé.
Autant d'étapes qui nécessitent accompagnement et soutien psychologique. A côté des problèmes liés au handicap lui-même et au difficile deuil de la marche que doivent faire certains patients, se posent en effet des problèmes d'ordre financier (indemnités journalières non perçues, dettes accumulées) et familial. « Des problèmes familiaux latents éclatent souvent du fait de l'éloignement et de la durée du séjour, particulièrement pour les stagiaires en formation », explique Christine Laviéville. Marginalisés par leur handicap physique, ces derniers le sont en outre souvent aussi par des handicaps associés : alcoolisme, drogue, sortie de prison, problèmes d'hygiène et de socialisation. L'équipe de rééducation, qui est quotidiennement au contact des patients accueillis, regrette qu'une psychologue ne puisse assurer un suivi à plein temps. Celle qui travaille actuellement au Belloy n'est en effet là qu'à temps partiel, et est plus particulièrement chargée du suivi des stagiaires en formation.
En attendant que cette lacune soit comblée, le travail d'écoute de l'assistante sociale est essentiel. « Mais il ne suffit pas s'il ne se concrétise pas, s'il ne débouche pas sur des solutions. » Pour celle-ci, rien n'est en effet plus difficile que de « ne pas pouvoir aboutir dans une demande de placement pour un tétraplégique, faute de place suffisante dans les établissements spécialisés. C'est déjà assez difficile pour la personne d'accepter un tel handicap... ». Dans ce parcours du combattant à la recherche de structures d'accueil adéquates, les familles ne sont en outre pas toujours très coopératives. « Elles disent fréquemment : “trouvez-lui quelque chose”, alors que nous voulons les associer à la prise en charge des malades sortant du Belloy », regrette Christine Laviéville.
Pour ceux qui sont encore en âge de travailler, l'accompagnement est axé sur la perspective d'une reconversion professionnelle. « L'objectif d'une rééducation fonctionnelle de qualité est la sortie vers le milieu professionnel, affirme Marc Arnold, directeur du Belloy or quand les médecins ont fait leur travail, il reste des handicaps résiduels qui nécessitent une bonne articulation avec le volet réadaptation professionnelle pour permettre aux individus de retrouver une place dans l'entreprise. »
Rares sont toutefois les cas pour lesquels rééducation fonctionnelle et formation professionnelle s'enchaînent dans le temps. Et ce, pour deux raisons : « Lorsque quelqu'un est gravement handicapé, il a le sentiment qu'il ne retrouvera jamais sa vie personnelle et professionnelle, explique Marc Arnold, il a donc besoin de temps pour reconstruire un projet. Par ailleurs, le circuit administratif de la Cotorep est long, il peut s'écouler un ou deux ans entre le rétablissement physique du malade et la reconnaissance de son statut de travailleur handicapé. »
L'intérêt qu'il y a à assurer à la fois, au sein d'un même centre, rééducation fonctionnelle et réadaptation professionnelle n'en reste pas moins réel : pour ceux qui sont en rééducation, le fait de voir des gens reconstruire un projet professionnel est motivant. Quant à ceux qui sont en formation, même s'ils sont stabilisés physiquement, ils ont besoin d'un accompagnement et peuvent trouver sur place l'ensemble des compétences médicales et paramédicales nécessaires à la réussite de leur parcours.
Le centre du Belloy dispose de 180 places de réadaptation professionnelle réparties au sein de quatre sections distinctes : le bâtiment, l'informatique, l'électronique et, depuis fin 1995, une section de formation préparatoire pour assurer la remise à niveau de ceux qui ne maîtrisent pas les connaissances de base. Cette dernière section n'est d'ailleurs pas réservée aux seuls pensionnaires du Belloy, mais constitue un véritable outil régional au service des handicapés dont les prérequis ne sont pas suffisants pour suivre une formation qualifiante. « A l'origine de cette initiative, nous avons fait le constat que le niveau des stagiaires accueillis avait tendance à baisser alors que, dans le même temps, le niveau d'exigence des employeurs est de plus en plus élevé », explique Marc Arnold.
A l'instar de ce qui est fait sur le plan médical, l'équipe pédagogique chargée de la formation professionnelle met l'accent sur le suivi des stagiaires et sur la sortie du Belloy. « Nous utilisons des méthodes pédagogiques telles que le multimédia ou l'autoformation, qui favorisent le développement de l'autonomie des individus », explique Pierre Kind, responsable des formations. Les échanges et contacts avec les milieux professionnels sont par ailleurs permanents.
Tous ces efforts portent leurs fruits, puisque Le Belloy affiche un taux de réussite aux examens de 79,8 % en 1995 et que 75 % des stagiaires formés depuis 1991 ont retrouvé un emploi après leur formation. Certes les moyens mis en œuvre dans ce centre, l'individualisation des parcours et la prise en compte des individus dans leur globalité sont pour beaucoup dans ces résultats. Mais la combativité et la volonté dont font preuve les accidentés admis au Belloy prennent également une part active dans leur retour à l'autonomie sociale et professionnelle.
Virginie Besson
(1) Centre Le Belloy : 60860 Saint-Omer-en-Chaussées - Tél. 44.84.60.00.
(2) PRO-BTP est le groupe qui rassemble le personnel et les moyens des six caisses de retraite et de prévoyance du BTP.