« Parmi les prérogatives essentielles de la personne humaine qui appellent une protection juridique, figure le droit pour l'individu d'être préservé de toute intrusion abusive dans l'intimité de sa vie privée. »
Certains citoyens sont obligés, dans leur vie courante, de dévoiler à des professionnels une part de leur intimité. L'obligation faite à ces professionnels, selon leur profession ou les situations particulières dans lesquelles ils interviennent, de se soumettre aux règles du secret professionnel, vise à assurer une stricte confidentialité des informations dévoilées dans le cadre d'une relation nouée aux fins d'apporter une aide à la résolution de difficultés d'ordre social.
“L'obligation de se taire“ à laquelle est tenue toute personne dépositaire d'un secret soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est donc bien une garantie fondamentale donnée par le législateur aux usagers du travail social et non une prérogative des travailleurs sociaux face à l'autorité judiciaire ou de contrôle.
En l'absence, dans le nouveau code pénal, de personnes nommément désignées comme étant soumises à l'obligation de secret professionnel, au regard de la disparité des textes visant les articles du nouveau code pénal relatifs au secret professionnel et du soin laissé à la jurisprudence de définir au cas par cas si le professionnel concerné est soumis à l'obligation de secret professionnel, il convient d'étudier les différents paramètres intervenant dans la détermination de ceux qui, à un moment donné, ayant reçu une information à caractère secret, seront tenus de ne pas la révéler.
Il faut aussi rappeler que quels que soient les dispositifs mis en œuvre pour assurer une prise en charge des difficultés auxquelles sont soumis des individus ou pour optimiser ces mêmes dispositifs, ceux-ci ne peuvent, sauf si la loi en a disposé autrement, déroger aux dispositions relatives à l'obligation de secret professionnel.
L'article 226-13 du nouveau code pénal issu de la loi du 22 juillet 1992 et applicable depuis le 1er mars 1994 réprime la violation du secret professionnel et détermine quels sont les professionnels tenus à l'obligation de secret.
Au regard de la définition générale retenue par l'article 226-13, se trouvent tenus au respect du secret professionnel les personnes qui sont dépositaires d'une information à caractère secret soit par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire. Cette notion de mission, introduite dans le nouveau code pénal et qui sera précisée par la jurisprudence, pourrait conduire à soumettre au secret professionnel d'autres acteurs.
Parmi les professionnels intervenant dans le champ de l'action sociale, seule la profession d'assistant de service social est nommément désignée par un texte comme étant soumise à l'obligation de secret professionnel (article 225 du code de la famille et de l'aide sociale).
Différents textes ont prévu que certains professionnels intervenant dans le champ de l'action sociale soient soumis à l'obligation de secret professionnel à l'égard d'informations à caractère secret qu'ils auraient eu à connaître en raison de l'exercice d'une fonction ou d'une mission temporaire.
1º - Les personnes participant aux missions du service de l'aide sociale à l'enfance (article 80 du code de la famille et de l'aide sociale). Cet article s'applique à l'ensemble des personnes appelées à contribuer aux missions du service de l'aide sociale à l'enfance, ce qui inclut les agents n'exerçant pas directement des missions d'aide aux usagers mais qui peuvent avoir à connaître des informations à caractère secret dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions. Cette obligation de respect du secret professionnel s'impose même si la connaissance de ces informations leur est parvenue de façon indirecte. Il appartient aux professionnels directement concernés par la communication de ces informations de s'assurer que leur divulgation ne se fait pas en présence de personnes n'ayant pas un intérêt direct à connaître ces données.
A contrario, l'obligation de secret professionnel telle que définie par l'article 226-13 ne s'applique pas aux personnes participant aux missions du service de l'aide sociale lorsqu'elles transmettent au président du conseil général, ou à son représentant désigné, les informations nécessaires pour déterminer les mesures à prendre en faveur de mineurs et de leur famille.
Cette non-applicabilité des dispositions de l'article 226-13 concerne l'ensemble des mineurs et de leur famille et non pas uniquement les mineurs victimes de mauvais traitements. Si l'obligation de signalement à l'autorité judiciaire de mauvais traitements à l'égard de mineur appartient au président du conseil général ou à son représentant désigné, celui-ci doit pouvoir disposer des informations nécessaires pour effectuer ce signalement.
2º - Les personnes appelées à intervenir dans l'instruction, l'attribution ou la révision des admissions à l'aide sociale ainsi que les personnes dont le concours est utilisé (article 135 du code de la famille et de l'aide sociale). 3º - Les agents du service d'accueil téléphonique créé à l'échelon national par l'Etat et concourant à la mission de prévention des mauvais traitements et de protection des mineurs maltraités (article 71 du code de la famille et de l'aide sociale). 4º - Les personnes appelées par leurs fonctions à prendre connaissance du registre portant les indications relatives à l'identité des personnes séjournant dans les établissements hébergeant à titre gratuit ou onéreux des personnes âgées, des adultes infirmes, des indigents valides ou des personnes accueillies en vue de leur réadaptation sociale (article 207 du code de la famille et de l'aide sociale). 5º - Les personnes chargées de la surveillance de ces mêmes établissements (article 209 du code de la famille et de l'aide sociale). 6º - Les personnes appelées à collaborer au service départemental de protection maternelle et infantile (article L. 188 du code de la santé publique). Cet article du code de la santé publique s'applique à l'ensemble du personnel de PMI, ainsi qu'aux assistantes maternelles.
Cependant, l'article L. 152 du code de la santé publique fait obligation au personnel du service départemental de protection maternelle et infantile de rendre compte, sans délai, au médecin responsable du service, du fait que la santé ou le développement d'un enfant sont compromis ou menacés par des mauvais traitements.
7º - Les personnes appelées en raison de leur profession à connaître les renseignements inscrits dans les carnets de santé (article L. 163 du code de la santé publique). 8º - Les membres de la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (Cotorep) (article L. 323-13 du code du travail). 9º - Les membres des comités de probation et d'assistance aux libérés tels que prévus à l'article D. 572 du code de procédure pénale (article D. 594 du code de procédure pénale). 10º - Les personnes appelées à intervenir dans l'instruction des demandes ou l'attribution de l'allocation de revenu minimum d'insertion ainsi que dans l'élaboration, l'approbation et la mise en œuvre du contrat d'insertion établi entre l'allocataire et la commission locale d'insertion, et toute personne à laquelle a été transmise la liste des personnes percevant une allocation de revenu minimum d'insertion (article 22 de la loi du 1er décembre 1988 complétée par la loi du 29 juillet 1992).
S'ils ne sont pas désignés par les textes ou s'ils n'interviennent pas dans le cadre d'une fonction ou d'une mission pour lesquelles un texte a expressément prévu une obligation de secret, les professionnels intervenant dans le champ de l'action sociale, notamment les travailleurs sociaux, ne sont pas tenus au secret professionnel sauf s'ils ont la qualité de “confidents nécessaires”.
Il convient à ce propos de rappeler la distinction opérée par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 4 novembre 1971, a donné une interprétation de la notion de “confident nécessaire” en rappelant que toute personne recevant une confidence dans l'exercice de sa profession n'est pas, par là même, tenue au secret professionnel.
Seule la jurisprudence permettra d'apprécier si une personne est dépositaire en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire d'une information à caractère secret et si sa qualité de “confident nécessaire” lui fait obligation de respecter le secret.
Les professionnels agissant en vertu d'une mission confiée par un magistrat, notamment les fonctionnaires du ministère de la Justice, ne peuvent invoquer l'obligation de secret professionnel vis-à-vis de ce magistrat. Compte tenu de cette mission ils sont toutefois soumis au secret professionnel à l'égard des tiers.
L'appréciation de l'obligation pour un professionnel de respecter le secret vis-à-vis des informations qu'il aurait eu à connaître dans le cadre de l'exercice de sa fonction ou de la mission qui lui est confiée ne pourra donc se faire qu'au cas par cas et le professionnel aura à rendre compte et à s'expliquer devant l'autorité judiciaire de la décision qu'il aura prise “de parler ou de se taire”.
Le caractère secret d'une information ne résulte pas uniquement du fait que celle-ci a été confiée au professionnel par la personne qui s'est adressée à lui. Si bien entendu cette “confidence sous le sceau du secret” implique une obligation pour le professionnel de la considérer comme revêtant un caractère secret il faut admettre qu'il existe des faits confidentiels par nature. Si cette notion ne peut être définie par avance, on peut dire qu'elle comprend tous les faits de la vie privée que les intéressés tiennent en règle générale à ne pas divulguer.
Ces faits “confidentiels par nature” seront donc protégés par l'obligation de secret professionnel à laquelle sera soumis le professionnel dès lors qu'il aura eu connaissance de leur existence dans l'exercice de sa profession. Cette notion d'exercice de la profession doit être comprise comme une situation dans laquelle le professionnel se sera vu confier un secret, ou en aura eu connaissance par tout autre moyen, en raison de sa fonction et non pas uniquement dans l'espace temps pendant lequel il était en situation professionnelle. On doit par exemple admettre que les faits portés à la connaissance d'un travailleur social, soumis au secret professionnel, en dehors du cadre de travail (par exemple en dehors des heures de service) mais en raison de sa fonction (par exemple à la sortie de sa permanence) sont protégés par le secret professionnel. Ainsi, comme l'a affirmé la Cour de cassation (3), cette notion recouvre “ce que le professionnel aura appris, compris, connu ou deviné à l'occasion de son exercice professionnel”.
Pour que soit constituée l'infraction de violation du secret professionnel telle que définie par l'article 226-13 du nouveau code pénal, l'information à caractère secret doit avoir été révélée de manière intentionnelle, même sans volonté de nuire de la part de l'auteur de la révélation. A cet égard, il convient de souligner que les juridictions font une analyse assez stricte de cette notion de révélation concernant les professionnels (4).
Elle recouvre celle de divulgation d'une information à caractère secret à un tiers non tenu au secret professionnel alors que la loi n'a pas autorisé cette révélation.
Lors des débats sur la loi du 22 juillet 1992, le Parlement a refusé de consacrer la notion de secret partagé, comme le prévoyait le projet de loi, en estimant que cette notion présentait aujourd'hui un caractère encore trop imprécis pour faire l'objet d'une définition législative. Il résulte cependant clairement des débats que ce refus n'avait nullement pour objet de remettre en cause les pratiques qui, dans le silence des textes actuels, ont pu faire application de cette notion. Celles-ci conservent donc toute leur valeur.
Communiquer à un autre intervenant social des informations concernant un usager, nécessaires soit à la continuité d'une prise en charge, soit au fait de contribuer à la pertinence ou à l'efficacité de cette prise en charge, ne constitue pas une violation du secret professionnel mais un secret partagé.
Il convient dans cette hypothèse de ne transmettre que les éléments strictement nécessaires, de s'assurer que l'usager concerné est d'accord pour cette transmission ou tout au moins qu'il en a été informé ainsi que des éventuelles conséquences que pourra avoir cette transmission d'informations et de s'assurer que les personnes à qui cette transmission est faite sont soumises au secret professionnel et ont vraiment besoin, dans l'intérêt de l'usager, de ces informations.
Le professionnel décidant de l'opportunité de partager un secret devra également s'assurer que les conditions de cette transmission (lieu, modalités) présentent toutes les garanties de discrétion.
Il convient de distinguer l'obligation de signalement aux autorités judiciaires de l'obligation de transmission des informations aux autorités administratives.
Le dernier alinéa de l'article 434-3 du nouveau code pénal dispense, sauf lorsque la loi en a disposé autrement, les professionnels soumis au secret de l'obligation d'informer l'autorité judiciaire du fait d'avoir eu connaissance de mauvais traitements à mineur de 15 ans.
L'article 80 du code de la famille et de l'aide sociale dispose que “toute personne participant aux missions du service de l'aide sociale à l'enfance est tenue de transmettre sans délai au président du conseil général ou au responsable désigné par lui toute information nécessaire pour déterminer les mesures dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier”. Cette disposition vise notamment les mineurs faisant l'objet de mauvais traitements.
Le dernier alinéa de l'article 80 précisant que les dispositions de l'article 226-13 du nouveau code pénal ne sont pas applicables aux personnes qui transmettent ces informations et le premier alinéa de l'article 226-14, qui prévoit que la sanction de la révélation d'une information à caractère secret n'est pas applicable lorsque la loi impose ou autorise cette révélation, indiquent très clairement que les professionnels soumis à l'obligation de secret et participant aux missions du service de l'aide sociale à l'enfance sont tenus de transmettre au président du conseil général les informations dont ils disposent lorsque celles-ci sont nécessaires à la détermination des mesures concernant des mineurs, tout particulièrement dans le cas de mineurs victimes de mauvais traitements.
La lecture de ces différents textes pourrait suggérer que les professionnels soumis à l'obligation du secret ne sont pas tenus d'informer l'autorité judiciaire de mauvais traitements à enfant dont ils auraient eu connaissance dans le cadre de l'exercice de leur profession, de leur fonction ou de la mission qui leur a été confiée.
Cette interprétation des nouvelles dispositions contenues dans le nouveau code pénal doit être modérée par les termes de l'article 223-6 qui prévoit que “quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours” peut être pénalement sanctionné. Cet article du nouveau code pénal n'exclut d'aucune manière les personnes soumises à l'obligation de secret professionnel et pourrait être le support de mises en examen visant des professionnels pour lesquels on pourrait considérer que le fait de n'avoir pas signalé à l'autorité judiciaire des situations de danger présentant un risque de réitération (inceste par exemple) constitue une absence d'action personnelle.
Malgré les dispositions du dernier alinéa de l'article 434-3 du nouveau code pénal (cf. supra), les personnes astreintes au secret doivent se montrer très vigilantes sur l'opportunité qui leur serait laissée de ne pas informer les autorités judiciaires ou administratives du fait d'avoir eu connaissance de mauvais traitements ou privations infligés à mineur de 15 ans.
A cet égard, le fait pour un professionnel de transmettre à ses supérieurs hiérarchiques une information concernant une maltraitance à mineur ne le dispense pas de tout mettre en œuvre, dans la limite de ses possibilités, afin de protéger la victime et d'éviter une éventuelle réitération notamment en alertant parallèlement et de façon concomitante l'autorité judiciaire.
Le devoir d'informer ne dispense pas de l'action personnelle. »
(1) Voir ASH n° 1876 du 21-04-94.
(2) Sur sa composition et son objectif, voir ASH n° 1978 du 7-06-96.
(3) Voir ASH n° 1876 du 21-04-94.
(4) Sur sa composition et son objectif, voir ASH n° 1978 du 7-06-96.