Bien que faisant l'objet d'une reconnaissance constitutionnelle, force est de constater que le droit à la protection de la santé et le principe de la sauvegarde de la personne humaine, « qui constituent les deux fondements des droits de la personne malade », « sont rarement affirmés de manière positive mais découlent en fait des obligations et devoirs des professionnels de santé ». Et « leur application concrète mérite encore aujourd'hui vigilance », affirme d'emblée Claude Evin dans son rapport sur « Les droits de la personne malade », présenté au nom de la section des affaires sociales du Conseil économique et social (CES) (1).
Si « des avancées significatives » sont progressivement intervenues depuis une vingtaine d'années dans l'affirmation des droits de la personne malade - de la première charte du malade hospitalisé en 1974 à celle de 1995 (2), en passant par la réforme hospitalière de 1991 (3) ou les lois bioéthique de 1994 (4) -, « une clarification et un regroupement voire une hiérarchisation des multiples textes existants semblent nécessaires », estime l'ancien ministre des Affaires sociales et de la Santé, qui réclame aujourd'hui la « mise en chantier d'un texte codifiant de véritables droits positifs de la personne malade ». En l'absence d'un tel document, le conseil fait l'inventaire des différentes dispositions et dégage quelques principes directeurs permettant « de mieux organiser et mieux faire respecter les droits de la personne malade en tant que citoyen comme en tant qu'usager du système de soins ».
Faisant siennes les conclusions de l'avis présenté, en juillet 1995, par Geneviève Anthonioz-de Gaulle sur la grande pauvreté (5), Claude Evin dénonce, à son tour, les limites de l'effectivité du droit aux soins qui « ne se rencontrent pas seulement parmi les personnes en situation de précarité extrême ». Selon lui, en effet, même des assurés sociaux ou leurs ayants droit peuvent connaître des difficultés d'accès aux soins, du fait notamment de la limitation des remboursements et de l'absence de couverture complémentaire. Et de citer notamment le poids du ticket modérateur, « qui pèse davantage sur les assurés qui n'ont pas de couverture complémentaire mais qui ne sont pas assez démunis pour bénéficier de l'aide médicale (ou de la carte santé), c'est-à-dire la partie de la population qui se trouve placée aux franges supérieures de la pauvreté ». Autre difficulté pointée par le rapport Evin, celle liée à l'admission à l'aide sociale. « L'effet de seuil permettant d'en bénéficier ou non peut entraver l'accès aux soins de certaines catégories de populations, et en particulier celles dont les ressources sont très faibles, mais pas suffisamment pour être éligibles au RMI. » Une difficulté aggravée par l'existence ou non d'un barème d'admission à l'aide sociale, intégré ou pas dans le règlement départemental d'aide sociale, entraînant des inégalités importantes d'accès à l'aide médicale selon la situation géographique des intéressés.
Afin de « rendre effectif le droit de tous à l'assurance maladie et de garantir un meilleur accès aux soins aux personnes en grande difficulté », le rapport se prononce en faveur de la mise en œuvre, « sans tarder », de l'assurance maladie universelle annoncée par Alain Juppé (6) et d'une affiliation de plein droit à l'assurance personnelle de toute personne majeure résidant régulièrement en France. Le CES souhaite, en outre, que soit réaffirmé le principe de l'accès aux soins des malades étrangers en situation irrégulière dès lors qu'ils résident sur le territoire national. Et, tant pour des raisons humanitaires que de protection de la santé publique, il juge important que des modalités appropriées soient mises en œuvre afin d'assurer la continuité de la prise en charge médicale pour toute personne étrangère atteinte de pathologie grave, y compris lorsqu'elle est passible d'une expulsion.
Autre droit du citoyen mis en avant par Claude Evin, celui de l'égalité de traitement. Relevant la persistance des disparités dans les niveaux et structures de consommation médicale ainsi que l'inégale répartition de l'offre de soins sur le territoire, le CES suggère notamment que les conférences nationale et régionales de santé, qui seront prochainement mises en place (7) soient « tout particulièrement vigilantes » et se fixent comme objectif prioritaire de réduire ces inégalités.
Dans un deuxième volet de son rapport, le CES consacre ses développements aux droits de l'usager du système de soins. Premier d'entre eux, le droit à l'information, notion « complexe et juridiquement ambiguë », dont la mise en œuvre est « relative ». Si l'obligation d'informer est « absolue » en médecine ambulatoire - le nouveau code de déontologie médicale (8) insiste particulièrement sur ce droit, et la mise en place du carnet de santé devrait favoriser la transmission d'informations (9) -, les modalités d'exercice du droit à l'information dans les établissements de soins sont plus difficiles. A titre d'exemple, la charte du patient hospitalisé n'est pas toujours annexée ou insérée au livret d'accueil systématiquement remis à chaque malade, comme le prévoit la circulaire du 6 mai 1995. Le CES préconise ainsi que le médecin hospitalier, responsable du dossier médical, donne au patient les informations sur son contenu et qu'après explications, et à sa demande, il le lui remette personnellement.
Par ailleurs, le Conseil réaffirme fortement la nécessité de recueillir le consentement éclairé du malade au processus de soins. Il considère que, face à certaines décisions importantes, le patient doit pouvoir disposer, sauf urgence vitale, d'un délai de réflexion et, s'il le souhaite, d'avis complémentaires. Et de citer les pratiques de dépistage, notamment le dépistage du sida - « qui ne peuvent répondre à leur objectif de protection de la santé publique et de prévention que si elles se situent dans un contexte informatif et explicatif » - et les dons d'organes, « deux domaines d'application où il importe de mieux réguler le recueil du consentement ».
Faire respecter les droits de l'usager, c'est aussi veiller à la protection du secret professionnel. C'est pourquoi le CES recommande qu'une information sur ces problèmes soit prévue en fin de formation initiale et périodiquement renouvelée dans les programmes de formation continue des professions médicales. Prenant comme exemple la communication de renseignements médicaux aux compagnies d'assurances, le CES préconise d'adopter un dispositif juridique spécifique clarifiant et normalisant les modalités de communication des renseignements médicaux pour les contrats d'assurance. Le Conseil met également en garde sur la définition des différents niveaux d'habilitation de ceux qui pourront utiliser le carnet de santé et le volet médical de la carte électronique institué par l'ordonnance du 24 avril 1996 (10), et conseille de prévoir un accès différencié en fonction des attributions des utilisateurs.
A partir d'une enquête menée dans 25 pays européens, l'Observatoire international des prisons et Aides-Provence (11) s'alarment de la situation des personnes détenues en phase terminale de maladie incurable. Un problème d'une dimension nouvelle, « en raison de l'ampleur prise par la pandémie de sida, l'incarcération croissante de toxicomanes souvent atteints d'hépatite ou d'autres maladies opportunistes, l'augmentation de la surpopulation carcérale qui favorise la contamination par la tuberculose, l'alourdissement des peines », constatent les deux associations. Relevant ainsi que dans tous les Etats, le taux de séropositivité en prison est nettement supérieur à celui de la population générale (10 fois plus en France) et que la tuberculose connaît également une recrudescence. Tandis que l'accès aux soins s'avère « le plus souvent insuffisant, voire déficient » et que la prévention des maladies transmissibles ou contagieuses reste essentiellement centrée sur une information pas toujours bien diffusée. C'est ainsi qu'en France, la mise en place de la loi du 18 janvier 1994, qui fixe les nouvelles modalités de l'accès aux soins médicaux pour les détenus (12), souffre d'un « retard non justifié ». Et que les bilans de santé des entrants ne sont pas régulièrement effectués. Quant au test de dépistage des MST, s'il peut être conseillé, voire « fortement recommandé » ou son refus sanctionné dans certains pays, il est obligatoire en France lorsque l'autorité sanitaire et l'administration pénitentiaire considèrent, en raison de fortes présomptions, les détenus atteints d'une telle maladie. Par ailleurs, la violation du secret médical y est « quasi permanente », comme d'ailleurs dans l'ensemble des Etats européens, note l'étude. Celle-ci ajoutant encore qu'il n'existe, nulle part, de structures d'accueil médicalisées spécifiques pour les sortants de prison. Si tous les Etats ont prévu, sous une forme ou une autre, la possibilité de libérer, avant le terme de la peine une personne détenue gravement malade, les procédures sont « longues, compliquées et aléatoires ». Alors que la grâce, « arbitraire et discrétionnaire », reste fréquemment employée. « Ces détenus malades, pour la plupart, meurent en prison », déplorent les deux associations. Aussi estiment-elles nécessaire « d'unifier et de normaliser », en Europe et dans les pays ayant signé la Convention européenne des droits de l'Homme, les procédures juridiques « qui devront alors, par des textes de loi contraignants, permettre la libération des détenus malades ». Et elles demandent que ce soit « une autorité impartiale », comportant au moins un juge et un médecin indépendant, « dont la décision motivée sera directement exécutoire » qui statue « à très brefs délais, à l'initiative de l'intéressé ou du médecin traitant ». I.S.
Autre volet, la prise en compte de la dignité du patient, « qui ne peut véritablement porter ses fruits que si l'ensemble du système de soins est repensé en fonction du malade », estime Claude Evin. Un tel recadrage concerne aussi bien l'accueil, la vie quotidienne dans un établissement de soins (horaires des repas, des visites, respect de l'intimité) que les modalités mêmes de traitement qui ne peuvent se limiter au seul aspect curatif. La douleur, l'angoisse et l'approche de la mort appellent aussi des réponses appropriées de la part des soignants. Sur l'accueil, le CES recommande d'aller au-delà d'une simple formalité administrative et prône la généralisation des procédures d'accueil personnalisées, le livret étant remis au patient par un membre de l'équipe hospitalière lors de l'admission dans l'unité de soins. A cette occasion, des informations sur le déroulement du séjour ainsi que sur les droits sociaux devraient être fournies à l'intéressé et à ses proches. Il conviendrait également de demander au malade d'indiquer le nom de la personne à laquelle il souhaite, en cas de nécessité, que le médecin délivre l'information sur son état de santé. Le Conseil propose, à cet égard, de retenir une acception élargie de la notion de proches afin que les patients, en particulier, lorsqu'ils sont hospitalisés, puissent être entourés des personnes de leur choix, qui peuvent ne pas être limitées à la famille. Deux activités hospitalières justifient, en outre, un effort particulier, selon Claude Evin : l'accueil dans les services d'urgence pour lequel le CES réitère sa recommandation, émise dans un avis de 1989, de confier la responsabilité exclusivement à des médecins expérimentés et formés à cet effet, et l'organisation des consultations externes.
Afin d'améliorer et de développer la pratique des soins palliatifs, « fondée avant tout sur la qualité de la fin de vie et répondant pleinement à la préservation de la dignité du malade », le CES se prononce en faveur de l'organisation d'un réseau coordonné permettant d'assurer une répartition équilibrée sur l'ensemble du territoire d'unités de soins palliatifs référentes et formatrices, du développement des équipes mobiles en les dotant d'un véritable statut, de l'organisation de cette pratique dans les structures d'hospitalisation à domicile et dans les établissements de long séjour et les maisons de retraite.
Le Conseil économique et social propose enfin d'indemniser les victimes d'accident thérapeutique. Concrètement, il se prononce pour la création d'une commission nationale des accidents thérapeutiques, « indépendante », qui pourrait être saisie par toute victime d'accident grave. Dotée d'un fonds public, qui pourrait disposer de 200 à 300 millions de francs, cette commission permettrait d'indemniser les intéressés même en l'absence de faute de l'établissement ou de l'équipe médicale, avec toutefois un plafonnement de l'indemnité, a expliqué Claude Evin.
Valérie Balland
(1) Ce rapport fera l'objet d'une prochaine publication au Journal officiel : 26, rue Desaix - 75727 Paris cedex 15.
(2) Voir ASH n° 1926 du 12-05-95.
(3) Voir ASH n° 1755 du 18-10-91.
(4) Voir ASH n° 1903 du 1-12-94, n° 1924 du 28-04-95 et n° 1929 du 2-06-95.
(5) Voir ASH n° 1935 du 14-07-95.
(6) Voir ASH n° 1963 du 23-02-96.
(7) Voir ASH n° 1972 du 26-04-96.
(8) Voir ASH n° 1940 du 15-09-95.
(9) Voir ASH n° 1972 du 26-04-96.
(10) Voir ASH n° 1978 du 7-06-96.
(11) Action « Mourants en prison » - Observatoire international des prisons - Aides-Provence : 1, rue Gilbert-Dru -13002 Marseille -Tél. 91.91.52.14.
(12) Voir ASH n° 1906 du 22-12-94.