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Droits des patients : de la théorie à la pratique

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La question de l'effectivité des droits des personnes atteintes de maladie mentale déborde largement le cadre juridique. Soulevant des problèmes éthiques mais également économiques.

Le droit est-il le même pour tous ? Les droits de l'Homme recouvrent-ils les droits et les devoirs des personnes atteintes de troubles psychiques ? Où en est-on de l'application du droit vis-à-vis de ces dernières ? Autant de questions complexes qui débordent largement le cadre de la rhétorique juridique, comme vient encore de le montrer le Conseil économique et social dans son avis sur « Les droits de la personne malade »   (1). Et dont les enjeux en termes de statut du malade mental et de la réalité de son insertion ont été mis en lumière lors du IIIe congrès européen de la commission psychiatrie de l'Association européenne des directeurs d'hôpitaux (AEDH)   (2).

Un arrêt de la Cour européenne

Chacun s'accorde aujourd'hui à affirmer « l'exigence éthique de l'application universelle des droits de l'Homme », constate Marco Borghi, directeur de l'Institut d'éthique et des droits de l'Homme de l'université de Fribourg, en Suisse. Mais la réalité est autrement plus nuancée. Ainsi, le 24 septembre 1992, la Cour européenne juge une affaire autrichienne : un patient est resté plusieurs jours lié à son lit et s'est vu administrer de force une grande quantité de calmants. Résultat :plusieurs côtes et dents cassées. Pour la première fois, la Cour européenne se réfère à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme qui interdit les traitements inhumains et dégradants. Ce qui démontre, selon Marco Borghi, « l'évolution irréversible de l'extension jurisprudentielle de l'application des droits de l'Homme aux patients psychiatriques ». Mais dans le même temps, la Cour affirme : « Certes, les conceptions médicales établies sont en principe décisives en pareil cas : ne saurait, en général, passer pour inhumaine ou dégradante une mesure dictée par une nécessité thérapeutique. Il incombe pourtant à la Cour de s'assurer que celle-ci a été démontrée de manière convaincante. En l'espèce, c'est surtout la durée du maintien des menottes et du lit de sûreté qui apparaît préoccupante. Cependant, les éléments fournis à la Cour ne suffisent pas à réfuter la thèse du gouvernement selon laquelle, d'après les principes psychiatriques communément admis à l'époque, un impératif médical justifiait le traitement litigieux.[...] »

Cet arrêt montre bien les limites de l'application du droit aux malades mentaux. C'est tout le problème posé aujourd'hui : il existe un hiatus entre l'affirmation d'un droit et son respect effectif. Si bien qu'à l'heure actuelle, selon Marco Borghi, « la garantie de l'effectivité des droits est le nouveau droit à conquérir ». Mais cette conquête ne passe pas uniquement par un contrôle du respect des textes de loi. Elle implique également une volonté politique et économique des gouvernements, qui rende possible l'application de la loi. Exemple, là encore développé par Marco Borghi : « Il est évident que tout juge ou avocat sera obligé de considérer une restriction de la liberté comme inévitable si les structures sociales et de soins susceptibles de l'éviter n'existent pas. L'effectivité des droits présuppose donc le développement d'une éthique économique :en dépit de ses difficultés budgétaires, l'Etat doit réaliser des structures de soins permettant la concrétisation des droits fondamentaux. » Ainsi, conclut Marco Borghi, « c'est l'efficacité thérapeutique des structures de soins, notion en même temps médicale et économique, qui doit être pleinement reçue et contrôlée par le droit. Son évaluation constante devient la nouvelle procédure de contrôle ».

Les limites du droit au logement

Mais l'application effective de la loi ne se pose pas uniquement au sein de l'hôpital. Si le droit aux soins concerne les structures sanitaires, le droit au travail et le droit au logement s'inscrivent dans la société. Les familles des malades mentaux sont sans doute les premières à revendiquer ces droits accordés à tous les autres citoyens. Mais Geneviève Laroque, ancienne présidente de l'Union nationale des amis et familles des malades mentaux (Unafam)   (2), souligne à quel point le respect même de la citoyenneté des malades peut occasionner de douleur ou de questions dans l'entourage des patients. « Les familles sont très sensibles à la difficulté de savoir jusqu'où le groupe social peut admettre certaines déviances du comportement. Les parents ou les proches nous disent qu'ils ont trouvé un logement pour leur malade, mais que celui-ci vit seul. Il ne s'alimente plus régulièrement, il n'assure pas ses soins d'hygiène, il est contesté par ses voisins en raison d'un comportement un peu bizarre. L'équipe de soins demande aux familles de respecter cette originalité extrême... » Geneviève Laroque s'interroge : « Jusqu'où avons-nous le droit, nous protecteurs de la citoyenneté du malade, d'accepter cette originalité ? A partir de quand sommes-nous, familles et soignants, en situation de non-assistance à personne en danger, dès lors que ce danger n'est pas imminent, ni vital ? » L'ancienne présidente de l'Unafam est la première à admettre qu'il n'existe pas de solutions toutes faites qui garantissent la citoyenneté des malades alors que leur protection passe parfois par une restriction de leur liberté...

Quant au droit au travail, « il est inscrit dans la Déclaration des droits de l'Homme et figure parmi les missions des secteurs de psychiatrie », rappelle Eric Piel, psychiatre au centre hospitalier Paul Guiraud à Villejuif. Son inscription dans la loi n'en fait pas pour autant un droit effectivement appliqué. D'autant qu'il suppose une collaboration étroite, en réseaux, entre le sanitaire et le social. « Ces réseaux se justifient d'autant plus que les équipes de secteur psychiatrique ne sont pas formées pour mener à bien une insertion professionnelle. La séparation du sanitaire et du social est une frontière infranchissable. Cette séparation vient d'être, certes, abolie par la loi, mais les diverses sources de financement n'ont pas, quant à elles, été modifiées. » Or, fait-il remarquer, le patient en demande d'insertion ne peut être « découpé en tranches indépendantes. Sa situation au regard du logement, comme du travail, est structurellement liée à sa santé et inversement. C'est de la mise en commun des pratiques que sortiront l'équilibre et la cohérence des actions permettant au sujet de retrouver, en même temps que la santé, la réalité de sa place au sein de la société ». Sachant que « le social » (les services publics, les associations...) se trouve « complètement miné par la place résiduelle et accessoire dans laquelle le relèguent à la fois l'économique et le politique », ajoute-t-il. Appelant à un partage de connaissances entre le social, le sanitaire et l'économique.

Formule purement incantatoire ? En tous cas des initiatives existent en ce sens. A commencer par celle mise en place par le psychiatre lui-même. Depuis 1992, en effet, l'association XIII Voyages emploie des patients stabilisés, qui apprennent ou réapprennent à travailler (3). XIII Voyages s'est spécialisée dans l'organisation de séjours thérapeutiques, répondant ainsi à un besoin formulé par les hôpitaux français. Quatre ans après le début de l'aventure, Eric Piel dresse un bilan en demi-teintes : « Le chiffre d'affaires double chaque année, mais nous restons fragiles. Sur les six personnes qui ont terminé leur cycle de formation, deux ont dû être hospitalisées. Une autre cherche du travail en milieu protégé, les trois autres sont en formation - dans le tourisme et l'administration - et sont en passe de retrouver un emploi dans le monde du travail traditionnel. »

Respecter les droits du patient

Il reste un droit fondamental des malades mentaux : le droit aux soins. Dans ce domaine, c'est aux médecins qu'il revient de s'interroger, notamment en ce qui concerne les prescriptions médicamenteuses. Le professeur Edouard Zarifian, chef de service de psychiatrie au CHU de Caen, auteur d'un rapport sur les consommations de psychotropes (voir encadré), rappelle que les droits du patient existent bel et bien : « Il doit être correctement informé sur les avantages, les limites et les possibilités des médicaments prescrits. Il détient également la possibilité de refuser un traitement, et peut interrompre ou obtenir un changement de traitement s'il en discute avec son médecin. »

Voilà pour la théorie. Et dans les faits ?Dans la situation de contrainte, lorsque le patient est hospitalisé d'office, ou lorsqu'il se trouve dans un état de grande agitation motrice, « finalement, c'est le prescripteur qui se substitue, légalement dans certains cas, à la limite du légal dans d'autres, à la volonté du patient », souligne Edouard Zarifian, avant d'ajouter : « J'aimerais beaucoup que des réflexions se développent dans mon pays au sein du corps médical et pas en dehors, comme cela se fait actuellement. J'aimerais également que nos comportements ne soient pas modifiés uniquement par la crainte de procès. » Enfin, le psychiatre constate qu'en cas d'hospitalisation routinière, sans contrainte, « le prescripteur justifie rarement ses traitements et accède rarement aux demandes de changements exprimées par le malade. Alors qu'il accède plus facilement à ces mêmes demandes lorsqu'elles émanent de l'équipe soignante ou de la famille. On a un peu le sentiment que le médicament est l'expression du pouvoir du médecin. Toute modification de traitement lui donne donc le sentiment de perdre de son prestige ».

Cette attitude est peut-être due au fait qu'en France les associations d'usagers sont récentes, comme le soulignait Patricia Goffaux, représentante des usagers dans la commission d'évaluation de la loi du 27 juin 1990, relative à l'internement des malades mentaux en hôpital psychiatrique : « Nous n'avons pas de structures représentatives, ni de plateformes d'action, contrairement à ce qui se passe dans le reste de l'Europe. Nous n'avons pas de modèle à proposer, seulement nos incertitudes. Mais partager ces incertitudes peut être l'amorce d'un premier dialogue avec les médecins. »

Anne Ulpat

LES PSYCHOTROPES EN SURDOSE

Pour le Pr Edouard Zarifian, qui a remis récemment son rapport sur les consommations de psychotropes au secrétaire d'Etat à la santé, les psychotropes ne sont pas des médicaments comme les autres. « Leurs effets secondaires connus agissent sur les comportements humains comme la sexualité, la motricité, la mémoire. Et certains de ces médicaments sont susceptibles de développer des états de dépendance. Ainsi, le droit du patient implique que le médecin évalue en permanence le rapport bénéfice- inconvénient. » Mais le professeur rappelle également que certains effets secondaires survenant après l'administration d'un traitement sur le long terme restent peu ou pas connus. « La pharmaco-vigilance développée en France s'intéresse aux incidences corporelles des médicaments, mais nous sommes peu sensibilisés aux effets psychiques, délétères, indésirables - comme les modifications de l'affectivité, de la relation aux autres, l'indifférence, l'apparition de comportements auto ou hétéro-agressifs. Or il conviendrait de chercher ces effets délétères. » Tout comme il conviendrait de s'interroger sur « les utilisations de psychotropes dévoyés de leurs buts médicaux, dans les prisons ou dans certaines institutions pour personnes âgées, tout simplement pour obtenir le calme ». Edouard Zarifian ne cache pas son étonnement devant l'absence de réflexion éthique à ce sujet, « réflexion qui pourrait devenir systématique au cours des études de médecine ». Malheureusement, on considère encore aujourd'hui les psychotropes exactement de la même façon que les médicaments qui soignent les troubles somatiques.

Notes

(1)  Voir dans ce numéro page 5 n (2) « Psychiatrie et droits de l'Homme », organisé les 23 et 24 mai derniers à Paris par l'Association des directeurs d'établissement gérant des secteurs de santé mentale (ADESM) et l'AEDH : centre hospitalier - 27, rue du 4e-RSM - BP 29 - 68250 Rouffach.

(2)  Unafam : 12, villa Compoint - 75017 - Tél. 1 42.63.03.03.

(3)  Voir ASH n° 1921 du 7-04-95.

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