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...Andrée Dore-Audibert, sur les AS en Algérie

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« Ambiguïté et déviation de l'action sociale. » C'est ce thème qu'a retenu le Cedias pour sa réunion du 31 mai, à partir de l'exemple des assistantes sociales pendant la guerre d'Algérie. Andrée Dore-Audibert (1) met ainsi en évidence deux attitudes opposées du service social qui posent le problème de la déontologie.

ASH  : En quoi les assistantes sociales dans la guerre d'Algérie ont-elles dévié de leur rôle ? A.D.-A. : Dans la nuit du 26 au 27 mai 1956, en pleine guerre d'Algérie, l'armée et la police cernent la Casbah pour procéder à une grande rafle afin de retrouver des terroristes. Dans le but « d'huma niser » cette opération de contrôle, 80 assistantes sociales sont réquisitionnées pour fouiller les femmes musulmanes, et embarquées dans les camions avec les militaires. Lorsqu'elles réalisent la tâche que l'on exigeait d'elles, 12 d'entre elles refusent de descendre des véhicules, considérant que de tels procédés vont à l'encontre de la fonction d'assistante sociale. Malgré ce refus formel, elles se tiennent à la disposition des forces de l'ordre dans le camion pour soigner les blessés. Tandis que les autres, majoritaires, obéissent aux ordres, considérant qu'elles ne font que leur devoir de patriote et qu'elles humanisent cette mission de contrôle. Une attitude qui a d'ailleurs fortement choqué la presse française de l'époque et les assistantes sociales de la métropole. L'ANAS ayant d'ailleurs, dans une motion de protestation au gouvernement général d'Alger, pris position en faveur de celles qui avaient refusé de participer à la rafle. ASH  : Y a-t-il eu d'autres déviations ? A.D.-A. : Oui, lorsque les assistantes sociales ont été réquisitionnées pour servir d'infirmières dans les sections d'administration spécialisées  (SAS), expérimentées durant la guerre d'Indochine où l'on pratiquait « une guerre dite psychologique par le social ». Là encore, si certaines assistantes sociales ont refusé, d'autres trouvaient normal d'y servir. On peut également déplorer que lorsqu'une ethnologue, Germaine Tillon, crée en 1955 des centres sociaux à Alger pour les populations musulmanes repliées du fait des combats, les assistantes sociales ne s'y associent pas. A l'exception d'Emma Serra (formée en France), qui dira : « L'action subversive qui m'est reprochée est le fait de travailler en milieu musulman. Il m'est imposé de travailler hors du milieu musulman, ce que je refuse. » ASH  : Ce qui renvoie à la déontologie de la profession ? A.D.-A. : Comme pour le médecin, la fonction d'assistante sociale exige des garde-fous afin de ne pas dévier. En France, si notre profession n'a jamais eu de code de déontologie officialisé, le choix de cette profession, la formation, l'expérience journalière ont permis à la grande majorité de se fixer des règles professionnelles s'appuyant sur des valeurs universelles des droits de la personne. La fouille corporelle reste toujours pour celui qui la subit une humiliation, en particulier lorsqu'elle se pratique devant les forces de l'ordre qui représentent l'ennemi. Comment peut-on penser, parce qu'on est investi du titre d'assistante sociale, que l'on va humaniser cet acte ? ASH  : Peut-on néanmoins expliquer leur comportement ? A.D.-A. : La plupart sont nées en Algérie de parents européens, devenus français sans pour autant avoir d'attache particulière avec la France qu'ils ne connaissent souvent pas. Diplômées de l'école d'Alger, sans formation politique, économique et historique sur l'Algérie et l'Afrique du Nord, elles sont affectées par le gouvernement général dans des infrastructures sociales copiées sur le modèle métropolitain et conçues pour des Français. Vivant dans une société d'apartheid qui ignore l'Arabe, elles manifestent un patriotisme exacerbé par la guerre et obéissent sans se poser de questions d'ordre déontologique. On doit constater à regret que les assistantes sociales en Algérie, du fait de leur formation, de leur manque de maturité politique, de leur milieu environnant ont complètement occulté le fait colonial à l'exception de celles qui ont pu, grâce à des stages ou à des formations en métropole, le transcender.

Notes

(1)  Titulaire d'un doctorat de 3e cycle en sciences sociales, assistante sociale de la France d'outre-mer, Andrée Dore-Audibert a exercé la première partie de sa carrière en Afrique noire. Elle a publié, l'an dernier, un ouvrage intitulé Les Françaises d'Algérie dans la guerre de libération - Ed. Karthala - 150 F.

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