Ballotés de stages en contrats formation éphémères pendant des périodes de plus en plus longues, les jeunes ne présentent pas les garanties suffisantes pour prétendre à un logement de droit commun. Sans emploi stable pas d'habitat, et sans habitat pas de projet à long terme. La solution mise en œuvre par les associations Pact-Arim ? Mobiliser le parc privé vacant, et faire du jeune l'acteur d'un parcours global et personnalisé d'insertion par l'habitat.
Pour mener leur action en faveur du logement des jeunes, les associations se sont appuyées sur diverses observations. La plus manifeste : la précarité économique. « La phase des 15-25 ans est faite d'alternances entre salariat et prise en charge sociale et parentale : plus d'un jeune sur dix est sans emploi », constate ainsi François Dubin, président de la Fédération nationale des centres Pact-Arim (FNC Pact-Arim) (1). « Les fractionnements de parcours - stages, contrats de qualification, contrats emploi-solidarité... - sont désormais le mode d'accès à l'emploi stable. » Aujourd'hui, un quart des moins de 25 ans a un travail à durée indéterminée contre un tiers au début des années 90. Leurs ressources, 2 500 F en moyenne, en sont réduites, excluant tout projet. La situation des chômeurs de moins de 25 ans (un chômeur sur cinq) est particulièrement délicate : le RMI, dont un tiers des bénéficiaires a moins de 30 ans, n'est attribué qu'aux plus de 25 ans. « Du fait de l'allongement de la transition formation/emploi, conclut François Dubin, le jeune est rarement “stable” avant 30 ans ! »
Autre constat : la logique des bailleurs, incompatible avec la « jeunesse ». « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation... » : malgré la loi Besson (2), le logement continue de s'inscrire davantage dans une logique de marché que de droit. « Le logement des jeunes ça n'est pas ma priorité ! », s'exclamait récemment un directeur d'HLM. Ce qui pose le problème de la place du jeune dans la ville : est-elle seulement acceptée ou voulue ? « Le fait est qu'en plus d'être peu “fiables” économiquement, les jeunes font peur. Les propriétaires s'en méfient », témoigne Yves Raynouard, directeur à l'Union nationale des fédérations d'organismes HLM. « Ils les associent aux clichés qui nous sont renvoyés par les médias : violence, errance et instabilité... Comportements censés occasionner, entre autres, des problèmes de voisinage. »
« Pourtant, il existe 300 000 à 400 000 logements vacants sur le marché du parc locatif privé, déplore François Dubin. Mais les propriétaires, souvent âgés, préfèrent ne pas louer plutôt que de prendre des risques... » Ce parc est cependant le premier choisi par les jeunes (48 % des 2 776 000 ménages entre 15 et 29 ans en 1990) pour amorcer leur parcours résidentiel : le désengagement du parc social en est en partie la cause.
Les expériences de terrain menées à Caen et à Marseille par les centres Pact-Arim - entourés d'élus locaux, de partenaires sociaux, associatifs et administratifs - ont permis d'affiner localement ces analyses et d'apporter des réponses concrètes mais néanmoins limitées aux problèmes soulevés.
Linda et David, 20 et 22 ans, ont troqué en octobre 1995 un logement insalubre en location « verbale » contre un F1 bis entièrement réhabilité. Et ce malgré de modestes ressources : 955 F d'allocation jeune enfant et 3 568 F de RMI par mois pour le couple. Un « exploit » rendu possible par le programme social thématique pour le logement des jeunes (PST) (3), mis en place dès 1990 par la ville de Caen avec l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH).
Caen, ville universitaire, et son agglomération comptent 265 254 habitants. Sa population est l'une des plus jeunes de France : 29,1% ont moins de 20 ans et 32,9 % des jeunes actifs entre 16 et 25 ans sont au chômage. En 15 ans, le nombre d'étudiants s'est fortement accru : 26 000 contre 14 000 en 1982. « La forte demande locative en petits logements, d'étudiants et de jeunes travailleurs en voie d'insertion se heurte à des loyers de plus en plus élevés dans le privé et à une vacance croissante dans le parc ancien », explique le directeur de l'Arim Basse-Normandie, Jean-Pierre Brenet.
En 1992, la mission locale de Caen et le mouvement Pact-Arim créent alors un comité local pour le logement autonome des jeunes (CLLAJ) (4). Son combat ? Inciter les propriétaires bailleurs privés - par un système de prêts à taux réduits (3 %) et de subventions accordées par l'ANAH pour neuf ans - à réhabiliter et conventionner leurs appartements pour les louer à des jeunes de 18 à 25 ans en voie d'insertion.
« Il est essentiel que le logement soit conventionné », appuie Bénédicte Dupont, directrice du CLLAJ. « Le jeune bénéficie ainsi de l'APL, qui nous est directement versée, et qui couvre 80 % du loyer. » L'Association départementale pour le logement (ADL) finance, quant à elle, l'accompagnement social lié au logement et verse des subventions pour l'octroi de prêts aux sous-locataires. « A Caen, ce dispositif a beaucoup contribué à redorer le blason de la jeunesse auprès des propriétaires privés ou des HLM, constate Bénédicte Dupont. Au début, ils étaient très réticents. Leur discours ?Si les jeunes ne sont pas étudiants ils sont voyous !Il a donc fallu leur offrir de solides garanties : nous louons directement au propriétaire - bail de location de trois ans - avant de sous-louer au jeune pour des durées de six mois renouvelables. Nous assurons avec des partenaires sociaux - dont la mission locale de Caen - le “suivi” du jeune, sur un plan tant pratique que sanitaire, tant professionnel que social : gestion de son budget et de ses charges, respect de ses devoirs de locataire, recherche d'un emploi... et d'un logement définitif. »
Permettre de s'assumer, de retrouver équilibre et confiance en soi pour mieux « repartir » : telle est la fonction du CLLAJ, qui accueille des jeunes en situation d'urgence face au logement, après une rupture familiale ou avant la naissance d'un enfant. Au bout de 18 mois en moyenne, la plupart d'entre eux accèdent à un logement autonome dans le parc HLM (57 % des 19 ménages en 1994) ou privé. « Notre dispositif, note Bénédicte Dupont, est un label pour les propriétaires : ils signeront plus volontiers un bail définitif avec un ménage passé par le CLLAJ. » Quant à ceux, très peu nombreux, qui retournent vivre dans leur famille, cela traduit davantage une réconciliation inespérée qu'un échec.
Un regret cependant : que l'insuffisance de moyens financiers n'empêche le procédé de s'étendre. Les 40 logements sociaux réalisés depuis 1992 - 60 sont prévus pour fin 1997 - et qui accueillent actuellement 53 jeunes, dont 13 couples et 26 enfants, auront du mal à satisfaire les 200 personnes sur liste d'attente !
Marseille. 650 000 à 700 000 jeunes se présentent chaque année sur le marché du travail, tandis que 650 000 sont en difficulté d'accès au logement ou SDF. Face à cette forte demande, des loyers élevés et une vacance notoire : 35 000 logements, dont 17 000 en centre-ville.
En 1991 la ville lance une vaste opération pour l'insertion des jeunes par l'habitat, en tenant compte à la fois de la demande de ces derniers et de la logique des propriétaires bailleurs privés. L'Association municipale pour la garantie d'accès au logement (AMGAR), créée en 1985, se dote d'un « département jeunes » en 1991 (2). Elle gère avec le Pact-Arim des Bouches-du-Rhône l'ensemble du système, tandis qu'un partenariat technico-financier (ANAH, Caisse des dépôts et consignations...) et social est mobilisé.
Là encore, les propriétaires sont encouragés à réhabiliter leur logement -aides financières à l'appui - pour les louer à des jeunes démunis. Une campagne de sensibilisation (annonces et publications) a permis de rassurer les bailleurs, l'AMGAR se positionnant comme leur locataire direct. « En ce qui concerne les jeunes, explique Jean-Loup Lemire, directeur des Pact-Arim des Bouches-du-Rhône, de nombreux entretiens avec eux aboutissent à l'élaboration d'un projet professionnel, doublé de l'habitat. Le dispositif n'étant qu'un premier pas dans leur trajectoire économique et résidentielle : les logements sont attribués pour trois ans maximum et six mois en moyenne. »
Le bilan : depuis quatre ans, 170 logements ont été mis en location, accueillant au total 260 ménages. Leur profil ? Entre 18 et 30 ans, célibataires pour 70 %, titulaires du RMI ou en contrats de formation divers : devant l'allongement de la scolarité et de la période d'insertion, le dispositif s'est récemment ouvert aux 25-30 ans ainsi qu'aux zones périphériques de la ville. « L'expérience révèle au jeune le sens de la notion d'avenir en y inscrivant celle de projet, ce dont la société désorganisée n'est plus capable », explique Jean-Loup Lemire. « Par ailleurs, le fait que le jeune soit logé en diffus, avec des locataires de tous horizons sociaux, incite celui-ci à s'intégrer davantage. Mais, ajoute-t-il, l'entreprise a ses limites. Tant que les jeunes n'évolueront pas dans un contexte économique et social leur offrant, en termes d'avenir probable, de quoi inscrire leur trajectoire, la prise en charge personnalisée et temporaire des itinéraires ne suffira pas à résoudre les problèmes d'insertion. » Inquiétude renforcée par les 34 ménages qui sont en place depuis plus de trois ans et ne franchissent pas le cap du logement assisté.
Des réponses bien évidemment limitées. « Il n'est pas sûr, appuie Eric Jouan, directeur d'Interlogement (3), que l'on puisse combattre la précarité avec des systèmes précaires. L'intermédiarité, la sous-location, risque d'éloigner encore le sujet de sa vie et de la réalité. L'idéal : travailler sur un logement classique avec bail définitif tout en poursuivant la réhabilitation des logements vacants... » Et surtout, donner du sens à la multitude de dispositifs actuels en les reliant entre eux de façon cohérente pour les insérer dans des itinéraires à long terme. « En France, s'insurge Jean-Marie Blas, administrateur de la FNC Pact-Arim, les nombreux organismes sociaux - associations, collectivités locales, missions locales [...] -, aux logiques les plus disparates, s'obstinent à isoler leurs efforts. Alors que l'insertion globale du jeune passe, comme le prouve l'exemple de Caen ou de Marseille, par leur concertation. »
Lise Bouilly
(1) La FNC Pact-Arim - 27, rue de La Rochefoucauld - 75009 Paris -Tél. 1 42.81.92.66 - est un réseau associatif (148 associations en France) au service de l'habitat et surtout actif dans la rénovation de l'habitat ancien. Le 18 avril, elle organisait à Paris un colloque sur le logement des jeunes et leur insertion dans le parc privé.
(2) Voir ASH n° 1691 du 18-05-90.
(3) Les PST sont le résultat de conventions signées dès 1990 entre l'Etat, l'ANAH et certaines communes. Ils permettent, grâce à des subventions, la réhabilitation de logements anciens pour les louer à des jeunes entre 18 et 26 ans.
(4) Les comités locaux pour le logement autonome des jeunes sont créés en 1980 à l'initiative de l'Union des foyers de jeunes travailleurs avec le soutien des pouvoirs publics. Contact : Bénédicte Dupont - 8, boulevard du Général-Weygand - 14300 Caen - Tél. 31.95.38.32.