Composé de représentants des associations et des pouvoirs publics (1), le groupe Huèges (2) devait proposer une définition de l'accueil de jour et élaborer un cahier des charges, susceptibles de servir de référence au niveau national. Une nécessité tant les lieux d'accueil de jour, qui ont essaimé ces dernières années, présentent des fonctionnements disparates (3). « Le risque existe d'une multiplication assez inefficace d'actions d'accueil entraînant un saupoudrage des financements », soulignent d'ailleurs les rapporteurs. Reste qu'au-delà d'un relatif consensus sur la nécessité de coordonner les structures, les membres du groupe auront eu du mal à se mettre d'accord sur un texte commun, en raison de divergences sur la conception de l'accueil de jour. D'où un rapport, certes inabouti, mais fourmillant de propositions qui devraient nourrir le débat avant une éventuelle rencontre nationale des lieux d'accueil de jour, que les rapporteurs appellent de leurs vœux.
Première proposition : l'élaboration d'une charte des lieux d'accueil de jour qui pourrait s'articuler autour de cinq droits fondamentaux : l'accueil, la re-création du lien social, la fourniture de services et de prestations de base, l'accès aux soins et à l'insertion. Un texte présenté sous forme d'un pré-projet, le Secours catholique jugeant son contenu « globalement trop normatif » et la FNARS souhaitant « approfondir la discussion ». Selon ce document, le choix des locaux et leur emplacement sont déterminants. Un lieu d'accueil doit en effet être facile d'accès et offrir une surface minimale d'au moins 120m2. Il doit être « clair, aéré, fonctionnel et confortable ». En outre, un accueil « digne de ce nom » doit être pratiqué en continu sur de larges tranches horaires, au moins six jours sur sept, avec un service minimum le dimanche. Il doit également être « anonyme, sans exclusive et immédiat ». Ce qui signifie que la personne accueillie n'a pas à déclarer son identité ou à se recommander d'un autre service. Bien plus, elle doit être reçue « avec chaleur et disponibilité dans un esprit exempt de tout paternalisme ». Un accueil de qualité pour lequel, précisent les rapporteurs, « on ne saurait compter sur la seule générosité et la bonne volonté » et qui doit donc être exercé « par des professionnels de l'action sociale et des bénévoles formés au travail sur la relation ». La présence dans l'équipe d'anciens accueillis est également souhaitable, à condition que leur intégration soit « parfaitement maîtrisée ».
Par ailleurs, il est impératif que le lieu d'accueil soit sécurisant (l'alcool, les substances toxiques et la violence étant prohibés), non contraignant (pas d'obligation d'insertion), et favorise une véritable resocialisation. Il est ainsi essentiel d'encourager toute forme, aussi minime soit-elle, d'autonomie et de prise de responsabilité. Sur le plan matériel, la structure doit offrir un certain nombre de services et de prestations de base, ce qui n'est pas toujours le cas actuellement. Outre la mise à disposition de douches, de machines à laver, d'une bagagerie, d'une aide alimentaire et de soins d'urgence, elle doit assurer la domiciliation des sans-abri. De même, elle doit remplir une fonction d'information, d'orientation et d'aide administrative. En outre, au-delà des cas d'urgence, des permanences médicales doivent être organisées. Lieux d'écoute et de diagnostic, elles assurent l'interface avec les structures de soins.
En matière d'insertion, le lieu d'accueil peut, naturellement, proposer des réponses en interne, notamment par le biais d'ateliers (écriture, loisirs, sports), mais, le cas échéant, il a surtout une « obligation de suivi » des personnes engagées dans un parcours d'insertion. Plus généralement, les rapporteurs insistent sur l'importance du rôle d'alerte sociale des lieux d'accueil, particulièrement en ce qui concerne les jeunes désocialisés, les étrangers en situation irrégulière, les personnes démunies et malades et les très grands marginaux. Reste, enfin, à résoudre la question cruciale du financement. « Rien ne saurait justifier la précarité actuelle des financements de ce secteur de l'action sociale », protestent les auteurs du rapport, qui réclament un minimum de stabilité budgétaire avec la signature de conventions tri-annuelles liant les financeurs aux associations gestionnaires. Et à plus long terme, la création d'un cadre juridique facilitant « un financement public régulier ».
Si le principe d'une charte est à peu près admis, l'idée consistant à créer un réseau national de l'accueil de jour, dont la forme n'a d'ailleurs pas été discutée en détail, est en revanche assez critiquée. Ne serait-ce que dans la mesure où les principales fédérations et organisations caritatives gèrent déjà, pour la plupart, leur propre réseau. « Il ne s'agirait nullement de se substituer à ce qui se fait déjà mais de rassembler pour donner davantage d'élan, d'ambition et de cohérence au développement actuel des lieux d'accueil de jour », plaident les rapporteurs, rappelant qu'un certain nombre de structures, qui n'appartiennent à aucun réseau, sont encore trop isolées. Pour eux, il s'agirait de mettre en place « un organe fédérateur » où seraient représentés les grands réseaux, les pouvoirs publics, les entreprises intéressées (telles la SNCF et la RATP) et des personnes qualifiées. Objectifs :homogénéiser les pratiques, réfléchir aux problèmes de la formation et de l'évaluation et assurer une fonction d'alerte sociale.
Mais c'est la proposition de création d'un label national de l'accueil de jour qui semble la plus contestée. Concrètement, il s'agirait d'accorder un label, assorti de l'engagement d'un soutien financier, aux projets remplissant certaines conditions. Un système rejeté par le Secours catholique, les Petits Frères des pauvres et la FNARS, qui craignent qu'il ne joue en défaveur des structures ne répondant pas à l'ensemble des critères retenus. Ce refus contrarie, apparemment, d'autres membres du groupe, le rapport précisant que cette démarche, « sous réserve qu'elle soit mise en œuvre souplement et dans le but, non de se substituer, mais de conforter les initiatives locales, constituerait certainement un puissant encouragement au développement de projets d'accueil de jour de qualité ».
« Pouvant offrir jusqu'à 15 000 places mises en service - soit un peu plus du double qu'il y a cinq ans -, sans compter les 10 000 places de logement d'extrême urgence, le système d'hébergement d'urgence apparaît quantitativement suffisant », note Michel Thierry dans son rapport, dont il avait dévoilé les grandes lignes aux ASH (4). Celui-ci précise ainsi que l'offre de places n'a jamais été saturée dans les 24 départements visités, avec un taux moyen d'occupation en Ile-de-France de 86 %. Néanmoins, la qualité de la prise en charge, malgré des progrès en matière d'accompagnement social ou de suivi médico-social, reste à améliorer, ajoute-t-il, soulignant l'inadaptation des réponses, en particulier vis-à-vis des personnes, de plus en plus nombreuses, souffrant de troubles psychologiques ou d'une pathologie psychiatrique ou vis-à-vis des jeunes en grande difficulté (sortants de prison ou toxicomanes dépendants). Tandis qu'il relève « la persistance de comportements d'écrémage » vis-à-vis de certains publics, « le traitement de plus en plus schizophrénique de la part des CHRS ou du dispositif d'accueil d'urgence » des étrangers en situation irrégulière. Sachant, avertit-il, que la population des immigrés sans abri de 60 ans et plus commence, certes « encore de manière très marginale », à poser problème. Autre carence grave : l'absence « pratiquement totale » de liaison avec les secteurs psychiatriques. « Il n'y a pas de prise en charge des troubles psychologiques des sans-abri, à part quelques initiatives hors sectorisation, financées sur crédit d'insertion RMI », relève ainsi Michel Thierry, ajoutant que le problème est « si général qu'y remédier devrait certainement constituer le premier objectif des prochaines campagnes ». Tandis que sont également pointées les conditions matérielles d'accueil, « inégalement conviviales » avec un état global des bâtiments médiocre, et l'insuffisante qualification des personnels « par manque d'initiatives pour développer des processus de formation ». Ainsi que certaines difficultés d'articulation entre urgence et processus d'insertion.
Mais « le point le plus remarquable est la diversification des réponses », s'accorde à reconnaître Michel Thierry, précisant que les orientations de la circulaire du 11 octobre 1995 ont été largement prises en compte. C'est ainsi que les accueils de jour (120 au total) ont plus que doublé, donnant parfois lieu à des expériences innovantes :développement de formes ouvertes aux familles, aux jeunes en grande difficulté (par exemple à Lille), ou favorisant le lien accueil-insertion (Paris). C'est ainsi également que les dispositifs mobiles type SAMU sociaux (une douzaine) se sont multipliés avec néanmoins de grandes nuances dans leur conception, leur fonctionnement ou leurs statuts en raison d' « une qualification sans appellation contrôlée ». Et ce, à côté des « tournées plus légères » mises en place par le mouvement associatif ou des « équipes de rue ».
Par ailleurs, le rapporteur considère que « la coordination avance » et que « peu à peu se met en place un véritable traitement de l'urgence », même s'il ne fonctionne à plein régime qu'en hiver. Et celui-ci évoque les progrès réalisés au niveau de la coordination interinstitutionnelle (service d'urgence sociale dans l'Aube, Coordination mobile d'accueil et d'orientation de Lille), « la tendance à l'effacement de la dichotomie entre opérateurs de l'urgence et CHRS » et une meilleure coordination administrative des actions sur l'hébergement et le logement.
Face à ce bilan en demi-teintes, Michel Thierry estime nécessaire de définir « une éthique de l'urgence » déclinée autour d'une vingtaine de propositions, dont certaines précises et chiffrées. Tout d'abord invite-t-il à « renforcer l'obligation d'accueillir » en inscrivant dans la loi l'obligation d'accueil d'urgence (et en déterminant les moyens de la sanctionner), en élaborant une charte de l'urgence sociale (proscrivant toute condition à l'entrée), en clarifiant les ambiguïtés de l'accueil des étrangers en situation irrégulière. Ou encore en développant des stratégies « d'apprivoisement » par la multiplication des dispositifs mobiles et le maintien d'un contact avec les squats « dont le phénomène doit être mieux intégré dans la réponse à l'urgence ». Deuxième idée forte : instituer dans chaque département, sous l'autorité du préfet, un service départemental de l'urgence sociale sous une forme souple permettant le développement d'un travail en réseau. « Le parti d'ouverture retenu » constitue « une solution économique », estime le rapporteur, qui évalue le surcoût à une trentaine de millions de francs.
Troisième axe : améliorer la qualité de l'accueil. Sur la nécessaire rénovation des locaux, le rapport propose d'engager « une démarche pluriannuelle d'amélioration des conditions matérielles d'accueil ». Quant à la prise en charge des troubles psychologiques et de la violence, elle passe par la mise en œuvre d'une psychiatrie de liaison et par l'organisation de connexions entre réseaux sociaux et psychiatriques mais également par un effort au niveau de la préparation et du suivi des sorties d'établissements spécialisés, notamment pour les personnes placées d'office. Par ailleurs, l'accent est mis fortement sur la compétence des personnels et « l'ébauche d'une politique de qualification ». Ce qui suppose, notamment, de mandater les DRASS pour dresser un état des lieux et nouer d'éventuels partenariats, de les inviter ainsi que les centres de formation à multiplier les stages dans les lieux de réponses à l'urgence sociale, d'initier dans des régions tests des actions pilotes de formation, de mettre en oeuvre un appui technique régional aux structures les moins dotées, d'inscrire dans les conventions d'aide sociale des CHRS des objectifs de qualification ou encore de mettre en place, dans le cadre du Fonds national de développement de la vie associative, un programme de formation des bénévoles de l'urgence... Toute une série de mesures pouvant entraîner un surcoût de 10 millions de francs en année pleine.
En outre, faut-il mettre un terme à la précarité du dispositif. Et Michel Thierry invite à pérenniser les places d'hébergement qui devraient être ouvertes toute l'année, évoquant une hypothèse de 3 000 places supplémentaires (soit 80 millions de francs). Cette démarche de pérennisation devant être étendue aux structures mobiles, accueils de jour et dispositifs de coordination. Enfin, « une éthique de l'urgence » doit-elle passer par « une meilleure sécurité de gestion et de financement aux partenaires des programmes de lutte contre la précarité et d'accueil des sans-abri ». Les propositions invitant sur ce point à donner un statut à l'accueil de jour et aux équipes de rue, transformer en CHRS les structures permanentes dont le projet le justifie, stabiliser les conditions de financement des autres structures, instituer une procédure simplifiée d'agrément dans le cadre de la loi sociale pour les structures sans hébergement, les résidences sociales et les foyers de jeunes travailleurs, renforcer les moyens du suivi central par la DAS.
En dernier lieu, le rapport suggère, non plus des propositions, mais « une série de pistes à explorer dans le cadre de la préparation de la loi contre l'exclusion » afin de mieux articuler l'accueil d'urgence et l'insertion aux niveaux de l'accès aux soins, au logement et à la vie active des jeunes les plus lourdement en difficulté.
Isabelle Sarazin et Jérôme Vachon
(1) La Mie de pain, le Secours catholique, la Mission solidarité SNCF, la Mission solidarité RATP, la direction de l'action sociale, la FNARS, la DDASS de Paris, Emmaüs et la Fondation abbé Pierre.
(2) Danielle Huèges avait déjà participé aux travaux du rapport Quaretta sur l'errance et mené une médiation de terrain auprès de six municipalités ayant promulgué des arrêtés antimendicité - Voir ASH n° 1951 du 1-12-95.
(3) Voir ASH n° 1958 du 19-01-96.
(4) Voir ASH n° 1972 du 26-04-96.