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SECRET DES ORIGINES : LA CRISPATION DU DROIT

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Considérant que la proposition de loi Mattei (1) verrouille encore davantage l'accès aux origines en permettant le recueil des seuls éléments « non identifiants » , Françoise Dekeuwer-Defossez s'alarme de la crispation actuelle du droit français sur cette question.

« Tout d'abord, la notion d'origines ou de recherche des origines est totalement inconnue des textes juridiques actuels. Ce terme ne figure nulle part. Et il faut le traquer derrière d'autres notions comme la filiation, l'identité ou encore la famille. »

« Ensuite, faut-il bien constater que, sur un tel sujet, l'évolution récente du droit est assez déprimante. Face au besoin de plus en plus grand de savoir d'où l'on vient, de rechercher son identité à partir de ceux que l'on appelle les “géniteurs” pour leur dénier le titre de parents - il y aurait 25 000 demandes - on assiste, en fait, à un phénomène de crispation du droit. »

« Tout se passe comme si la dissociation entre filiation juridique et origine biologique, admise sans trop de difficultés à une époque où la biologie était incertaine et la filiation douteuse, devenait d'autant plus honteuse qu'aujourd'hui les certitudes biologiques existent. Il est ici difficile de dissocier le sort des enfants pris en charge par l'aide sociale à l'enfance et ensuite adoptés, de ceux nés de la procréation artificielle. Peut-être d'ailleurs, l'apparition des seconds a-t-elle eu une incidence sur le sort des premiers. »

« En tout cas, il est stupéfiant de remarquer combien l'évolution législative récente est marquée par une occultation de plus en plus sévère des origines biologiques afin de conforter les filiations légales. Comme si ces dernières étaient fragilisées par la révélation de l'origine biologique. Cette évolution est d'ailleurs celle du droit français. D'autres pays européens ne la connaissent pas. Par exemple, en Allemagne, le droit d'accès aux origines a-t-il été reconnu comme droit constitutionnel. »

« La recherche des origines peut être envisagée sous deux angles, qui correspondent d'ailleurs aux deux droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'Homme : la vie familiale et la vie privée. Dans un premier sens, la recherche des origines est une recherche de filiation. Et soulève de nombreuses interrogations :quels sont les liens entre filiation, vie familiale et origine biologique ? Dans quelle mesure l'origine biologique peut-elle ou doit-elle être transformée en lien de filiation ? Et c'est bien parce que, derrière les origines, se profile toujours une question de filiation que le droit et les institutions sont aussi crispés sur cette question. Dans une deuxième perspective, l'origine s'assimile à la “connaissance de soi-même”. Et elle renvoie à la question sous-jacente : est-il normal qu'autrui en sache plus que moi sur moi-même ? N'ai-je pas droit à mon identité qui comprend celle de mes géniteurs ? »

Origine et filiation

« Un enfant a-t-il le droit de voir son origine biologique transformée en lien de filiation juridique ?La réponse à cette question a toujours été nuancée en droit. Historiquement, le refus de transformer un lien biologique en filiation était lié soit à l'incertitude du lien biologique, soit au souci de protéger la cellule familiale “légitime”. C'était, et c'est toujours le cas, pour les filiations incestueuses. Cela l'a été également, pendant très longtemps, pour les filiations adultérines. Ou pour les enfants dits “faussement légitimes”, ou encore lorsqu'à l'occasion de relations hors mariage on connaissait le père biologique de l'enfant mais qu'il n'était pas possible de transformer cette certitude en lien juridique. Il faut noter, d'ailleurs, que ce sont principalement les filiations paternelles qui sont concernées. Pour les filiations maternelles, jusqu'en 1993, le principe était qu'un enfant avait toujours le droit de rechercher sa mère à condition que l'action ne paraisse pas dépourvue de toute vraisemblance. Mais le droit français, en se démarquant de nombreux autres droits et des normes européennes, n'a jamais admis l'adage mater semper certa est, qui est le fait que le nom de la mère étant inscrit dans l'acte de naissance, la filiation de l'enfant est établie. Néanmoins, faut-il aussitôt ajouter que la Cour européenne n'a jamais été saisie de la question de savoir si l'accouchement anonyme est ou non licite. Et s'il est ou non licite que le nom de la mère ne figure pas dans l'acte d'état civil. »

« En 1966, se produit un véritable bouleversement avec la loi relative à l'adoption. Celle-ci fait du jugement d'adoption un “vrai-faux” acte de naissance. C'est la première fois que l'adoption occulte autant le passé. Et à partir de cette date, l'atmosphère va changer. On va voir se profiler un secret des origines de plus en plus épais. »

« En effet, si la loi de 1972 portant réforme de la filiation est encore hésitante, cherchant à la fois à proclamer la vérité biologique et à respecter la vérité sociologique, son équilibre fragile va être profondément perturbé par deux phénomènes : la déstabilisation des familles et, surtout, la révolution des sciences médicales et biologiques. C'est ainsi qu'à partir des années 80, la filiation biologique devient scientifiquement démontrable. Cette vérité fait peur, d'autant que les hypothèses de manipulation de filiation se multiplient pour répondre à des problèmes de stérilité croissants. Une espèce de panique s'empare du législateur, qui va donc interdire l'accès à la vérité. »

« Trois mesures sont ainsi significatives : »

  « La loi du 8 janvier 1993 assouplit légèrement la recherche de paternité naturelle, sans pour autant décider que la preuve biologique suffit. Mais surtout, elle fait entrer dans le code civil l'accouchement secret, jusqu'alors prévu par le code de la famille et de l'aide sociale (CFAS). Pour la première fois dans l'histoire, on décide que le refus par un “géniteur“ de sa maternité est une cause juridique pour priver l'enfant de sa filiation. Le nouvel article 341 du code civil donne à la mère le droit, par une manifestation de volonté unilatérale et incontrôlée, de priver l'enfant de filiation. Il faut bien voir que jusque-là l'accouchement sous X, dans le CFAS, entrait dans une logique de “tolérance” : si la femme refusait de décliner son identité, on ne la privait pas pour autant du bénéfice de la sécurité sociale. Il n'y avait aucune conséquence juridique sur la filiation, sauf que le secret paralysait l'action. Désormais, ce n'est plus un accouchement anonyme, c'est le droit pour la femme de demander le secret. Ce qui pose des tas de questions : une jeune mineure peut-elle exercer ce droit ? Ou encore, une femme mariée a-t-elle, toute seule, le droit de demander le secret ?...

  « Les lois bioéthique du 29 juillet 1994 organisent le double principe d'anonymat des inséminations artificielles avec donneur  (IAD) et d'irrévocabilité des filiations (mensongères) en résultant. Des règles d'ailleurs reprises dans le projet de convention européenne sur les procréations médicalement assistées. Pourtant de nombreux pays (Suisse, Suède, Allemagne...), sans remettre en cause la filiation à l'égard du couple d'accueil, autorisent et organisent l'accès aux origines biologiques.

  « La loi du 29 juillet 1994 (article 226-228 du code pénal) interdit à quiconque, sous peine d'un an de prison et de 100 000 F d'amende, de rechercher l'identification génétique d'une personne si elle n'est pas ordonnée par un juge. Tout ce qui concerne les recherches génétiques à l'amiable est donc interdit. Ce texte pénal est le symbole même du refus du législateur d'admettre que l'on puisse chercher la vérité biologique en dehors d'une action en filiation. Et dans la mesure où l'adoption interdit toute remise en cause de la filiation, il y a bien un refus du législateur que la vérité soit connue. C'est ce qui explique l'échec de toutes les demandes de levée d'anonymat. On interdit l'accès aux origines dans la mesure où la filiation ne peut pas suivre. Il faut noter d'ailleurs que ce choix n'est pas invalidé par la Cour européenne des droits de l'Homme. Celle-ci, en effet, a estimé, le 6 avril 1994, licite le refus opposé à un père de faire pratiquer un test sur un enfant qu'il pensait être le sien, au motif que ce mineur bénéficiait d'une vie familiale normale.

Origine et identité

« La recherche de soi-même est-elle un droit ? La quête de ses origines est-elle un droit indépendamment de la filiation ? »

« En 1994, le Conseil constitutionnel a refusé de considérer le droit de connaître ses origines biologiques comme faisant partie du droit à la santé garanti par la Constitution. »

« La Convention internationale des droits de l'Enfant, signée en grande pompe par la France en 1989, semblait une piste prometteuse mais elle est actuellement dans l'impasse. Elle consacre, en effet, dans son article 8, le droit à l'identité définie comme étant la nationalité, le nom et les “relations familiales” qui doivent être protégées des “ingérences illégales”. Il s'agit de l'identité au sens de l'état civil, mais l'article 21 applicable aux placements d'enfants et aux adoptions impose de tenir compte de l'origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique. Au-delà de l'identité purement identificatoire, il y a donc une reconnaissance de l'appartenance de l'enfant à un groupe doté d'une histoire. Enfin, il faut bien sûr évoquer l'article 7 consacrant le droit pour l'enfant de connaître ses parents “dans la mesure du possible”. Mais la Cour de cassation, le 12 mars 1993, dans un arrêt de principe, a déclaré que la Convention internationale des droits de l'Enfant n'accordait aucun droit susceptible d'être invoqué par un particulier devant les tribunaux. »

« Quant au droit au respect de la vie privée, c'est le seul qui soit consacré par deux textes contraignants : l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme et l'article 9 du code civil. C'est ainsi que dans l'arrêt Gatskin du 7 juillet 1989, la Cour européenne des droits de l'Homme a rendu une décision qui est à la fois une ouverture et une fermeture. Dans un motif de principe, elle a énoncé que “le respect de la vie privée impose de permettre à chacun d'établir les détails de son identité d'être humain”. Elle fait donc entrer explicitement la connaissance des origines dans la “vie privée” protégée par la Convention. La Cour ajoute “qu'interdire l'accès à de telles informations, sans justifications précises, constitue une violation de l'article 8”. Mais aussitôt, elle énonce que la protection de la vie privée de tiers est une raison valable de refuser l'accès aux informations. Sur ce point, les Etats sont donc renvoyés à leur liberté pour “doser” la protection de la vie privée de la mère ou de l'enfant, du moment que l'un d'entre eux n'est pas totalement privé de protection. Quant à l'article 9 du code civil, la jurisprudence française n'a jamais franchi le pas de la Cour européenne des droits de l'Homme. Elle n'a jamais admis que les origines et l'identité soient protégeables au titre de la vie privée. Bien au contraire, c'est la maternité qui a été incluse dans la vie privée. Et, en dehors même de l'accouchement sous X, le droit de préserver le secret de la maternité (par exemple, envers les journaux) a-t-il été plusieurs fois rappelé. Pour sortir de l'impasse, il faudrait admettre que la vie privée de la mère ne soit pas protégeable à l'égard de son enfant. Et donc admettre une certaine relativité de la vie privée. La jurisprudence l'a déjà admis, au moins dans un cas  : celui du constat d'adultère. Il faudrait qu'elle veuille l'accepter aussi pour la recherche des origines. »

« Par ailleurs, le rattachement de la vie privée aux droits de la personnalité entraîne toute une série de conséquences juridiques. Comme le fait que ces droits ont un régime particulier entraînant l'indisponibilité, l'incessibilité et surtout l'imprescriptibilité. C'est d'ailleurs là-dessus que se sont fondées la commission d'accès aux documents administratifs et la circulaire du ministre de la Culture de 1996 relative à la consultation des archives, pour affirmer que le secret demandé par la mère est imprescriptible. Là aussi, les mécanismes juridiques de déblocage existent. »

« Il est certain que tant qu'on décidera qu'on ne veut pas utiliser les moyens juridiques, il n'y aura pas de droit à l'accès aux origines. »

Françoise Dekeuwer-Defossez PROFESSEUR DE DROIT À L'UNIVERSITÉ DE LILLE II MEMBRE DU GROUPE PASCAL sur l'accès des pupilles et anciens pupilles de l'Etat, adoptés ou non, à leurs origines. Texte de l'intervention au colloque du 9 mai 1996, organisé par la fondation La vie au grand air sur « Le droit d'accès au dossier des enfants de l'ASE ».

Notes

(1)  Adoptée en première lecture en avril.

Tribune Libre

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