« Les éducateurs techniques ne sont pas des travailleurs sociaux, même s'ils ont des fonctions éducatives. Je ne pense pas qu'ils doivent se considérer comme des travailleurs sociaux. » Murmures et grondements désapprobateurs dans la salle parmi les quelque 300 éducateurs techniques venus à Rennes pour assister aux IIIe assises du social qu'organisait, le 29 mars dernier, l'IRTS de Bretagne (1). Vingt ans après l'instauration du certificat d'aptitude aux fonctions d'éducateur technique spécialisé (CAFETS), il s'agissait de faire le point sur cette profession mal connue qu'ils sont près de 16 000 à exercer (dont un peu moins de 6 000 titulaires du CAFETS), principalement dans des établissements pour adolescents (IMPRO) ou adultes handicapés (CAT).
En déniant aux éducateurs techniques le titre de travailleurs sociaux, Alain Blanc, sociologue, touchait bien évidemment un point sensible. Issus du « monde du travail » - les conditions requises pour être éducateur technique spécialisé (ETS) sont en effet d'abord d'avoir au moins cinq années d'activité professionnelle dans son métier de base -, les ETS vivent une première rupture avec leur culture technique, voire ouvrière. En travaillant principalement auprès d'adolescents ou d'adultes handicapés, ils partagent nécessairement une part de la marginalisation que vit cette population. En intégrant tardivement un milieu professionnel, celui du travail social et de ses institutions, ils rencontrent une culture davantage basée sur le verbe que sur le geste. Enfin, ceux d'entre eux qui se lancent dans le cursus des trois ans de formation nécessaires à l'obtention du CAFETS, y côtoient des élèves éducateurs spécialisés titulaires au moins du baccalauréat, alors qu'ils ne sont eux-mêmes qu'une minorité à être bacheliers. Une enquête, réalisée par des étudiants ETS en 2e année à l'IRTS de Bretagne auprès de plus de 100 éducateurs techniques, ne dénombrait en effet que 11 % de bacheliers.
« On ne peut que revendiquer le rôle de travailleur social, conteste Gérard Cotereau, président de l'Association nationale des éducateurs techniques (Anetec) (2), à moins de nier la formation que nous recevons. A condition toutefois de ne pas oublier notre fonction spécifique. Mais, ajoute-t-il, cette revendication me paraît également renforcée par le manque de considération général de notre société vis-à-vis des métiers manuels. Il arrive aussi que les éducateurs techniques, souvent minoritaires dans leurs institutions - ils sont en moyenne trois par établissement - soient un peu “perdus” au milieu d'autres professionnels, plus nombreux. Pourtant, précise Gérard Cotereau, cela ne relève pas d'une question statutaire puisque dans le secteur conventionnel, les ETS sont à égalité de statut et donc de salaire avec leurs collègues éducateurs spécialisés. »
Une égalité de statut qui ne concerne cependant pas leurs collègues exerçant dans le secteur public hospitalier - ils représentaient en 1994 environ 3 % des ETS - qui voient progressivement les textes officiels grignoter leur assimilation à la carrière et aux avantages statutaires des éducateurs spécialisés.
Pourtant, rappelait Michel Robin, formateur à l'IRTS de Bretagne, les premiers éducateurs qui encadraient les jeunes marginaux dans les colonies agricoles du XIXe siècle étaient bien des éducateurs techniques. « A cette époque, précise Michel Robin , il n'y avait qu'un type d'éducateur pour prendre en charge ces jeunes marginaux, en partageant leur existence 24 h sur 24. C'était le contremaître d'atelier, autrement dit, l'éducateur technique “avant la lettre”. Petit à petit, celui-ci se désengagera des tâches de surveillance pour les laisser à ceux qui deviendront plus tard les éducateurs spécialisés, mais qui pour l'heure ne sont que surveillants. »
L'industrie avait alors besoin de main-d'œuvre et le travail représentait la vertu, opposé à l'oisiveté, « mère de tous les vices ». Mais progressivement, note Michel Robin, sous l'influence notamment de la neuropsychiatrie, l'importance du travail, tout en conservant ses vertus éducatives, va laisser la place à « la relation », dont les éducateurs spécialisés deviendront peu à peu les « techniciens ». La disparition des centres de rééducation au profit des services de milieu ouvert entraînera la suppression de nombreux postes d'éducateurs techniques, qui se replieront dans les années 60 vers les établissements destinés à accueillir les déficients intellectuels et mentaux. Ainsi, résume Michel Robin, « il ne s'agit plus de sortir les jeunes marginaux de prison pour les remettre au travail, mais de sortir des jeunes déficients mentaux qui croupissent dans les hôpitaux psychiatriques avec l'espoir pour eux de leur offrir une certaine forme de réinsertion grâce à une formation adaptée, des soins mieux appropriés et des conditions de vie plus épanouissantes ».
« L'épanouissement, parlons-en ! », s'exclame cet éducateur technique qui travaille en CAT. « Nous sommes de plus en plus considérés comme des techniciens ou des chefs d'atelier », souligne-t-il, en déplorant le productivisme auquel s'abandonnent de plus en plus ces établissements. « A quoi sert-il d'augmenter la productivité dans un CAT ? », se demande-t-il. « A rémunérer le capital ? Mais quel capital ? » Et de souligner la multiplication des passages à l'acte violents de la part des travailleurs en CAT, qui supportent de plus en plus difficilement leurs conditions de travail. D'autant que le secteur du travail protégé est confronté à la crise de l'insertion professionnelle, qui fait que les usagers des CAT ont de plus en plus de difficultés à intégrer l'entreprise non protégée. Les établissements d'accueil devant en outre faire face au vieillissement des personnes handicapées. D'où les interrogations, en amont, des éducateurs techniques qui exercent auprès d'adolescents dans les IMPRO : faut-il continuer à former les jeunes à un métier particulier, ou au contraire développer leur capacité d'adaptation ?
Face à toutes les questions qui agitent ce secteur finalement pas si protégé, il en est qui préfèrent investir le champ moins balisé, mais peut-être plus novateur, des entreprises d'insertion ou celui de la prévention spécialisée. Encore minoritaires, ces éducateurs regrettent une formation trop axée sur le handicap mental et pas assez sur les questions d'inadaptation sociale. Patrick Leman, en 3e année à l'Institut de travail social de Tours, a choisi de travailler au sein d'un club de prévention au Mans. « J'ai été artisan dans le bâtiment pendant cinq ans, et j'ai voulu faire une formation de moniteur-éducateur à laquelle je n'ai pu accéder. Quand j'ai été embauché, se souvient-il, c'était pour encadrer des chantiers d'aménagement du cadre de vie du quartier, avec des jeunes. Mais j'ai été amené à effectuer le même travail que les éducateurs spécialisés, travail de rue, entretiens individuels, etc. » A la différence de ses collègues en CAT ou en IMPRO, il n'a donc ni le rôle d'enseignant, ni celui de responsable de production. A l'Anetec, on regarde avec circonspection ce type d'évolution : « On risque d'y perdre ce qui fait notre spécificité, observe Gérard Cotereau, à savoir notre compétence technique et celle de l'enseignement. » En revanche, on y est moins sceptique vis-à-vis des possibilités qu'offrent les entreprises d'insertion, même si cela implique de modifier sensiblement les contenus de la formation.
La réforme du CAFETS, à l'ordre du jour depuis plusieurs années, est d'ailleurs très attendue par les centres de formation. Entrant dans le cadre plus large de l'harmonisation des filières éducatives, elle prévoit un allongement de la durée de formation, qui portera le nombre d'heures de formation théorique de 910 à 1 200 heures (voir encadré). L'accent sera mis davantage sur la fonction de maître d'apprentissage et sur l'aspect gestionnaire de production. Autre changement important prévu par la réforme : la formation pourra se dérouler en voie directe alors qu'elle n'est accessible pour l'heure qu'en situation d'emploi. Parallèlement, elle prévoit l'allégement du nombre d'années requis dans l'exercice de son métier de base. Conséquence probable de cette réforme, craint-on à l'Anetec, la formation en voie directe va favoriser l'accès aux étudiants plus diplômés, et risque de pénaliser les éducateurs techniques qui souhaitent accéder au CAFETS en cours d'emploi. « Il est question de recruter les élèves au niveau BTS, mais parallèlement, on les dispenserait des cinq années d'expérience professionnelle, ce que nous entendons contester », s'exclame Gérard Cotereau. Mais le désaccord des éducateurs techniques porte encore davantage sur la suppression de l'épreuve d'examen qui consiste à évaluer la capacité de l'éducateur à transmettre le savoir. Cela reviendrait, selon le président de l'Anetec, à gommer la fonction enseignante de l'ETS.
Invité à conclure la journée, Claude Bouillon, ancien éducateur technique, aujourd'hui directeur d'une maison d'accueil spécialisée, a exhorté les éducateurs techniques à renouer avec leur fierté de travailleur manuel. « L'une des richesses de l'éducateur technique, a-t-il lancé à l'assemblée, c'est précisément sa culture ouvrière et technique. Il est capable de parler avec les mains. Il faut absolument valoriser votre métier, votre technique. » Avant d'ajouter, mobilisateur : « Que les éducateurs techniques aient de l'ambition, de la confiance, et qu'ils n'oublient pas qu'ils ont dans leur établissement une position hiérarchique. »
Philippe Jouary
La formation théorique comprendra 1 200 heures et la formation pratique 15 mois de stage. La formation devrait articuler :
des unités de formation spécifiques à la formation d'ETS et liées à leur identité professionnelle ;
des unités de formation générales permettant l'acquisition des éléments fondamentaux à l'exercice de professions sociales en général ;
des séquences d'intégration à la réalité de la pratique profes- sionnelle dans le cadre de stages. Il s'agit :
de maintenir une homologation de formation équivalente à celle des éducateurs spécialisés, des assistants de service social, des éducateurs de jeunes enfants et des conseillers en économie sociale et familiale, afin de pouvoir accéder à des formations supérieures et permettre un dialogue professionnel à parité ;
de mettre en place une formation qui dépasse la notion d'adaptation à la fonction exercée et permette une prise en compte des extensions et des évolutions des besoins, et la possibilité d'une mobilité professionnelle des ETS.
(1) « Les éducateurs techniques spécialisés 20 ans après l'arrêté de 1976 instituant le CAFETS : Quelles fonctions ? Quelles compétences ? Quel avenir ? » - Institut régional du travail social de Bretagne : 2, avenue du Bois-Labbé - BP 1639 - 35016 Rennes cedex - Tél. 99.59.41.41.