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CC 66 : histoire d'une naissance

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La convention collective du 15 mars 1966 vient de passer le cap des 30 ans. Un anniversaire crucial à l'heure où le secteur sanitaire et social s'organise en branche professionnelle. Détour historique avec deux négociateurs de l'époque : Yves Chemarin pour le SNAPEI et Jean Ropert pour la CFDT.

Actualités sociales hebdomadaires  : Quelles sont les origines de la convention collective du 15 mars 1966 (1)  ?

Yves Chemarin (ACTUEL DIRECTEUR GÉNÉRAL DU SNAPEI, IL ÉTAIT, EN 1966, RESPONSABLE DES RELATIONS PROFESSIONNELLES À L'UNAPEI ET L'UN DES FONDATEURS DU SNAPEI)  : La convention de 1966 a pris la suite des fameux accords UNAR-ANEJI qui avaient été signés huit ans plus tôt, le 16 mars 1958. Elle a été le fruit d'un travail de longue haleine puisque les premières discussions ont commencé pratiquement en 1962, à l'initiative de l'Union nationale des associations de réadaptation et de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence (l'UNARSEA devenue depuis l'AFSEA) et du Syndicat national autonome de l'enfance inadaptée (SNAEI), ancêtre de la FNAS-FO. Quant aux actuels syndicats d'employeurs, ils ne sont apparus qu'à ce moment-là - le SOP en 1962-1963 puis le SNAPEI et le SNASEA en 1964 - afin de constituer un outil juridique permettant de négocier et de contracter en matière d'accords collectifs.

Jean Ropert (ÉDUCATEUR SPÉCIALISÉ, IL A ÉTÉ NÉGOCIATEUR DE LA CFDT-SANTÉ SOCIAUX DE 1968 À 1983. IL EST AUJOURD'HUI DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ASSOCIATION DE LA PROTECTION DE L'ENFANCE DE SAINT-NAZAIRE, ADHÉRENTE AU SOP)  : Il est vrai que l'initiative est d'abord venue de certains responsables d'établissement et du SNAEI qui a joué dans cette affaire un rôle moteur. Beaucoup plus, par exemple, que la CGT et la CFDT. Il faut dire qu'il existait alors un courant syndical, auquel j'adhérais, qui était plutôt favorable à l'extension de la convention de 1951. Nous estimions que plus il y aurait de salariés réunis sous la même convention, plus nous serions forts pour négocier des avancées sociales.

Y. C.  : Il n'a cependant jamais été réellement question d'une fusion avec la convention collective de 1951. Même si après 1968 nous avons mis en place, à l'instigation du ministère du Travail, une commission mixte qui a fonctionné durant une quinzaine d'années et qui a permis d'harmoniser ce qui était possible entre les conventions collectives de 1951,1966 et 1965. Ceci dit, il est vrai que le débat sur une convention unique existe depuis longtemps et qu'il est toujours actif. Mais cette idée se heurte à des difficultés pratiques.

ASH  : Pourquoi une nouvelle convention apparaissait-elle nécessaire ?

Y. C. : Il s'agissait de fixer le cadre dans lequel commençait à naître la profession d'éducateur spécialisé. Il faut se rappeler qu'à l'époque, il n'existait que la convention de 1951. Or, celle-ci avait tendance à étendre son champ d'application et recouvrait en grande partie le social et le médico-social naissant. Le problème de l'identité professionnelle de ces deux secteurs était donc posé. Ce qui explique que le principal point de débat ait concerné le champ d'application de la nouvelle convention et son périmètre par rapport à celle de 1951. Cette controverse, qui touchait au problème des rapports entre le sanitaire et le médico-social et social, s'est d'ailleurs poursuivie jusqu'à ce que la loi de 1970 sur les institutions hospitalières et, surtout, celle de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales, viennent instaurer une frontière symbolique.

J. R. : Pour les syndicats de salariés, l'essentiel était de donner un statut à l'ensemble des professionnels œuvrant dans le social. Dans les années 60, les partisans du « bénévolat caritatif » étaient encore très influents dans le secteur. Il n'y avait pas d'horaires, pas de garantie sur les conditions de travail et quasiment pas de présence syndicale dans les établissements et services. Nous étions à la merci de directeurs dont beaucoup étaient membres ou salariés de congrégations religieuses. Alors qu'au même moment, le développement des écoles et la mise en place de la formation d'éducateur nous engageaient sur la voie d'un véritable professionnalisme social. Il existait cependant des divergences entre les différents syndicats de salariés sur les objectifs à atteindre. Le SNAEI, qui était extrêmement corporatiste, voulait une convention pour les éducateurs, par les éducateurs. Pour d'autres syndicats, dont la CFDT, l'ensemble des personnels devait bénéficier d'un statut, y compris les femmes de ménage, les agents d'entretien et les personnels administratifs. Il a fallu batailler ferme pour arriver à faire passer cette notion.

ASH  : Comment se sont déroulées les négociations ?

Y. C. : L'ambiance était plutôt bon enfant. Il y a eu cependant des à-coups importants provoqués, en particulier, par le ministère de la Justice. En effet, même s'il ne participait pas directement aux négociations, il s'y intéressait de très près dans la mesure où ce que l'on appelle aujourd'hui le secteur habilité était alors sous la coupe de l'éducation surveillée. Or, celle-ci était très réticente à la constitution d'un ensemble professionnel autonome. Elle souhaitait conserver un réseau d'établissements privés, rattaché au ministère de la Justice et complètement maîtrisé. Elle y a d'ailleurs en partie réussi puisque la première grille de classification des directeurs a été imposée par la chancellerie. Tout ça s'est cependant normalisé par la suite avec la mise en œuvre de la législation sur l'aide sociale à l'enfance et de la loi de 1975 sur les institutions sociales.

J. R. : Les deux autorités de contrôle, le ministère de la Justice et celui des Affaires sociales, pesaient effectivement lourdement sur les négociations. A une certaine époque, elles ont même freiné les discussions, je pense sous l'influence de certaines associations employeurs qui souhaitaient maintenir la situation antérieure. Quant aux discussions elles-mêmes, si les syndicats de salariés étaient souvent en phase avec ceux d'employeurs, ça n'a pas toujours été facile pour ces derniers d'entamer le dialogue, en particulier avec la CGT et la CFDT. Quand certains d'entre eux insistaient pour aller rencontrer les organisations syndicales, d'autres refusaient, estimant que c'était discuter avec le diable. A tel point qu'à bout d'arguments, telle religieuse responsable d'association avait fini par lâcher qu'elle préférait discuter avec le diable plutôt qu'avec des « cons »...

ASH  : Finalement, la convention a tout de même été signée...

J. R. : Curieusement, alors que les partenaires sociaux tergiversaient, ce sont les tutelles qui, en dernier ressort, ont quasiment imposé qu'elle soit signée. Cependant, à la CFDT, nous n'avons signé qu'en juin 1968. Tout comme la CGT. Il y avait à cela une raison essentielle. En effet, dans la première mouture de la convention, un article stipulait que les partenaires sociaux différaient la mise en œuvre de leurs accords financiers à l'accord de la tutelle, représentée par le préfet du département. A la CFDT, nous ne voulions de cette disposition à aucun prix car, dès lors, il ne s'agissait plus d'une convention collective nationale. Suivant les départements, les modalités d'application auraient été différentes. Nous avons donc bloqué là-dessus et retardé notre signature jusqu'à ce que cet article ait été supprimé. Ce qui n'a d'ailleurs pas servi à grand-chose puisque, quelques années plus tard, l'article 16 de la loi de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales a réintroduit ce principe en stipulant que les avenants aux conventions collectives du secteur ne s'appliqueraient que dans la mesure où ils auraient été agréés par l'autorité de tutelle.

ASH  : Trente ans après, quel bilan peut-on tirer de l'application de la CC 66 ?

Y. C.  : Même si beaucoup de points se sont révélés mal adaptés, compte tenu des évolutions de la société, elle a indéniablement permis de donner une identité au secteur médico-social et de le professionnaliser. Il ne faut pas oublier que l'on venait d'un univers un peu « boy-scout ». Elle a également eu une fonction d'organisation. Et elle a permis, durant toutes ces années, de poursuivre une concertation permanente pour une gestion intelligente des crises nécessaires à l'évolution du champ professionnel. Il n'en demeure pas moins qu'il existe, à l'heure actuelle, un problème d'adaptation de la convention en matière de classification et de rémunération. Ainsi, l'ancienneté pèse d'un poids considérable, freinant la mobilité et l'évolution de l'emploi. Même chose en ce qui concerne la majoration familiale du salaire. Comment arriver à ce que la rémunération soit constituée essentiellement en fonction du niveau de compétence du salarié et non pas d'éléments accessoires tels que l'ancienneté ou la majoration familiale ? C'est le principal chantier du SNAPEI pour la convention de 66. Mais l'enjeu prioritaire pour les années à venir est ailleurs. Avec la création de l'UNIFED, nous allons, en effet, vers la constitution d'une branche professionnelle sanitaire et sociale qui va progressivement restreindre l'importance des conventions collectives. Tous les problèmes généraux seront traités au niveau des négociations de branche.

J. R. : Pour ma part, je dirais que la convention a répondu à son objet en son temps. Mais je pense qu'il faut, aujourd'hui, la réaménager sur certains points. Je crois qu'il faudrait supprimer les congés trimestriels pour les cadres. En revanche, je les défends farouchement pour les travailleurs sociaux qui sont confrontés, sur le terrain, à des situations très difficiles. Ils ont parfois besoin de souffler. Je pense également que l'échelle des salaires est beaucoup trop courte dans nos professions. Entre un professionnel débutant et un directeur d'association, il y a un écart de salaire qui ne va pas de un à trois. Il y a aussi le problème de la progression à l'ancienneté. En tant que directeur, je n'ai pas le droit de sanctionner positivement le travail de salariés qui se donnent du mal. Ça ne favorise pas une mobilité professionnelle qui permettrait, pourtant, de lutter contre l'usure professionnelle. Cependant attention !Il ne faut pas supprimer quoi que ce soit tant que l'on n'est pas parvenu à de nouveaux accords. La CC 66 a besoin d'un toilettage, c'est évident. Mais, surtout, il faut la protéger tant que l'on n'a pas de meilleures propositions à faire. Malheureusement, je crains que les salariés du secteur ne soient trop habitués à avoir tout, tout cuit. Il peut se passer n'importe quoi, qui va monter au créneau aujourd'hui ? Il est vrai que les choses étaient plus simples lorsque je participais aux négociations conventionnelles pour la CFDT. C'était alors les trente glorieuses et il y avait de l'argent.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

LES CHIFFRES DE LA CONVENTION

180 000 salariés, représentant 70 professions différentes, travaillent actuellement au sein des établissements et services relevant de la CC 66 : 76 000 en IME et internats, 16 000 en CAT, 15 000 en foyers d'hébergement pour adultes, 9 000 en foyers occupationnels, 5 100 en MAS, 3 600 en AEMO, 2 000 en CHRS, 2 000 en prévention spécialisée et 1 400 en centres de formation. Chiffres fournis par la CFDT-Santé sociaux lors de sa journée du 21 mars sur les 30 ans de la CC 66.

Notes

(1)  Convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées. Ses actuels signataires sont, pour les syndicats employeurs, le SOP, le SNAPEI et le SNASEA, et, pour les syndicats de salariés, la CFTC-Santé sociaux, la FNAS-FO, la CGT-Santé et action sociale, la CFDT-Santé sociaux et la CGC du secteur sanitaire et social.

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