« C'est dans les années 70, en se rapprochant sans doute, mais ce n'est qu'une hypothèse, des fonctions dévolues aux “auditeurs” attachés au Conseil d'Etat ou à la Cour des comptes, que sont apparues les premières manifestations de ce “gadget”.
« Très rapidement en vogue dans le secteur marchand, il avait bien tenté quelques incursions dans notre milieu, sans y rencontrer trop de succès. Le voilà remis au goût du jour, devenu l'arme absolue des élus et organismes de tout poil, dès que le moindre changement d'orientation politique de quelque mairie ou conseil général se manifeste.
« Il devient alors l'assurance qui permet de mettre en lumière les difficultés dont ils héritent, de les dédouaner des mesures, forcément impopulaires, qu'ils sont contraints de prendre pour assainir la situation et parer d'une nouvelle virginité leur “bonne gestion” qui, à son tour, au prochain changement, sera pourfendue.
« L'auditmanie a cependant des conséquences pernicieuses, elle sème dans les établissements du secteur médico-social des investigateurs qui, s'ils peuvent être qualifiés “d'auditeurs”, n'en restent pas moins complètement sourds aux arguments des professionnels de terrain, car leur commande se situe dans un cadre purement économique. Ils proviennent d'un petit nombre de cabinets ou d'officines hautement spécialisés, mettant en coupe réglée communes et départements, dans les secteurs à gros budget, ce qui bien évidemment nous place parmi les contaminés de la première heure.
« Tout ceci ne pourrait rester qu'au stade de la péripétie, si l'auditmanie n'évoluait pas insidieusement vers une nouvelle forme de définition des politiques sociales. A la différence de la RCB, qui détermine des priorités de financement à des niveaux très généraux, l'auditmanie touche notre quotidien, vient affaiblir et risque de déqualifier nos pratiques.
« En l'état actuel de cette récente endémie, le traitement est à base de prises de position claires, de dénonciation des thèses de support, qui sont en partie invalidées par leur seule portée économique, de mise en place de fronts de refus organisés, au besoin médiatisés, seuls capables d'enrayer la progression de cette nouvelle affection.
« L'absence de traitement, la résignation, ne font que procurer un peu plus de gains financiers aux organismes propagateurs et nous priver des moyens de prendre en charge les réelles difficultés des personnes qui nous sont confiées.
« Cette nouvelle peste (tous n'en mourront pas...) doit être soignée comme il convient. Que les contrôles s'exercent, ce n'est pas scandaleux, que l'argent public soit justement utilisé, cela ne peut que nous servir, mais il n'est ni dans nos mœurs, ni dans nos intentions, me semble-t-il, de contribuer à engraisser, par notre manque de rigueur et un certain fatalisme, des marchands d'indices et de ratios aussi technocratiques que faussement réducteurs de la complexité des difficultés de nos usagers. »
(1) Et président de l'Association départementale des responsables d'établissements et de services spécialisés : 52, rue J.-Coddeville - BP 106 - 76193 Yvetot cedex - Tél. 35.95.08.33.