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Les chantiers de Xavier Emmanuelli

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Dispositif d'urgence pour l'hiver. Lieux d'accueil de jour. Grande exclusion et psychiatrie. Le secrétaire d'Etat à l'action humanitaire d'urgence révèle, pour les ASH, les conclusions des rapports Thierry, Huèges et Patris et les suites qu'il entend leur donner. Certaines d'entre elles pourraient s'inscrire dans la loi-cadre contre l'exclusion.

Actualités sociales hebdomadaires

 :Vous semblez ronger votre frein quant à la préparation de la loi-cadre contre l'exclusion et à ses lourdeurs. Pensez- vous être seulement un aiguillon de la politique gouvernementale ou avez-vous l'intention d'imprimer votre marque sur ce projet de loi ?

Xavier Emmanuelli  : Comme vous le savez, le Premier ministre a désigné deux « copilotes » pour la préparation de cette loi : Jacques Barrot et moi-même - j'observe au passage qu'il faudrait changer de terminologie et parler de loi de cohésion sociale plutôt que de loi contre l'exclusion, cela donne un aspect plus dynamique.

Je pense que ce copilotage fonctionne bien, nos apports respectifs étant très complémentaires. Jacques Barrot connaît admirablement le système social français et le paysage institutionnel dans lequel il se situe. Pour ma part, je fais des propositions fondées sur les observations que ma pratique m'a amené à faire. Je retire de ces années passées sur le terrain certaines idées sur les solutions à apporter dans les secteurs de l'urgence sociale et de l'accès aux soins des plus démunis, bien sûr. Mais également en ce qui concerne l'insertion, l'accès au logement, à la citoyenneté et à la culture. Dans tous ces domaines, j'espère porter cette loi à la lumière de ce que je connais : le terrain et ses attentes. Je ne souhaite pas seulement être un imprécateur. Ma qualité de responsable gouvernemental m'oblige à agir de façon constructive, à faire des propositions concrètes et pragmatiques. Mais cette exigence ne doit pas tuer l'ambition de faire des avancées importantes. Et, croyez-moi, je nourris de réelles ambitions pour cette loi contre l'exclusion. Elle devra être véritablement une loi de prévention et de cohésion sociale.

ASH  : Le calendrier annoncé sera-t-il respecté ?

X. E.  : Je peux vous affirmer que les arbitrages seront rendus à très court terme, et que nous déposerons cette loi à l'Assemblée nationale avant la fin juin comme l'a annoncé le Premier ministre.

ASH  : Quel bilan dressez-vous du dispositif d'accueil et d'hébergement d'urgence pour l'hiver que Michel Thierry était chargé d'évaluer ?Sera-t-il prolongé, comme vous le souhaitiez ?

X. E. : Le dispositif mis en place avant l'hiver va naturellement être prolongé ainsi que je l'avais annoncé. D'ailleurs, les DDASS avaient anticipé et pris les mesures permettant de maintenir une grande partie de ce dispositif. Dans certains endroits toutefois - il ne faut pas le cacher - il risque d'y avoir un problème de bouclage financier pour tenir jusqu'à la fin de l'année. Je suis en train de discuter avec le ministère des Finances pour que les crédits nécessaires soient attribués. Je ne peux imaginer que le gouvernement ne tienne pas son engagement.

Le rapport de Michel Thierry n'a pas encore été rendu public. Toutefois, je peux vous en dire les grandes lignes (1). Il montre que globalement la « campagne hiver » s'est déroulée dans de bonnes conditions, notamment en ce qui concerne l'hébergement d'urgence qui a été bien dimensionné. Ce rapport, qui est le résultat d'une très large enquête menée dans toute la France, confirme ce que j'ai pu moi-même constater en allant chaque semaine sur le terrain. Il y a eu certainement un gros effort pour la qualité de l'accueil, mais il reste encore, c'est vrai, dans certaines villes, des centres d'un autre âge, ne serait-ce que par leur dimension, qui les rend incapables de songer à un accueil digne.

Il reste aussi, c'est le constat de Michel Thierry, des problèmes non réglés, notamment en ce qui concerne l'accueil des jeunes, l'accès aux soins et surtout la prise en charge de la souffrance psychologique des personnes dans l'errance. Certains établissements continuent à rejeter les personnes jugées indésirables sans -et c'est cela qui est inadmissible - qu'une solution alternative, mieux adaptée à leurs besoins, leur soit proposée.

ASH  : Quelles mesures comptez-vous prendre à la suite de ce rapport ?

X. E.  : Michel Thierry fait des propositions qui vont dans le sens des mesures que je préconise. Elles se situent dans la continuité et dans l'esprit du rapport Quaretta (2), et s'articulent autour de deux idées-forces : instaurer une éthique de l'urgence et renforcer le lien entre l'urgence et l'insertion. Certaines de ses recommandations pourront s'inscrire dans la prochaine loi contre l'exclusion ou dans les mesures d'accompagnement. Parmi celles-ci, je citerai :

- l'inscription dans la loi de l'obligation d'accueil avec une possibilité de sanctions 

- l'établissement d'une programmation pluriannuelle de l'amélioration des conditions d'accueil des CHRS 

- l'instauration d'une mission « qualité » à la direction de l'action sociale 

- l'amélioration de la qualification des personnels 

- la diffusion des modèles de formation courte à l'attention des travailleurs sociaux 

- ou encore la mise en place d'un programme de formation pour les bénévoles.

ASH  : Le rapport Huèges sur les lieux d'accueil de jour fait naître un débat sur la notion de lieu d'accueil. Certains opposant les grosses structures professionnalisées aux lieux légers essentiellement gérés par des bénévoles. Quelle est votre position ?

X. E.  : Je ne ferai pas la différence entre bénévoles et professionnels, mais plutôt entre bénévoles et salariés, car l'on peut être bénévole et empiriquement professionnel. En tout cas, sur le terrain, il faut une aptitude à la rencontre, sinon on risque de faire n'importe quoi.

ASH  : Qu'allez-vous proposer à la suite de ce rapport ?

X. E.  : Ce rapport de grande qualité établit d'abord un constat : l'extension rapide des lieux d'accueil de jour (on en compte aujourd'hui une centaine), ce qui est très positif, mais aussi le risque d'une dispersion des efforts. La gamme et la qualité des différents centres sont variables. Les pouvoirs publics doivent donner la priorité à un accueil professionnel, associant professionnels et bénévoles formés. Le rapport préconise notamment l'élaboration d'une charte nationale des lieux d'accueil de jour, et la mise en place d'un réseau national, regroupement souple des principaux partenaires publics et privés avec un rôle d'animation et de soutien technique. On pourrait également confier à ce réseau une fonction de formation et d'évaluation des pratiques. Je travaille actuellement sur ces bases.

ASH  : Quelles sont les conclusions du groupe de travail « grande exclusion et psychiatrie » présidé par Mme Patris ?

X. E.  : Le rapport n'est pas encore terminé, mais on constate déjà qu'il existe un besoin réel. L'accès aux soins psychiques est difficile. On ne sait pas très bien répondre à la souffrance psychologique qui est moins visible que la souffrance somatique. Je souhaite que l'on prenne en compte ce problème, que les psychiatres se remettent en question. Entendez-moi ! Je ne suis pas un partisan d'une psychiatrisation à outrance. Je dis simplement que pour le moment, le diagnostic psychique repose trop souvent sur le travailleur social qui, de ce fait, se sent bien seul et désemparé. Pour remédier à cet état de fait, il faut privilégier le travail en réseau entre l'ensemble des professionnels sanitaires et sociaux. La présence des psychiatres doit pouvoir revêtir des formes très diverses, adaptées aux situations locales, mais elle doit être régulière et organisée.

ASH  : Mais n'y a-t-il pas un risque de psychiatrisation des risques sociaux, de la misère ?

X. E.  : Ce risque je l'entends. Les psychiatres disent : « Donnez aux gens un logement, du travail, une famille, et vous verrez les problèmes seront résolus. » Mais qui va faire ça ?C'est chacun, c'est la citoyenneté. Ce risque existe mais, pour moi, il est plutôt d'ordre idéologique. Il faudrait régler le problème en amont, développer la médecine scolaire et la médecine préventive en général, même pour les personnes en situation précaire. Mais il faut aussi être en mesure de donner des réponses immédiates et pour cela développer la psychiatrie de liaison, comme je viens de vous l'expliquer. Les projets politiques, les projets de société doivent mener de front la prévention et la réparation, et le risque de psychiatrisation de la misère comme celui de la banalisation des problèmes psychiatriques pourra être évité. Mais on ne m'ôtera jamais de l'idée qu'il faut d'abord mettre les gens à l'abri et panser les plaies.

ASH  : Pour conclure, comment situez- vous les travailleurs sociaux au regard de l'urgence sociale ?

X. E.  : Il faut cesser d'opposer le travail d'urgence et le travail de fond, ce ne sont pas des métiers différents. Ce sont les aspects d'une même chose. On ne peut pas faire de travail de fond s'il n'y a pas de contact en urgence. Les travailleurs sociaux, on leur demande tout et le contraire de tout. Je les appelle les voltigeurs légers. Parce que, finalement, c'est sur eux que repose tout aussi bien le contact social que le diagnostic psychique. Ensuite, parce que c'est une profession qui n'est pas reconnue. Il faut donc mieux la reconnaître et que tous les acteurs du secteur sanitaire et social travaillent ensemble. Donc avec les travailleurs sociaux qui sont de véritables partenaires. Et ce n'est pas de la démagogie !

Propos recueillis par Hélène Morel et Jérôme Vachon

Notes

(1)  NDLR : voir aussi ce numéro.

(2)  NDLR : voir ASH n° 1951 du 1-12-95.

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