Dans son rapport 1995, remis le 20 mars au Premier ministre, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme sur la lutte contre le racisme et la xénophobie (1) s'alarme du « renversement de tendance dans un sens défavorable, par rapport aux années précédentes ». Soulignant que « le développement conjugué de l'intolérance et de l'exclusion continue de menacer la santé du corps social, physiquement fragilisé par la crise économique et affaibli moralement par la crise des valeurs ». Une évolution marquée par trois phénomènes inquiétants. En premier lieu, la réapparition des actes de violence meurtrière relevant du racisme ou de la xénophobie. En effet, ces actes de violence, contre les personnes et contre les biens, avaient connu une diminution continue de 1983 à 1993. Pour l'année 1994, on avait compté un mort et quelques blessés graves. En 1995, ce sont sept morts qui sont à déplorer. « Ce qui ramène plus de dix ans en arrière », soulignent les rapporteurs. De même, on relève une nette progression des menaces et des actes d'intimidation, contrairement à la baisse observée de 1991 à 1994.
Deuxième fait marquant observé : cette violence accrue vise, davantage encore que par le passé, les personnes d'origine maghrébine (six morts sur les sept recensés). Et, sur l'ensemble des actes racistes, la part de ceux touchant des personnes d'origine maghrébine a atteint, en 1995, le taux jamais égalé de 70 %, les menaces et intimidations augmentant, de façon spectaculaire, en Ile-de-France. Troisième constat : si ces passages à l'acte sont généralement le fait des tenants d'un racisme radical « extrêmement minoritaire » estiment les rapporteurs, la banalisation des opinions xénophobes se répand dans des couches de plus en plus larges de la population. Un phénomène déjà mis en lumière dans les précédents rapports de la commission. Et cette antipathie à l'égard des étrangers est d'autant plus grande que ces derniers sont peu nombreux dans l'environnement immédiat des personnes interrogées.
« Conséquence prévisible, poursuivent les rapporteurs , le doute s'accroît en ce qui concerne les chances de la politique d'intégration et du “modèle français ". » En effet, un sondage effectué en novembre dernier pour la commission (2) montre que, si 56 % des personnes interrogées pensent que les groupes d'origines différentes sont appelés à vivre ensemble, fût-ce au prix de tensions, « 40 % voient l'avenir dans une vie séparée ». Le modèle français continue pourtant à dominer les représentations : 66 % des sondés déclarent qu'on « juge aussi une démocratie à sa capacité d'intégrer les étrangers » et 55 % considèrent que « la lutte contre les inégalités passe par la lutte contre le racisme ». En outre, 83 % des personnes interrogées jugent « plutôt utile d'enseigner la tolérance à l'école » et 53 % de « faire connaître les coutumes des maghrébins, des noirs, des asiatiques à l'école » (52 % étant même favorables à l'enseignement des religions à l'école). En revanche, la constitution d'un islam de France est majoritairement rejetée (56 %) et l'attachement à une école laïque et neutre est généralement mis en avant par les personnes opposées au port du voile à l'école (3).
Toujours est-il que pour la commission, ces résultats appellent à des « choix nécessaires » . Le premier concerne la lutte contre l'exclusion et la nécessité de voter « une grande loi d'orientation et de programmation » . Deuxième point : « le racisme et la xénophobie, dès lors qu'ils sont pénalement répressibles, doivent être poursuivis sans faiblesse et de façon exemplaire ». Enfin, pour les rapporteurs, « il y a lieu de faire face aux doutes relatifs à la politique française d'intégration ». Autrement dit : l'abandon de cette politique, « qui a permis l'intégration réussie des vagues successives d'étrangers, serait préjudiciable à la fois à la paix civile [...]et au rôle original de la France dans le monde ».
Aussi appellent-ils à éviter « tout ce qui peut renforcer la tentation d'un repli identitaire frileux par perte de confiance dans la capacité de la nation à relever de nouveaux défis ». Un point sur lequel « le langage officiel des pouvoirs publics n'a pas toujours la force et la clarté nécessaire ».
(1) 1995. La lutte contre le racisme et la xénophobie - Exclusion et droits de l'homme - Commission nationale consultative des droits de l'Homme - La Documentation française - 160 F.
(2) Sondage effectué du 15 au 24 novembre 1995, par interview en face à face, au domicile de 1 031 personnes âgées de 18 ans et plus.
(3) Le rapport propose également, dans une deuxième partie, une réflexion sur « L'expression religieuse dans une société laïque », prolongeant une étude réalisée en 1992.