ASH : Quel bilan tirez-vous de l'action du collectif Alerte ? D.R. : Le résultat le plus positif est d'avoir favorisé une prise de conscience beaucoup plus forte au sein de la société à propos de l'exclusion. Le pacte que nous avions lancé il y a un an était un appel à la mobilisation de toutes les forces du pays. Ce but a été en partie atteint. Et les événements de décembre ont montré que, même si au début la lutte contre l'exclusion n'était pas forcément à l'ordre du jour, le lien s'est progressivement fait entre ceux qui étaient dans la rue et ceux qui n'avaient même pas les moyens de crier leurs craintes pour l'avenir. Tout cela va dans le bon sens alors que la France se prépare à franchir une étape importante en voulant adopter une grande politique au travers d'une loi d'orientation. Car un choix de société s'impose : avancera-t-on seulement avec certains ou relève-t-on le défi de préparer un avenir avec ceux qui ont actuellement peu de chance d'en être partenaires ? C'est le sens profond de la loi d'orientation pour laquelle nous nous battons depuis si longtemps. Nous voulons qu'elle permette de créer les conditions de la démocratie pour tous et, surtout, qu'elle ne se limite pas à des mesures spécifiques visant une catégorie de citoyens. ASH : Ce que l'on connaît des grandes lignes du futur projet de loi d'orientation répond-il à vos attentes ? D.R. : Nous restons inquiets sur un point essentiel pour lequel nous avons le sentiment de ne pas avoir de garanties suffisantes : y aura-t-il effectivement, dans la loi exclusion, une partie orientation ? Autrement dit, est-ce que l'on entend reconnaître à tous des droits fondamentaux, même si l'on sait que certains de ces droits ne peuvent pas être garantis immédiatement ? Cette partie orientation est absolument nécessaire. Sinon on continuera à privilégier des mesures d'accès aux droits, d'aide et d'assistance. Or, nous sommes convaincus que l'on ne fait pas un droit avec un ensemble de mesures. Il faut donner un signe aux plus démunis et à l'ensemble de la société en montrant qu'il y a des seuils de dignité en dessous desquels on ne tombe pas. Mais cela ne nous paraît pas acquis. En revanche, la partie programmation de la loi nous semble plutôt bien engagée dans la mesure où elle suit les propositions du Conseil économique et social (4). Elle comporte d'ailleurs des idées intéressantes. ASH : Avez-vous été associés par le gouvernement à l'élaboration de la loi ? D.R. : Justement, la préparation de la loi est difficile à vivre pour nous car, alors que des consultations informelles ont lieu depuis six mois, la véritable concertation, annoncée pour mi-mars, n'a toujours pas démarré. Les portes des administrations ne nous sont pas fermées mais nous manquons d'éléments. En ce qui concerne le calendrier, il faut rappeler qu'ATD quart monde mène la bataille de la loi d'orientation depuis 1987, avec le rapport du père Wresinski au Conseil économique et social. Aussi, pour nous, ça n'est pas une inquiétude de premier plan. Nous préférons un bon texte à l'automne plutôt qu'un mauvais au printemps. En revanche, au sujet des moyens, que certains annoncent insuffisants, nous entendons être très clairs : on ne finance pas une loi d'orientation avec seulement des redéploiements budgétaires. La possibilité de prendre de l'argent sur l'allocation de parent isolé ou l'allocation de solidarité spécifique a également été évoquée. C'est indécent. Si l'on envisage de tels procédés, c'est que l'on est vraiment décidé à approfondir la fracture sociale. Il y a quand même des limites. Même si, pour les associations, il ne s'agit pas d'obtenir des milliards à tout prix.
(1) Voir ASH n° 1918 du 17-03-95.
(2) ATD quart monde : 33, rue Bergère - 75009 Paris - Tél. (1) 42.46.81.95.
(3) Voir aussi le bilan des associations membres du collectif de suivi Alerte à l'Uniopss, ce numéro p 5.
(4) Voir ASH n° 1935 du 14-07-95.