Recevoir la newsletter

Quel avenir pour l'encadrement du travail social ?

Article réservé aux abonnés

Comment ouvrir vers le haut le travail social et offrir des perspectives de carrière à ses professionnels ? La remise en route par la DAS de la réforme du DSTS et la mise en œuvre, dès cette année, de celle du CAFDES, relancent un débat central.

Quel top niveau pour le travailleur social ? Existe-t-il un cursus avec un continuum jalonné d'étapes assurant la possibilité de promotion, comme c'est le cas dans l'enseignement, la médecine, la magistrature par exemple ? Pas vraiment. Force est de constater que le travail social n'a pas su évoluer et essaimer vers le haut.

Or, une tendance s'esquisse qui peut inquiéter : la délégation du traitement du social à d'autres qu'aux travailleurs sociaux, à des spécialistes du droit, de la politique, de la psychologie... Ainsi, on assiste à l'arrivée d'intervenants issus des écoles de commerce et de gestion qui occupent des postes d'encadrement dans les instances territoriales, à la professionnalisation de certaines formations universitaires.

De fait, « le travail social, quand il implique des responsabilités importantes, dit Ruth Kohn, professeur d'université, tend de plus en plus à devenir gestionnaire ». On ne peut certes pas nier qu'il faille savoir administrer un territoire difficile et que les compétences pour y parvenir se fassent de plus en plus exigeantes. Pourtant, il ne faudrait pas abandonner ce territoire aux énarques et assimilés, à une technocratie qui n'a souvent de la réalité qu'une approche d'école. Et l'on ne saurait oublier la vocation militante du travail social, à tous les niveaux.

Une marge de manœuvre délicate

Certes, gestion et humanisme ne sont pas antagonistes, encore que leur conciliation puisse parfois s'avérer délicate. Ne pas abandonner ce que l'on pourrait appeler, en termes de concurrence, « des parts de marché », préserver un rôle de lutte contre l'exclusion et la désinsertion, telles sont les obligations auxquelles se trouvent confrontés les professionnels. Lesquels souhaitent se doter d'une efficacité d'autant plus nécessaire que leur situation implique des responsabilités plus grandes. Ils disposent, pour y faire face, de deux diplômes mis en œuvre par le ministère des Affaires sociales : le certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement social (CAFDES), pour lequel l'arrêté du 27 septembre 1995 et la circulaire du 28 septembre ont apporté au dispositif national de formation quelques modifications applicables dès 1996 (1)   et le diplôme supérieur en travail social (DSTS) dont la réforme, vieux serpent de mer, vient d'être relancée par la direction de l'action sociale. Sachant qu'il s'agit surtout, dans l'immédiat, de procéder à quelques améliorations du dispositif, sans bouleverser le schéma d'ensemble (2).

Le CAFDES a un objectif bien précis. Il vise une profession à part entière : la direction d'un établissement social, c'est-à-dire « un échelon intermédiaire décisif entre les orientations prises par les ministères, les collectivités locales, les fédérations, les associations, et la mise en œuvre du plan d'action sur le terrain ». Ce diplôme est délivré par l'Ecole nationale de la santé publique de Rennes, au titre du ministère des Affaires sociales. Formation en discontinu de trois ans, d'une durée totale de 1 000 heures. Coût entre 60 000 F et 70 000 F selon les centres. Marcel Jaeger, directeur adjoint du centre de Buc, dans les Yvelines, explique : « Jusqu'à aujourd'hui, les directeurs en poste ne passaient pas d'épreuves de sélection. Ce qui n'était pas le cas pour les directeurs adjoints. D'où une grande injustice. » Mais à la sortie, une sélection sévère (25 % d'échecs environ au plan national) pose aux directeurs un délicat problème : le CAFDES cautionne une aptitude. Difficile de faire face à son équipe pour celui dont les aptitudes précisément n'ont pas été reconnues. Aussi, un certain nombre de directeurs ne se présentent-ils pas à l'examen final. Ont-il pour autant perdu leur temps ? « Nullement, répond Marcel Jaeger, la formation insiste sur la législation de secteur, la gestion financière, deux aspects de la tâche pas toujours bien maîtrisés. Les stagiaires ont appris à gérer une politique stratégique d'investissement, à élaborer des projets, à opérer des choix, compte tenu des objectifs spécifiques de l'établissement. »

CAFDES : une charge symbolique

Quels avantages apporte l'actuel CAFDES ? Pas un centime de plus de rémunération. Pas de reconnaissance conventionnelle. Par contre, il améliore la possibilité de mobilité professionnelle et, surtout, on peut le créditer d'une charge symbolique forte :15 % seulement des directeurs sont titulaires du CAFDES. Ils peuvent se considérer comme l'aile marchande de la profession. Pour Marcel Jaeger, la gestion ne doit jamais faire perdre de vue l'éthique. Deux défis à relever : garder les valeurs du travail social, tout en ouvrant sur la culture du monde de l'entreprise  assurer un fonctionnement de la structure avec une direction qui ne soit ni charismatique, ni patriarcale.

Le nouveau CAFDES, avec la sélection obligatoire pour tout le monde et l'extension des possibilités d'accès, met fin à une conception malthusienne :il va promouvoir une poussée de jeunes directeurs adjoints et de chefs de service plus jeunes. Il rationalise le dispositif avec les 14 centres agréés et la limitation de chaque promotion à 35 stagiaires.

La voie du DSTS

Diplôme binaire, le DSTS est le fruit d'une convention passée entre des établissements agréés et une université. Laquelle est signée par l'association gestionnaire de l'école et l'un des départements disciplinaires de l'université, le plus souvent celui d'Administration et d'économie sociale (AES). C'est en général l'école qui choisit le programme en accord avec les enseignants universitaires qui ont un statut de prestataires de services. Trois ans d'études validées par un mémoire inscrit dans le champ professionnel. A la suite de quoi le niveau reconnu par l'Education nationale comme niveau de maîtrise permet l'entrée dans le 3e cycle. Ajoutons que les travailleurs sociaux ont la possibilité de passer parallèlement une maîtrise purement universitaire, avec deux jurys distincts et la soutenance de deux mémoires.

Quel jugement porter sur ce DSTS défini par la circulaire de 1985 comme « une formation décloisonnée, centrée sur les fonctions professionnelles, destinée aux cadres, aux formateurs et aux chercheurs » et visant une prise de distance théorique par rapport aux pratiques de terrain ?

C'est un diplôme hybride, qui oscille entre logique universitaire et logique professionnelle, une face tournée vers l'Education nationale, une autre vers le travail social. Dès qu'on sort du DSTS, on entre dans des filières proprement universitaires.

C'est un diplôme national, mais organisé régionalement pour intégrer les politiques départementales et régionales de formation. Ce qui souligne la volonté de coller géographiquement aux besoins du terrain.

C'est un diplôme très lourd à tous les égards : quant au financement, propre à décourager à la fois employeurs et postulants. Quant au temps et à l'énergie investis. Prenons le cas d'un assistant social : trois années d'études dans un institut de formation, il obtient le DEAS. Suivent trois années de DSTS (sans cesser pour autant de travailler), qu'il n'aura pu commencer qu'après cinq années de pratique professionnelle et 500 heures de formation après l'obtention du diplôme initial. Il s'agit là d'un véritable parcours du combattant.

Ce parcours est-il professionnellement rentable ? Certes, le DSTS ne donne statutairement pas le droit à tel ou tel poste précis. Mais le responsable de l'évaluation des politiques sociales du Crédoc, Michel Legros, souligne qu'il facilite l'accès à des postes d'encadrement, que les responsables de circonscription sont souvent titulaires de ce diplôme, que certains instituts de formation recrutent maintenant leurs cadres pédagogiques sur la base du DSTS, etc. Il s'agit donc là concrètement d'un « plus » appréciable dans un déroulement de carrière. Et peut-être d'une facilité pour qui souhaite s'éloigner du social stricto sensu et devenir par exemple directeur des ressources humaines en entreprise.

Les travailleurs sociaux qui souhaitent aller au-delà du DSTS, pour parfaire leur formation, empruntent en général la filière universitaire, qui leur est ouverte après la maîtrise. Ils choisissent le plus souvent un parcours AES, ce qui est logique. Mais la requalification de la compétence, la recherche d'un processus de carrière ascensionnelle, doivent-elles passer nécessairement par cette voie ? Les réponses apportées à cette question sont loin d'être convergentes. Un cadre pédagogique s'insurge contre ce qu'elle considère comme « un impérialisme universitaire », alimenté par la prévalence du diplôme si fortement inscrite dans la mentalité nationale et le prestige qui s'y rattache. Ouvrir le métier vers le haut, certes, mais est-il pertinent d'aligner un modèle professionnel sur un modèle universitaire ? Ne risque-t-on pas de creuser l'antagonisme entre le technique (dévalorisé) et l'intellectuel ? Marcel Jaeger, lui, estime qu'il serait fâcheux d'organiser ce qu'il appelle « une évaporation par le haut des cadres du social ». Dans une situation déjà caractérisée par un surencombrement universitaire.

Le point de vue de René Marion, directeur de l'Ecole normale sociale, est un peu différent. Il ne sous-estime certes pas les problèmes qui peuvent naître « d'une double allégeance ». « Mais, dit-il, où situe-t-on le lieu de production de la connaissance, sinon à l'université ? » On pourrait envisager une discipline d'enseignement au-delà de la maîtrise qui serait spécifiquement désignée comme « travail social » (comme il existe, par exemple, une discipline « sciences de l'éducation » ), centrée sur une référence à la pratique sociale. Il y a un modèle opératoire à trouver avec des conventions souples avec les universités.

LES CHIFFRES

En 1995, 187 CAFDES ont été délivrés sur 250 candidats (le taux de réussite moyen annuel est de 75 %). Et il y aurait approximativement 100 DSTS délivrés annuellement. Même si l'on ne peut les mettre directement en rapport, ces chiffres apparaissent relativement faibles au regard des 100 000 travailleurs sociaux relevant des professions socio-éducatives de niveau III et des 6 000 directeurs en activité.

Et la recherche ?

Le rapport à l'université met aussi en évidence le rôle de la recherche : il n'y a pas aujourd'hui suffisamment de formalisation des savoirs collectifs produits par les professionnels. C'est une carence : la recherche est indispensable pour analyser le phénomène social, en dégager les règles, esquisser une prospective, mettre en lumière des techniques qui éviteront tous tâtonnements et erreurs d'aiguillage. Pour ce faire, le chercheur a besoin de temps, d'une prise de distance par rapport au terrain où l'on travaille souvent dans l'urgence. Mais c'est pourtant le terrain qui fournira au chercheur les matériaux de sa réflexion. L'université (avec le DESS et surtout le DEA) peut certes offrir un temps et un lieu aux chercheurs issus du travail social, pour opérer cette conciliation entre théorie et pratique. Mais l'option universitaire est-elle la seule possible pour dynamiser la recherche ? La question n'est pas tranchée.

Paule Paillet

Notes

(1)  Voir ASH n° 1956 du 5-01-96.

(2)  Voir ASH n° 1961 du 9-02-96.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur