Recevoir la newsletter

Social et immobilier : où est la frontière ?

Article réservé aux abonnés

En mobilisant les acteurs du social et de l'immobilier, l'insertion par le logement bouscule les frontières des métiers et les repères. Points de vue croisés d'Aline Osman-Gérand, chargée de mission à la FNARS (1), et de Claude Chaudières, directeur adjoint de la Fédération des Pact-Arim (2).

Actualités sociales hebdomadaires  : La loi Besson a donné lieu à une multiplication de dispositifs d'accès au logement (sous-location, bail glissant, agences immobilières sociales, etc.). N'est-on pas en train de constituer une offre de logements de seconde zone ?

Claude Chaudières : Cette multiplication des outils vient du fait qu'actuellement la politique du logement social ne permet plus de réguler tous les flux de ménages qui devraient normalement accéder à un logement. Et la loi Besson a fait le choix de diversifier les solutions dans le parc public et privé. Mais, de fait, tous ces dispositifs multiplient les outils de médiation et d'attente  par exemple, on fait de la maîtrise d'œuvre urbaine et sociale pour négocier entre l'offre et la demande, on fait du logement temporaire le temps d'attendre d'avoir un logement définitif. Avec le risque de multiplier les processus d'exclusion et de créer le tiers secteur du logement social. Car aujourd'hui, on n'est plus dans des processus d'ascension sociale et il y a des gens qui ne peuvent plus évoluer. Soit qu'ils sont bloqués dans le logement HLM, soit qu'ils naviguent dans des logiques d'hébergement, de foyer, à la rue... Et pour les travailleurs sociaux de secteur, il n'y a plus de lisibilité. Car la multiplicité des outils a créé des filiales spécialisées de réseaux. C'est-à-dire que la FNARS est aujourd'hui compétente sur la sous-location HLM, le réseau de la Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement (FAPIL) a centré son action sur les agences immobilières à vocation sociale, les Pact-Arim travaillent sur la production d'une offre de logements locatifs privés pour l'insertion. Et il y a une réelle difficulté à travailler de façon transversale entre tous les réseaux associatifs.

Aline Osman-Gérand : Je ne suis pas d'accord. Certains réseaux essaient d'avoir une approche transversale. A mon avis, ce qu'il faut d'abord voir, c'est pourquoi tous ces dispositifs ont été conçus. C'est ainsi que la sous-location et le bail glissant visaient au départ deux objectifs. Rassurer le bailleur quant à l'octroi d'un logement à des personnes défavorisées, car il y a un intermédiaire joué par l'association locataire  mais également être un outil pédagogique pour les populations en vue de leur autonomie. Or, face à la massification des bénéficiaires, aux problèmes de logement, et « grâce » à la loi Besson, on observe une tentation de plus en plus marquée des bailleurs, publics ou privés, de recourir à ce type de dispositif qui leur offre une sécurité. Sachant qu'il suffit, aujourd'hui, d'être une femme divorcée et « APIste » ou d'être un jeune pour être considéré comme « population à risques » et se voir placé dans un système avec prescription sociale. L'important pour les bailleurs, c'est que la démarche soit garantie. Mais en même temps, il y a aussi l'angoisse des personnes elles-mêmes par rapport à l'avenir. Certains jeunes, certaines femmes en rupture à un moment donné expriment de plus en plus une demande de ce que j'appelle logement avec prestation. Face à la peur de la solitude, de l'isolement, face à la précarité, ils ont besoin d'un logement avec un minimum d'apports collectifs -restauration, animation - et de sécurité par rapport à la violence de certains quartiers. Il y a donc aussi une évolution de la demande, même si celle-ci reste majoritairement centrée sur le logement définitif. D'où la nécessité d'installer une fluidité entre le temporaire et le définitif. Ce n'est pas en créant des produits qui marquent les personnes qu'on résoudra les difficultés. Il faut arriver à faire reconnaître que le logement est un service indispensable à la vie au même titre que la santé.

ASH  : N'y a-t-il pas une certaine hypocrisie à ce qu'au nom du droit au logement, on maintienne les personnes dans des situations précaires ?

C. C. : Je pense qu'effectivement, il y a une certaine hypocrisie à multiplier les dispositifs d'attente car l'Etat est incapable de réguler et de permettre à un plus grand nombre d'accéder au droit au logement. Il y a une certaine hypocrisie à maintenir des personnes dans des situations précaires essentiellement pour des problèmes de revenus, d'autant que c'est du temporaire qui dure parfois très longtemps. Il y a aussi une hypocrisie vis-à-vis des associations car on leur fait jouer un rôle, par exemple par le système de la sous-location, qui n'est pas le leur. On ne peut pas en même temps être bailleur et faire de l'accompagnement des familles, faire respecter les droits et devoirs des locataires et faire de la médiation. Imaginez ainsi qu'il s'agisse d'un locataire de mauvaise foi et qu'il détériore le logement. Qui va expulser ? L'association censée faire de l'insertion ? C'est un système qui place le monde associatif dans une situation juridique et économique intenable à terme.

A. O.-G. : Effectivement, ces structures associatives, qui louent à la place des personnes et sous-louent, sont parfois qualifiées de « grands expulseurs ». On leur fait jouer un rôle qui n'est pas le leur, mais relève du bailleur. Certes, pour les personnes déstructurées, et dans le cadre de la tutelle, les associations spécialisées qui louent et sous-louent peuvent, en cas de problème de comportement, et non pas seulement de ressources, se retrouver dans un système judiciaire. Mais c'est rarement le champ dans lequel nous intervenons.

C. C. : Il y a aujourd'hui une pénétration du monde immobilier dans le social et le social fait de l'immobilier. Avec un risque de confusion des métiers. Mais une fois que l'on a dit cela, il faut ajouter aussitôt que nous sommes bien obligés de jouer ce jeu-là. Même s'il faut être conscient des limites du système. Simplement, parce qu'il y a des personnes qui viennent nous voir et qu'il faut loger. Et qu'on n'a pas d'autres solutions.

ASH  : On retrouve également ces problèmes de frontières des métiers au niveau de l'accompagnement social lié au logement. Lequel est investi aussi bien par la FNARS que par un bailleur comme le Pact-Arim. Que recouvre aujourd'hui ce concept ?

A. O.-G. : Pour nous, l'accompagnement social concerne d'abord l'accès et ensuite le maintien dans le logement. C'est avant tout une démarche centrée sur la personne et destinée à la remettre dans une relation locataire-bailleur. Comment l'amener, malgré sa situation de sous-locataire, à être en contact permanent avec les opérateurs de logement ? Et ne pas faire à sa place ? Avec, en permanence, cette alternance entre l'approche individuelle et collective. Sachant que le référent de cet accompagnement social est le service social de secteur. Et lorsque ce n'est pas possible, pour les personnes errantes accueillies en logements d'urgence, nous nous efforçons de créer un service d'accompagnement social référent avec d'autres structures qui œuvrent dans le logement temporaire.

C. C. : Quant à moi, j'ai un peu banni de mon discours la notion d'accompagnement social lié au logement. C'est une bouteille à l'encre de se bagarrer autour de ce concept qui ne fait qu'alimenter des fantasmes de comportement. Maintenant, on pose comme préalable à l'accès au logement que l'accompagnement social de la personne soit garanti. On imagine, avant même qu'elle soit locataire, qu'elle va tout casser et ne plus payer son loyer. Il faut arrêter avec ce discours sur l'accompagnement social et changer complètement de perspectives. D'abord, parce qu'aujourd'hui on se trouve face à des situations d'exclusion durables et hétérogènes et qu'il faudrait presque un travailleur social derrière chaque famille  ensuite, parce que les problèmes ne sont plus conjoncturels mais structurels.

ASH  : Que proposez-vous ?

C. C. : Il ne s'agit plus de faire rentrer un travailleur social dans la relation entre le locataire et le bailleur. C'est à ce dernier de changer de regard. Si l'on veut faire des logements pour l'insertion, sa fonction doit totalement évoluer. Il doit passer d'une gestion administrative de dossiers à une gestion de parcours individuels. Etablir d'autres relations avec les familles :les rencontrer régulièrement, définir avec elles un projet d'habitat et surtout gérer la sortie des dispositifs d'insertion. Car tout le problème pour nous, c'est qu'une fois stabilisées, ces familles puissent reconstruire un projet d'habiter. Et que leurs logements puissent servir à d'autres personnes en difficulté.

A. O.-G. : Pour moi, comme il ne se réduit pas à un travailleur social derrière chaque famille, l'accompagnement social existe. Mais c'est une démarche adaptable selon la demande de la personne, qui va de l'aide pour trouver un hébergement d'urgence jusqu'à un logement temporaire, jusqu'à un logement définitif. Et selon le degré de déstructuration de l'accompagné, il peut s'agir d'un rôle de conseil, d'aide à la démarche et de le rendre acteur à part entière.

ASH  : Le bailleur doit-il évoluer et jusqu'où ?

A. O.-G. : Je crois qu'il peut évoluer mais en restant dans son métier de bailleur. Il doit certainement avoir un meilleur diagnostic sur les personnes qu'il accueille mais, à mon avis, il ne doit pas assumer des fonctions qui, par exemple, l'empêchent de réclamer son loyer. Lui, il a à faire respecter le logement : que celui-ci soit entretenu et payé ; l'accompagnant, pour sa part, voit comment la personne peut l'entretenir et régler le loyer. D'un côté, c'est le faire  de l'autre, c'est le comment faire.

C. C. : Seulement, lorsqu'on s'occupe de familles en difficulté, il y a forcément un chevauchement dans les fonctions de chacun et des problèmes de frontières. Ce qu'il faut bien voir, c'est que nous, en tant que réseau Pact-Arim, gestionnaire d'un petit nombre de logements, nous n'avons pas la même fonction que les autres bailleurs privés. Ce que nous voulons, c'est qualifier notre offre de logements et notre métier pour permettre à des gens de continuer leur processus d'insertion. Et les aider à sortir des dispositifs.

ASH  : N'y a-t-il pas lieu de clarifier les métiers de chacun ?

A. O.-G. : La question est intéressante d'un point de vue intellectuel. Mais par moments, il faut aussi faire l'éloge du flou. A trop clarifier les choses, on saucissonne et on en arrive à des situations telles que « ce n'est pas de ma compétence ». Les zones où les rôles se croisent, se recouvrent et s'articulent, existent justement parce que la personne est un tout. Finalement, c'est une confusion bénéfique et nécessaire, même si au niveau de nos actions nous sommes obligés de clarifier. Il faut clarifier mais sans vouloir trop délimiter.

C. C. : Et, justement, là où le métier du bailleur change complètement, c'est qu'il doit gérer constamment ces zones de flou. Il est non seulement obligé de garder des relations avec le locataire mais aussi avec les travailleurs sociaux. Car si les métiers se croisent, de fait, on se retrouve toujours à trois. Et le nouveau métier du bailleur, dans le cadre du logement pour l'insertion, il est là.

Propos recueillis par Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Plus spécifiquement chargée des problèmes d'accueil. La FNARS, centrée sur l'urgence et l'insertion sociale, regroupe 600 associations et 1 200 structures et services.

(2)  La Fédération nationale des Pact-Arim, qui regroupe 150 associations, gère 10 000 logements locatifs réservés pour l'insertion.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur