Les malades du sida qui recevront des anti-protéases, nouveaux médicaments antivirus, seront-ils, provisoirement, tirés au sort ? En tout cas, l'évocation de ce procédé par le Conseil national du sida (CNS) (1) a suscité un réel tollé, en particulier dans le milieu associatif.
Point de départ à la polémique : l'avis rendu public, le 26 février, par le CNS, saisi sur le problème posé par l'inadéquation entre l'offre et la demande concernant la mise à disposition des antiprotéases. En effet, si celui-ci reconnaît que « les antiprotéases sont susceptibles d'entraîner un bénéfice clinique à court terme chez des personnes dont le déficit immunitaire est important (2) » et qu'il s'agit là d'un « réel espoir d'amélioration de l'efficacité thérapeutique », il souligne cependant que ce dernier « se heurte à des logiques industrielles ». Les autorisations de commercialisation ne devant être accordées en Europe, qu' « au début de l'été 1996, au plus tôt ».
Aussi, le CNS recommande au gouvernement français d' « obtenir aux Etats-Unis, dès leur commercialisation, les doses nécessaires aux malades suivis en France ». Et dans le cas où leur disponibilité ne serait pas suffisante, le CNS envisage « une solution provisoire à titre totalement exceptionnel » : le tirage au sort. Lequel « réalisé de manière informatique » , évitera « l'intervention consciente ou non de préférences affectives ou de pressions ». Et offre donc « plus d'équité ».
« Le gouvernement mettra tout en œuvre pour éviter de recourir à la solution temporaire du tirage au sort », affirmait, de son côté, le 27 février, le secrétaire d'Etat à la santé Hervé Gaymard, se voulant rassurant. Tandis qu'il rappelait s'être « engagé à ce qu'il n'y ait pas d'obstacles financiers aux achats d'antiprotéases ». Dès avril, 1 000 traitements de plus, chaque mois, seront mis à la disposition des hôpitaux, soit 2 000 en mai, 3 000 en juin, poursuivait-il. Ajoutant que « le gouvernement s'engage à ce que tous les malades, pour lesquels les trithérapies sont nécessaires, les antiprothéases soient prescrites et financées ». Par ailleurs, le lendemain, Alain Juppé précisait que « le tirage au sort n'était pas une méthode acceptable » et qu'il avait demandé « d'intensifier » les efforts pour que les nouveaux médicaments soient mis à la disposition des malades. Précisant qu' « aucune considération budgétaire ne devait entraver la priorité que constitue la lutte contre le sida ».
Des propos destinés à calmer les vives réactions suscitées par l'avis du CNS. « On ne peut imaginer qu'un malade en danger vital ne reçoive pas le meilleur traitement possible », avait ainsi aussitôt indiqué le député (UDF-PR) Jean-François Mattéi, ancien rapporteur à l'Assemblée nationale de la loi sur la bioéthique médicale. Lequel jugeait « inacceptable » la recommandation du CNS.
« Les malades du sida n'acceptent pas que leur sort soit décidé par une loterie », s'était également insurgée Act Up (3). « Même s'il s'agit d'une solution provisoire et exceptionnelle, c'est la première fois que l'on introduit en France une telle procédure de sélection », estimait-elle, condamnant « avec force », l'avis du CNS. « Scandalisée » et « choquée » , la Fédération Aides (4) se déclarait également tout à fait opposée à ce procédé. « En effet dans cette démarche, le CNS donne un avis sur une question qui relève d'une logique commerciale et non d'un principe éthique. » Et il ouvre une brèche à tous les dérapages éthiques à venir, souligne-t-elle. Considérant qu'un tel arbitrage s'inscrit, « une nouvelle fois, dans le non-respect d'un droit fondamental : l'accès aux soins égalitaire pour tous », Aides dénonce la position des laboratoires dans la mesure où les stocks permettraient, « dès à présent, une mise à disposition qui irait au-delà des 100 places actuelles et des 1 000 places prévues pour avril ». Enfin, Arcat sida (5) qualifiait le tirage au sort de « méthode cruelle induite par le choix stratégique d'un laboratoire ». Jugeant « inacceptable » ce procédé qui « conduit, à tort, à évacuer toute responsabilité des médecins dans le choix du meilleur traitement pour chaque patient ».
(1) CNS : 7, rue d'Anjou - 75008 Paris -Tél. (1) 40.07.01.06.
(2) Moins de 100 lymphocytes CD4 par mm3. En France, environ 25 000 personnes vivant avec le VIH auraient moins de 200 lymphocytes CD4 par mm3 ; 18 000 moins de 100 14 000 moins de 50 et 9 000 moins de 20.
(3) Act Up : 45, rue Sedaine - 75011 Paris - Tél. (1) 48.06.13.89.
(4) Aides : 23, rue du Château-Landon - 75010 Paris - Tél. (1) 53.26.26.26.
(5) Arcat-sida : 13, bd de Rochechouart - 75009 Paris - Tél. (1) 49.70.85.90.