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Le travail social en regard de l'entreprise

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A l'épreuve de l'entreprise, qu'en est-il du travail social ? Et comment réactualiser l'intervention sociale individualisée ?Réflexions, pistes et propositions avec les deux autres rapports du CSTS.

Peut-on concilier les impératifs de l'entreprise et ceux du travail social ? Et, si oui, comment ? Cette question, certes pas tout à fait nouvelle mais d'actualité dans un contexte socio-économique de plus en plus rude, constitue l'épine dorsale du rapport « Entreprises et travail social »   (1). Il est vrai que, dans le domaine longtemps conflictuel des relations entre l'économique et le travail social, on se trouve aujourd'hui à un tournant. En effet, des années après que des travailleurs sociaux aient entrouvert les portes du secteur concurrentiel en créant les structures d'insertion, l'entreprise, accusée par l'opinion publique d'être un fauteur d'exclusion, cherche à redorer son blason sur le thème de « l'entreprise citoyenne » en soutenant à son tour, avec plus ou moins de conviction, des expériences d'insertion par l'économique et d'aide à l'insertion professionnelle.

Des logiques inconciliables ?

Tout l'intérêt du rapport consiste justement à faire exister le travail social dans le débat, aujourd'hui crucial, sur la place et le rôle de l'entreprise dans une société qui compte plus de 3 millions de chômeurs. Les rapporteurs font ainsi table rase de la conception classique, mais réductrice, d'un travail social séparé de l'entreprise de façon étanche. Et ils mettent l'accent sur la nécessité d'établir une véritable jonction entre l'entreprise et les intervenants sociaux opérant à l'extérieur. « La participation des travailleurs sociaux à la vaste ambition de l'insertion par l'économique s'avère de plus en plus incontournable dans les méandres des divers parcours d'insertion. A la jonction de ces parcours d'insertion et du “marché du travail”, de nouveaux profils de compétences se précisent qui recouvrent les fonctions complexes d'agent d'insertion, d'agent de développement social, d'accompagnement social, de “passeur” », concluent-ils. Même si - est-il besoin de le préciser ? -l'articulation entre les deux secteurs demeure malgré tout difficile du fait de logiques et de cultures fondamentalement différentes.

C'est ainsi que le groupe de travail présidé par Maurice Parodi, doyen de la faculté des sciences économiques d'Aix-Marseille II, analyse, à la fois, la place et le rôle du service social du travail dans l'entreprise et la façon dont cette dernière peut participer, à l'extérieur, à des actions d'insertion professionnelle ou par l'économique. Né en 1917 avec les surintendantes d'usine, le service social du travail (SST) occupe en effet une place assez particulière, et souvent méconnue, en France. Fait exceptionnel en Europe, il bénéficie, par exemple, d'une législation spécifique (2), quoique amoindrie par « une réglementation et une codification incomplètes et ambiguës ». De même, la France est le seul pays européen à exiger un diplôme spécifique des responsables de services sociaux d'entreprise : celui de conseiller du travail. Enfin, et surtout, le SST français est le plus développé, numériquement parlant, avec environ 2 700 assistants sociaux du travail en activité, tous secteurs confondus (3), dont 1 200 pour le privé. Un chiffre qu'il convient toutefois de mettre en balance avec celui de la population active : un peu plus de 25 millions de personnes.

Elargir le rôle du SST

Au-delà des textes fondateurs des années 40, le rôle du service social dans l'entreprise s'est sensiblement modifié et élargi. Non seulement en raison du renforcement de la représentation du personnel dans les entreprises, obligeant ainsi le SST à se resituer. Mais, surtout, avec l'obligation, pour les assistants sociaux, d'accompagner la crise de l'emploi et les plans sociaux qui se sont succédé depuis près de 20 ans en France. Ainsi, à côté de ses missions traditionnelles - « veiller au bien-être du travailleur dans l'entreprise et faciliter son adaptation à son travail », exercer auprès du chef d'entreprise « les fonctions de conseiller technique pour les questions sociales » et « étudier plus particulièrement les problèmes soulevés par l'emploi de la main-d'œuvre féminine, juvénile et des déficients »  -, le SST tend de plus en plus à intervenir hors du cadre strict de l'entreprise. «  Son implication dans la lutte contre l'exclusion et pour l'insertion, en aval de l'entreprise, va conduire à de nouveaux partenariats avec les travailleurs sociaux et les intervenants sociaux en général qui participent au laborieux parcours d'insertion des personnes en difficulté voire des personnes en situation caractérisée d'exclusion », estiment les rapporteurs. D'où, poursuivent-ils, la nécessité de procéder à certains ajustements.

Ainsi, ils demandent que les conseillers du travail assistent le plus souvent possible aux réunions des comités d'entreprise et que l'on rétablisse leur présence au sein des CHSCT (présence qui n'est plus requise depuis 1982). De même, ils insistent sur les conditions d'intervention du SST en cas d'accompagnement d'un plan social : respect du secret professionnel, possibilité de rappeler que le service social ne se substitue pas à la direction et aux instances représentatives des salariés, temps d'intervention suffisant, libre choix des modalités de contact dans l'entreprise, mise en œuvre d'un dispositif d'aide aux salariés restants... Troisième proposition, « développer et valider la formation spécialisée des personnels du service social du travail ». Il s'agirait, en priorité, de favoriser l'accès à la formation de conseiller du travail à un plus grand nombre d'assistants sociaux, compte tenu du manque de professionnels confirmés. Par ailleurs, plaidant en faveur « de la libre promotion du SST plutôt que de l'extension de la réglementation », les rapporteurs jugent cependant nécessaire de « procéder à une régularisation de la codification ». Enfin, ils souhaitent que l'on incite l'ensemble des entreprises à avoir recours au service social du travail, éventuellement au moyen d'incitations financières ou techniques.

Vers un « travail social particulier »  ?

Second thème clef du rapport : la participation des entreprises, à l'extérieur, aux dispositifs d'insertion. Avec, d'emblée, une interrogation sur l'engouement actuel autour du concept, aujourd'hui très médiatisé, de l'entreprise « citoyenne » ou « solidaire ». Mais pourquoi les responsables des grandes entreprises privées ou publiques sortiraient-ils de leur métier pour se convertir à la solidarité, s'interrogent les rapporteurs ? « Les motivations éthiques ou morales peuvent être présentes », admettent-ils, mais cette implication s'enracine avant tout dans les « intérêts bien compris des entreprises »   : éviter une augmentation des coûts sociaux liée à l'aggravation de la pauvreté, soigner leur image de marque par des actions de mécénat et de sponsoring et, pour certaines sociétés implantées dans des quartiers en difficulté, améliorer la qualité de leur environnement social. Sans parler de l'utilisation, parfois abusive, des mesures incitatives à l'emploi des personnes en difficulté (CES en particulier).

Or, « pour passer du discours à la réalité [...], un certain nombre de conditions doivent être réunies  », au-delà des seules signatures de conventions ou d'accords collectifs sur la diminution du temps de travail ou l'apprentissage. Ainsi, pour les rapporteurs, l'entreprise doit mettre en œuvre une politique de gestion des ressources humaines « en cohérence avec son engagement dans l'insertion ». Ce qui passe, notamment, par la présence « d' innovateurs sociaux », les conseillers du travail étant jugés particulièrement aptes à jouer ce rôle. Cette nécessité de cohérence exige également de former les tuteurs et des personnels d'encadrement dans l'entreprise, d'éviter de recourir, comme trop souvent, à des stratégies de « flexibilité externe » (licenciements) et aussi, un certain engagement des organisations syndicales de salariés au travers des comités d'entreprise.

Reste qu'une question de fond demeure : quelles passerelles mettre en place entre l'entreprise, « lieu par excellence de l'insertion économique et professionnelle », et les dispositifs d'insertion des publics en difficulté, gérés pour l'essentiel par des travailleurs sociaux ? Pour les rapporteurs, et c'est l'un des points clefs de leur réflexion, l'écart qui subsiste entre la fin du parcours d'insertion et l'emploi en entreprise « ne pourra être comblé que par un travail social particulier ». Celui-ci devant être effectué, à la fois, par des agents d'insertion professionnelle et par des agents chargés du suivi social de la personne en insertion. Avec, dans un souci de bonne coordination, l'instauration d'un référent unique chargé de coordonner l'ensemble du parcours. Un système qui pourrait être financé grâce à la constitution de fonds communs d'accompagnement ou de suivi social. Dans cette perspective, il s'agit de former les intervenants sociaux « aux fonctions et aux métiers de l'insertion professionnelle des personnes en difficulté », en mariant la culture de l'entreprise avec celle du travail social. Enfin, les rapporteurs plaident en faveur d'un « partenariat sans fantasme » entre les différents acteurs, afin de mener à bien « un accompagnement transversal ». Mais tout ceci « serait voué à des résultats bien minces si la situation globale de l'emploi ne s'améliorait pas », concluent-ils sans illusion.

Jérôme Vachon

REPENSER L'INTERVENTION SOCIALE D'AIDE À LA PERSONNE

Le troisième rapport remis au CSTS (4) s'articule autour d'une double préoccupation : remettre l'usager au cœur de l'intervention sociale et, dans le même temps, replacer l'aide à la personne au centre des pratiques d'action sociale. L'intervention sociale d'aide à la personne (ou intervention sociale individualisée) « fait partie de la compétence des travailleurs sociaux depuis des décennies », rappellent d'emblée les rapporteurs. Or, s'interrogent-ils, comment conduire ce type d'intervention dans un contexte socio-économique en profonde mutation et compte tenu de l'émergence de nouvelles politiques sociales, transversales et territoriales ?D'où une série de recommandations, déjà esquissées dans un prérapport présenté en septembre dernier, et détaillées ici (5). Un impératif : « reconnaître la personne en tant que sujet »  - notamment en évitant de la morceler en fonction des dispositifs - et lui laisser toute sa place dans l'intervention. Autres recommandations : « énoncer clairement les politiques et les missions qui encadrent l'action des intervenants sociaux », instaurer « une coordination des interventions » et « inscrire l'intervention sociale dans son contexte » (autrement dit, tenir compte de l'environnement local, national et international). Il s'agit également de mettre en œuvre des moyens, en particulier humains et financiers, permettant de mieux gérer l'intervention. De même, il apparaît nécessaire de « développer la professionnalité des intervenants », de soutenir ceux-ci, notamment face aux phénomènes d'usure et de violence, et de « qualifier l'intervention d'aide à la personne par des formations adaptées ». Enfin, dernière recommandation, il convient de faire évoluer ce type d'intervention et de rendre son image plus positive dans la société.

Notes

(1)  Rapport du groupe entreprises et travail social - Rapporteurs : Annie Ho Dinh-Vrignaud et Danièle Treuil. Le groupe de travail englobe, sous le terme « entreprise », non seulement les grandes entreprises du secteur privé ou public (concurrentiel ou lié à un monopole) et les PMI-PME mais, aussi, les administrations publiques (centrales ou locales) ayant développé des services sociaux internes.

(2)  Loi du 28 juillet 1942 et décrets du 2 novembre 1945 et du 9 novembre 1946.

(3)  SST des grandes entreprises et services équivalents des entreprises publiques, SST interprofessionnels ou spécialisés intervenant auprès des PME-PMI (en 1994,49 d'entre eux employaient 354 AS), services sociaux des administrations centrales et des administrations publiques locales. Sans compter les 700 exerçant dans le cadre de l'action sociale des armées.

(4)  L'intervention sociale d'aide à la personne - Rapport réalisé sous la présidence de Jacqueline Barincou, décédée en cours de mandat, et de François Roche.

(5)  Voir ASH n° 1944 du 13-10-95.

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