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Une équipe propose la chambre d'hôtel

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A Paris, des professionnels en psychiatrie organisent la prise en charge des psychotiques autour de la chambre d'hôtel. Une solution souple d'hébergement transitoire, qui favorise le réapprentissage de l'autonomie.

« La chambre d'hôtel correspond à un lieu de vie transitoire, pour une durée limitée (1), au cours de laquelle le patient pourrait justement retrouver les conditions de vie qui lui permettraient par la suite d'obtenir son propre logement », précise Jean-Noël Abatuci, infirmier, membre de l'équipe « chambre d'hôtel » qui exerce au CMP du XXe arrondissement sud de Paris (2).

L'idée de l'hôtel n'est pas innovante en soi, tous les professionnels la connaissent. Le mérite de l'initiative est d'avoir bâti un projet cohérent. Et cela fait maintenant quatre ans que les services psychiatriques du secteur concerné peuvent s'adresser au groupe « chambre d'hôtel » en toute connaissance de cause. Mais s'il puise sa raison d'être dans les difficultés d'accès au logement, il n'en reste pas moins que la viabilité budgétaire du projet repose sur l'acceptation du centre hospitalier de Maison Blanche de prendre en charge pour moitié le paiement de chaque chambre. Etant entendu qu' « il est essentiel que la personne paie la moitié du loyer avec ses propres ressources »   (3), souligne Martine Battiau, l'une des deux infirmières. « Elle obtient ainsi une quittance à son nom et gère la question directement avec l'hôtelier. Cet élément est particulièrement important au niveau de la responsabilisation. » L'équipe, enfin, ne concevait le projet qu'à condition de s'investir elle-même dans un accompagnement individuel spécifique initialisé par un contrat et basé sur un soutien relationnel.

Les soins et l'insertion

L'expérience s'inscrit dans le courant de la reconnaissance des bénéfices thérapeutiques des prises en charge à temps partiel. Et vient s'ajouter à plusieurs actions institutionnelles réalisées précédemment sur l'arrondissement (4). « Pour certains patients psychotiques hospitalisés sur une longue durée, explique Marie-Line Raynal, assistante sociale, la solution de l'hébergement individuel permet d'associer la poursuite des soins à l'insertion dans la cité. » Elle donne ainsi accès à une autonomisation progressive et résout le problème de la dépendance institutionnelle.

L'atout principal de la chambre d'hôtel est sa souplesse d'utilisation. « Elle permet d'apporter rapidement une réponse personnalisée », constate Claudine Gagliano, la seconde infirmière du groupe .Ne correspond-elle pas, en effet, à l'unique logement individuel auquel il est possible d'accéder ou que l'on puisse quitter du jour au lendemain ? A cela s'ajoute la présence sécurisante de l'hôtelier ainsi qu'un minimum de soutien logistique et de règles de vie à respecter  l'ensemble n'entraînant pas de dépendance excessive et favorisant au contraire, comme l'évoque Mireille Chaumont, cadre infirmier, « le maintien ou le développement de l'autonomie. Et puis non seulement l'hôtel n'est pas un espace transitionnel, ce qui permet de redonner un sens vrai au lieu de soins, mais le fait que l'équipe ne soit pas non plus gestionnaire du lieu de vie favorise la continuité de l'accompagnement thérapeutique et renforce le rôle soignant de chacun ». Et, renchérit-elle, « aujourd'hui, dans la plupart des cas, même avec un appartement relativement facile d'accès, nous garderions cette proposition ».

Une possibilité de rupture

Une solution d'hébergement temporaire qui a également le mérite de pouvoir correspondre à une période d'évaluation des capacités de responsabilisation de chacun. Dans certains cas, elle apparaît ainsi comme la seule possibilité de rupture qui puisse faciliter - plus que ne le ferait la seule hospitalisation de nuit - un réapprentissage de l'autonomie. Martine Battiau met ainsi l'accent sur le fait de pouvoir proposer sans contrainte des séjours de rupture en dehors de l'hôpital. «  Peu à peu, après avoir vérifié qu'il était possible de ne retourner à l'hôpital que pour un temps donné, ce sont les séjours hospitaliers qui à leur tour sont de plus en plus courts. Le mouvement s'est inversé. »

Sur 41 candidatures, 22 personnes ont été accueillies et aujourd'hui le nombre de 11 patients suivis simultanément ne sera pas dépassé, « parce que l'objectif n'est pas d'accroître notre investissement personnel dans ce projet et de devenir une équipe spécialisée », répond sans équivoque Mireille Chaumont. C'est d'ailleurs ce petit nombre qui a permis au groupe d'accepter de maintenir le contact avec une personne vivant désormais dans son propre logement. Trois autres patients sont actuellement sur cette voie. Lorsque le prolongement du séjour hôtelier n'est pas possible, le devenir de chacun dépend avant tout de sa propre histoire. Il peut être question d'hébergement institutionnel, de réhospitalisation ou de retour en famille.

C'est sur la base de deux demi-journées par semaine que le groupe réalise un travail de consultation. « Nous recevons chaque semaine, ici au CMP, trois à cinq personnes qui ont pris rendez-vous », commente Claudine Gagliano. « Et à ces entretiens s'ajoutent ceux que nous avons avec les équipes médicales qui viennent nous présenter un nouveau patient. »

Aucune chambre « d'avance »

En fonction des disponibilités de chacun, un second travail consiste à répondre aux demandes ponctuelles reçues par téléphone. « A l'origine de ces appels, presque toujours des moments d'angoisse ou de solitude, raconte Marie-Line Raynal. Lorsque la personne a besoin de renseignements administratifs ou demande qu'on l'accompagne dans telle ou telle démarche, elle en parle lors de la consultation. »

Dans tous les cas, il n'est jamais facile pour les patients de se retrouver confrontés à la solitude. L'expérience est le plus souvent douloureuse et la rigueur, que l'équipe doit avoir dans son accompagnement, apparaît d'autant plus nécessaire. Puis, en parallèle des opérations usuelles de gestion et de courrier, il faut évidemment trouver les hôtels. L'affaire n'est pas mince et se présente même comme le point sensible de l'action. La recherche doit tenir compte des moyens financiers de chaque personne et ne peut donc se faire qu'au coup par coup. Avec de surcroît aucune garantie. « Nous ne sommes jamais sûrs de pouvoir trouver la chambre répondant à la situation donnée, fait remarquer Jean-Noël Abatuci. Il faut en moyenne une semaine, mais parfois cela peut aller jusqu'à un mois de prospection. » D'une certaine manière, le délai et la réussite sont fonction des revenus du patient : une autre raison qui justifie le bien-fondé de sa participation financière.

Quant aux conditions de vie dans la chambre, le fait de pouvoir cuisiner se révèle être pour certains une caractéristique importante. « Il est parfois nécessaire de chercher un nouvel hôtel qui accepte que les patients se fassent à manger », ajoute Martine Battiau. De plus, il est préférable que deux personnes ne se retrouvent pas dans le même établissement. Autant d'exigences supplémentaires qui ne sont pas pour faciliter les démarches. Aussi, entre l'équipe et les hôteliers, le courant se doit de passer. « Au fil des mois, des relations privilégiées se sont établies avec certains d'entre eux, raconte Claudine Gagliano, notamment ceux qui ont l'occasion de travailler avec d'autres associations. »

Enfin, si pour l'équipe le fil conducteur de l'action reste l'accompagnement relationnel, « il est néanmoins obligatoire que le désir d'autonomisation soit également celui du patient, précise Marie-Line Raynal. Chacun devant effectuer un véritable travail de reconstruction, de resocialisation ». Un soutien qui demande aux différents membres de l'équipe de travailler impérativement dans un même esprit : « Nous avons les mêmes orientations, ajoute-t-elle, les mêmes désirs de prise en charge. »

Pascal Massé

ROLAND BROCA : UNE RÉPONSE ADAPTÉE

Roland Broca, psychiatre, psychanalyste, chef de service au centre hospitalier de Prémontré (Aisne), est également président de la Fédération française de santé mentale (5). ASH : De votre point de vue, en quoi l'hébergement thérapeutique en chambre d'hôtel peut-il être une réponse adaptée ? R. B.  : Au-delà du mode d'hébergement, c'est avant tout la question du lien social qui est fondamentale. Il s'agit de personnes qui, de par leur état de grande souffrance, ont d'énormes difficultés à se mettre dans le lien social. Et dans l'optique de trouver un dispositif qui rompe l'isolement, la chambre d'hôtel peut être pour certains une réponse adaptée. Ici, lorsque tel est le cas, il s'agit de situations de précarité sociale où le patient recherche ce type d'hébergement bon marché qu'il fréquente par ailleurs depuis longtemps. C'est sa façon à lui de faire lien social. De plus, la chambre d'hôtel permet - mais l'indication dépend du type de pathologie -d'éviter une concentration de personnes présentant le même type de difficultés et de présenter au contraire un environnement social normal. Dans tous les cas, chacun a besoin de stabilité, aussi faut-il veiller à ce que ce mode d'hébergement ne soit qu'une étape intermédiaire, comme un sas et non bien sûr comme une fin en soi. ASH : Là où vous exercez, au centre hospitalier de Prémontré, vous avez mis en place des maisons de vie communautaire. De quoi s'agit-il ? R. B.  : En 1981, lorsque je suis arrivé en qualité de chef de service à Prémontré, mon service hébergeait environ 200 personnes dans des pavillons d'une capacité de 50 à 60 lits, distribués en dortoirs, toutes pathologies confondues. C'était encore d'une certaine façon la cour des miracles. Aujourd'hui, mon service hospitalier ne comporte plus que 12 lits d'accueil de crise. Par ailleurs, 60 patients chroniques anciennement hospitalisés vivent à l'extérieur dans cinq maisons de vie communautaire. Ils vivent de 8 à 12 par habitation dans des chambres individuelles ou doubles. C'est la mise en commun de leurs ressources qui a facilité la gestion économique d'un tel fonctionnement. Il faut savoir que tous ont des symptômes psychiatriques lourds et qu'ils vivaient dans le système asilaire depuis de très nombreuses années -certains depuis plus de 50 ans. Dans ce même cadre, nous nous efforçons de promouvoir des activités de subsistance telles que la culture de jardins potagers et d'autres, en extension, à caractère lucratif. Propos recueillis par P. M.

Notes

(1)  Celle-ci peut n'être que de quelques semaines lorsqu'il est constaté que la réponse n'est pas adaptée ; mais dans la majorité des cas, elle va au-delà d'une année.

(2)  Le CMP - groupe « chambre d'hôtel »  : 15, square des Cardeurs - 75020 Paris - Tél. 1 43.79.63.55 - est rattaché au centre hospitalier Maison Blanche de Neuilly-sur-Marne. L'équipe « chambre d'hôtel » se compose de six personnes : un médecin psychiatre, une assistante sociale, deux infirmières, un cadre infirmier et un infirmier.

(3)  Il peut s'agir de l'allocation adulte handicapé, du RMI, d'une pension d'invalidité ou encore d'une rémunération de stage. Dans la plupart des cas, après un mois d'hôtel, la personne peut également bénéficier d'une allocation logement.

(4)  Le XXe arrondissement sud entre dans le 38e secteur de Paris ; il est question ici de la mise en place, durant deux années, d'une unité d'hospitalisation de nuit et d'activités de jour, de la création d'un placement familial thérapeutique, d'un appartement associatif et d'un centre d'accueil thérapeutique à temps partiel.

(5)  FFSM : 29, avenue Rapp - 75008 Paris - Tél.  (1)  47.05.18.77.

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