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Les alternatives à l'hospitalisation : « du sur mesure »

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Entretien avec Gérard Massé (1) autour des alternatives à l'hospitalisation. Alors que la Mission nationale d'appui en santé mentale s'apprête, avec les directeurs d'établissement, à publier un guide des innovations en psychiatrie.

Actualités sociales hebdomadaires : En quoi la chambre d'hôtel, telle que l'utilise l'équipe du XXe arrondissement de Paris , est-elle une alternative à l'hospitalisation originale ? Gérard Massé  : Si l'emploi contractualisé de la chambre d'hôtel est fréquent, cette équipe a réussi une unité dans l'organisation de sa démarche. Plutôt que de laisser chaque patient en quête d'une chambre d'hôtel, l'hébergement est, ici, accompagné, encadré et s'inscrit pleinement dans les projets thérapeutiques. C'est ce qui, à mon avis, rend la démarche originale.

En outre, l'initiative a le mérite d'être parfaitement adaptée à la réalité locale. A savoir le casse-tête de l'hébergement à Paris et dans les grandes villes, où les loyers sont très élevés et les appartements peu disponibles. Dans la capitale, le problème est, ainsi, dramatique : beaucoup de malades restent à l'hôpital dans un but quasiment hôtelier et non pas de soins.

ASH : Par rapport aux autres alternatives, la chambre d'hôtel est-elle une formule fortement utilisée ? G. M.  : Non, elle reste encore marginale même si elle mériterait sans doute qu'on s'y intéresse davantage, notamment dans les grandes villes. On pourrait même imaginer de développer la formule d'hôtels thérapeutiques, avec une forte spécificité pour les malades mentaux stabilisés. En évitant, bien sûr, par des regroupements trop importants, de recréer des ghettos de malades.

En fait, parce que le logement reste un problème crucial, on a vu, ces dernières années, un fort développement des alternatives axées sur l'hébergement. Mais celles-ci concernent surtout les appartements thérapeutiques. Ceux-ci accueillent, dans un lieu banalisé, avec le soutien d'une équipe soignante, quelques patients stabilisés mais qui ne peuvent pas vivre facilement hors de l'hôpital  soit qu'ils n'aient pas ou plus de logement, soit qu'ils aient encore besoin d'un accompagnement. Ces appartements sont gérés directement par l'hôpital ou par une association issue du secteur psychiatrique. Cette dernière formule se faisant le plus souvent par autofinancement : les patients paient leurs loyers par le biais de l'association qui sert de lien avec le propriétaire.

ASH : En quoi les formules alternatives sont-elles innovantes ? G. M.  : Leur intérêt est de permettre, dans une sorte de sur mesure, la meilleure conjonction possible du soin, et/ou non de l'hébergement, à un patient. L'objectif, c'est, à partir d'une grande souplesse, d'offrir la meilleure solution possible. D'où la très grande variété des formules, puisqu'entre l'hospitalisation plein temps où le patient est très malade et la simple consultation, il y a tout un panel de réponses possibles. Et tout l'enjeu, c'est bien de parvenir à une sorte de dégradé d'alternatives devant s'inscrire dans des réseaux internes et externes au système de soins. On voit bien d'ailleurs que, grâce notamment au développement des alternatives, le soin aux psychotiques a fortement évolué ces dernières années : on est passé du tout hospitalier à un accompagnement beaucoup plus souple et individualisé, s'inscrivant dans la continuité. ASH : Concrètement, dans les faits, où en est-on ? G. M.  : Disons qu'on a, aujourd'hui, acquis une certaine maturité au niveau des concepts et des outils. De nombreuses formules ont été expérimentées dont quelques-unes avec un certain recul. Et l'on a, actuellement, un panel extrêmement large et varié d'alternatives allant des hôpitaux de jour, des centres d'accueil thérapeutique à temps partiel, des centres de crise... à des formules très originales comme des clubs, restaurants ou chantiers thérapeutiques, voire un service d'auxiliaires de vie, une agence de voyages... A tel point d'ailleurs que bon nombre de ces expériences débordent largement de la liste définie par l'arrêté du 14 mars 1986. Et qu'il y a actuellement un réel problème de définition. Il apparaît difficile de s'y retrouver, en particulier pour les tutelles. ASH : Cette créativité est-elle homogène sur l'ensemble du territoire ? G. M.  : Le problème justement c'est que le développement des alternatives reste extrêmement irrégulier et variable, selon les endroits. Ce qui tient à la très grande diversité des moyens financiers et humains selon les établissements et les départements, mais aussi au dynamisme des acteurs :soignants médicaux et non médicaux, chefs d'établissement et tutelles. Si vous avez un directeur d'hôpital qui a des projets médicaux forts et que les tutelles suivent, c'est comme la fusée Ariane, cela part tout de suite...

Il faut donc toute une conjonction de facteurs pour que les choses bougent. Et il n'y a pas de règle en la matière. Néanmoins, peut-on relever des zones « blanches », vides, en milieu rural qui en général attire peu les soignants...

ASH : Comment expliquer le faible développement des alternatives dans le secteur libéral ? G. M.  : Effectivement, les alternatives extrahospitalières ont été essentiellement développées par les équipes du service public ou associatives. La composante libérale de la psychiatrie, qui dispose surtout de lits d'hospitalisation dans les cliniques à but lucratif ou commerciales, n'a pas mis en place de telles structures. Tout simplement parce que les alternati ves à l'hospitalisation sont créées par redéploiements. Et, comme le niveau hôtelier des cliniques est bon et que leurs lits fonctionnent très fort, la situation n'est pas incitative. Mais le problème est clairement posé de savoir si la composante privée de la psychiatrie doit être encouragée ou non à créer des structures alternatives. En tout cas, elle le désire fortement afin d'assurer une continuité dans les soins et ne pas se cantonner au temps strictement hospitalier. Et le pré-rapport Cléry-Melin (2) est une étape très importante faisant le point sur cette question. ASH : Quel est l'apport des expériences en cours ? G. M.  : Celles-ci présentent, à mon avis, deux grands intérêts en ce qui concerne en tout cas la pathologie psychotique, qui n'est qu'une partie des prises en charge. C'est d'abord de centrer ou de recentrer le centre médico-psychologique comme pivot des soins à haut niveau technique avec une plus grande disponibilité, des techniques de soins variables offrant un panel de réponses, une dynamisation des hôpitaux de jour, un fort développement des centres d'accueil thérapeutique à temps partiel... Leur deuxième intérêt, c'est d'offrir de nouvelles réponses en matière d'hébergement qui reste un énorme problème. ASH : Et les zones d'ombre ? G. M.  : Nous manquons cruellement de structures de réinsertion comme l'équivalent de centres d'aide par le travail ou de formules d'activités tenant compte de la situation économique actuelle du pays. De même, il n'existe pas suffisamment de lieux de vie pouvant accueillir des patients stabilisés mais très dépendants. Mais on bute là sur le fameux clivage entre le sanitaire et le médico-social... ASH : Dans quelle mesure cette coupure entre le sanitaire et le social constitue-t-elle un frein majeur ? G. M.  : Cela pose des difficultés au niveau de la conception même des alternatives, sachant qu'il faut aller au-delà des maisons d'accueil spécialisé et des foyers à double tarification, mal adaptés à la maladie mentale stabilisée. Cela entraîne également des problèmes pour les établissements qui ne sont pas habilités à gérer ces structures. Et, enfin, l'on bute sur le financement, le médico-social relevant des budgets des conseils généraux. Lesquels considèrent que c'est une charge qui leur est ajoutée et sont, comme on le sait, plutôt réticents à s'engager. ASH : Comment lever ces obstacles ? G. M.  : Il faut, en premier lieu, que les établissements hospitaliers soient habilités à jouer pleinement un rôle en termes de création et de gestion de ces structures. Mais il faut également envisager la régulation financière : est-ce le sanitaire qui budgète ? Ou est-ce que ces structures médico-sociales, comme elles devraient l'être, relèvent du budget social ? ASH : Au-delà des incantations des différents ministres pour favoriser le développement des alternatives, avez-vous le sentiment qu'il y ait une réelle volonté politique ? G. M.  : La politique de santé mentale de notre pays a toujours été définie, en pleine continuité depuis 30 ans, autour de la politique de secteur et du développement de l'extrahospitalier... Mais pour dépasser les mentalités et faire passer les choses dans la réalité, il faut une volonté forte de l'Etat. Or, le problème c'est que la psychiatrie subit toujours une image négative et ne représente que rarement une priorité. ASH : Comment la France se situe-t-elle vis-à-vis de ses voisins ? G. M.  : La psychiatrie française vit dans un splendide isolement et connaît peu les démarches de soins européennes. Ce que l'on sait quand même, c'est qu'en Angleterre ou dans les pays du Nord de l'Europe, on a assisté à une politique forte de création de structures alternatives en réseau avec redéploiements, voire fermetures des structures hospitalières. Mais là, on touche à un problème de culture. C'est-à-dire que les pays nordiques, et surtout les Anglo-Saxons, font des plans et, eux, s'y tiennent. Propos recueillis par Isabelle Sarazin

UN GUIDE DES INNOVATIONS EN PSYCHIATRIE

C'est fin mars que devrait paraître le premier guide des innovations en psychiatrie (3), réalisé à l'initiative de la Mission nationale d'appui en santé mentale et de l'Association des établissements gérant des secteurs de santé mentale. Objectif : répertorier les expériences innovantes et les faire connaître afin de rompre ainsi le cloisonnement et l'isolement des équipes. Ni hit-parade ni catalogue, ce travail se veut « un outil de connaissances » mais aussi « le reflet du réel dynamisme d'une grande discipline médicale », précisent ses auteurs dans la préface. A partir des résultats d'une enquête par questionnaire adressée aux chefs d'établissement, ce guide présente ainsi une cinquantaine de fiches relatives à des initiatives concernant l'intra et l'extrahospitalier, la psychiatrie infanto-juvénile, le social, le médico-social et la réinsertion.

Notes

(1)  Gérard Massé, psychiatre hospitalier, coordinateur de la Mission nationale d'appui en santé mentale, est l'auteur notamment du rapport sur La psychiatrie ouverte.

(2)  Avant le rapport final qui n'a toujours pas été rendu. Voir ASH n° 1924 du 28-04-95.

(3)  Soins psychiatriques : guide des innovations - Editions Heures de France - A paraître.

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