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Mosaïque : un espace santé « nouvelle manière »

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Equipement municipal novateur, animé par un réseau de professionnels, Mosaïque vise avant tout à favoriser l'écoute des moins de 18 ans. Et tente de dépasser la méfiance.

« Quand la tuberculose rentre dans le corps, que fait-elle ? », « Qu'est-ce que l'amour ? », « Comment le sida existe ? », « La tuberculose, ce sont des petites bêtes qui mangent les poumons ? », « Qu'est-ce que l'hépatite ? ». Voilà le type de questions adressées, de façon écrite et anonyme, par des jeunes ayant entre 12 et 17 ans à l'espace Mosaïque. Inauguré le 20 octobre dernier à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis)   (1), Mosaïque est un équipement municipal, qui s'est fixé comme objectif de répondre aux besoins des jeunes de cette tranche d'âge en matière de santé et d'hygiène, se voulant un « lieu d'identification et de prévention ». Rude tâche que d'affronter ces interrogations chargées d'angoisse, mais rendue nécessaire par la précarité alarmante des conditions d'existence de la jeunesse du quartier Quatre-Chemins d'Aubervilliers. Ce nouveau lieu d'accueil, d'information et de discussion est, en effet, situé en plein cœur d'une zone constituée d'immeubles anciens souvent vétustes. Des fonds de cours délabrées, des appartements sans sanitaires avec l'eau sur le palier, des chambres d'hôtels meublés logeant à l'année des familles entières, un habitat insalubre sans le minimum de confort s'étend ainsi en bordure de Paris et de Pantin, à deux pas de la porte de la Villette. Situation aux effets déplorables sur la jeunesse : cela « entraîne une déqualification des attitudes », conduit « à un sentiment d'exclusion, de relégation » et la violence devient le « seul mode de relation sociale reconnu », constatent les porteurs de l'espace santé.

A l'origine : un réseau de professionnels

« L'absence de prise en charge psychologique et médicale des jeunes de 12-17 ans dans ce quartier qui connaît de graves problèmes d'hygiène, c'est à partir de ce constat et pour y remédier qu'est né Mosaïque », résume Jérôme Maillard, responsable du suivi du projet à la mairie d'Aubervilliers. A l'origine, c'est le service communal d'hygiène et de santé de la mairie qui, sous la houlette du Dr Luc Ginot, repère ce mal-être des adolescents. En 1992, ce dernier initie la création d'un groupe de travail réunissant des professionnels de la santé et du social baptisé « Santé jeunes » qui, rapidement, décide de se constituer en réseau afin de dégager, par des échanges plus réguliers, des solutions pratiques. Se retrouvent dans le réseau Villette-Quatre-Chemins, outre le service communal d'hygiène et de santé, le club de prévention « A travers la ville », l'assistante sociale du secteur, l'assistante sociale scolaire du collège Jean-Moulin, certains médecins libéraux du quartier, le médecin du conseil général (Lionel Lavin), l'office municipal de la jeunesse d'Aubervilliers (association paramunicipale) et le centre d'hygiène alimentaire et d'alcoologie. Après deux ans de réflexion, ils aboutissent au projet d' « Espace santé jeunes 12-17 ans » qui, après soumission à la municipalité, est intégré pour cinq ans au contrat ville signé le 24 mai 1994 par la ville d'Aubervilliers, l'Etat et le FAS (Fonds d'action sociale). Par référence à la diversité des intervenants du réseau et aux divers aspects de la santé, le projet prend le nom de Mosaïque et dispose d'un budget annuel de 312 000 F dont 152 000 F pris en charge par la ville, 100 000 F par l'Etat et 60 000 F par le conseil général. Montant auquel il faut ajouter 152 000 F dévolus directement au réseau et assumés à parts égales par la ville et l'Etat, ainsi qu'un investissement de départ - essentiellement consacré à la réhabilitation du lieu lui-même - de 710 000 F.

Un « lieu unique et sans modèle »

Une adhésion des pouvoirs publics - en investissement, Mosaïque est le premier poste du contrat ville - qui a été favorisée par l'existence de ce réseau : « cela a donné au projet une très nette légitimité car il était défendu par des praticiens de terrain. Le second élément qui a joué est l'aspect novateur de Mosaïque », note Jérôme Maillard. Innovant, cet espace l'est par sa nature même : il n'existe, pour l'instant, pas d'autre espace santé en France tourné vers les 12-17 ans. Pourquoi un tel choix n'englobant pas les 18-25 ans ? « Si les grands sont là, les plus jeunes ne viennent pas et sont laissés à eux-mêmes », répond Marie-Laure Gauliard-Plesse, responsable du club de prévention. C'est ensuite son organisation qui en fait « un lieu unique et sans modèle » selon les termes de son animateur, Pascal Jarry. Il s'agit, en effet, d'un service municipal (et non associatif) qui, tout en se devant de mettre en œuvre une politique de santé publique, possède un mode de fonctionnement inédit. Ouvert du mardi au samedi (2), le local est disposé sur trois étages qui ont chacun leur spécificité : le rez-de-chaussée est réservé à l'accueil des jeunes et à l'information - les questions tournant autour de la santé et de la préadolescence sont abordées dans des livres à consulter sur place, des journaux et des brochures disponibles gratuitement (notamment sur le préservatif ou sur le dépistage du sida)   au sous-sol, deux douches, une machine à laver et un sèche-linge sont à la disposition des jeunes à un tarif volontairement très bas (1)   le premier étage est, quant à lui, prévu pour les entretiens personnalisés : des panneaux au rez-de-chaussée signalent la possibilité de rencontrer un médecin (tous les mercredis de 12 h à 13 h et de 16 h à 17 h) ou un psychologue (le mercredi pendant une heure).

Pour l'écoute et l'orientation

Une configuration originale qui vise, avant tout, à favoriser la parole et l'écoute. Au-delà de son aspect utile et fonctionnel, « la laverie permet aux jeunes de discuter pendant que le linge se lave, de parler entre eux ou avec l'animateur », souligne Martial Byl, responsable de deux maisons de jeunes du secteur Villette et membre du réseau au titre de l'office municipal de la jeunesse d'Aubervilliers. L'axe santé/ hygiène de Mosaïque constitue ainsi « un vecteur pour accéder à des problèmes bien plus larges, psychologiques et sociaux », remarque Pascal Jarry. Ici, la santé est comprise dans son acception la plus complète, soit comme un bien-être physique, mental et social. C'est « l'endroit où une souffrance peut s'exprimer », commente le Dr Luc Ginot. Message reçu par un nombre déjà conséquent de 12-17 ans du quartier (3)  : du 20 octobre au 1er décembre, 109 jeunes ont poussé la porte vitrée du local dont plus de la moitié sont déjà revenus plusieurs fois. Pour les intervenants, il s'agit de saisir la demande souvent codée ou camouflée et d'orienter. Ainsi, les médecins qui assurent les entretiens ne font ni consultation ni prescription. « J'écoute, j'essaie de dédramatiser, j'assure un rôle de prévention pour toutes les toxicomanies et les MST (maladies sexuellement transmissibles) puis, éventuellement, j'adresse mon interlocuteur vers l'organisme compétent que ce soit l'hôpital, le centre de santé, l'assistante sociale ou le centre médico-psychologique », explique le médecin généraliste libéral Brigitte Bry. Dans cette optique, la structure horizontale du réseau- dont fait partie Brigitte Bry - présente l'intérêt de permettre à chaque intervenant de Mosaïque la meilleure orientation possible du jeune. Inversement, les adolescents sont informés par divers biais

- le club de prévention, les maisons de jeunes ou les enseignants du collège Jean-Moulin - de l'existence de Mosaïque.

Une confiance difficile à établir

Mais, si l'information circule, le travail d'approche n'est pas simple. Jusqu'à présent, la plupart des jeunes ne font que passer au local. « L'équipement sanitaire a très peu servi (six douches et une dizaine de machines à laver en deux mois). L'utiliser, c'est reconnaître qu'il n'y en pas chez soi, ce qui est loin d'être évident. Il y a un sentiment de honte à dépasser », affirme Pascal Jarry. Même phénomène en ce qui concerne les entretiens personnalisés avec un psychologue : aucune demande n'a encore été formulée. « C'est très long à établir, la confiance. Ce que l'on souhaite, c'est déjà qu'ils ne nous assimilent pas au juge, à la police, à l'adulte hostile. On est là et ils vont finir par nous connaître », estime le Dr Brigitte Bry. En outre, il faut se faire admettre par les parents : près de cent adultes sont passés à Mosaïque depuis l'ouverture. Pour réussir à instaurer ce climat de confiance, Pascal Jarry multiplie les activités : il a organisé un atelier-débat à l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida  il a incité des jeunes filles à réaliser une affiche sur la maltraitance désormais accrochée au mur du sous-sol  il envisage d'organiser des rencontres sur la puberté et un jeu de société sur la santé.

Autant d'initiatives pour tisser, jour après jour, des liens de proximité. Et pour lutter contre cette gêne que peuvent avoir les adolescents de se confier à des médecins, des psychologues ou simplement des adultes. D'où, également, l'idée de Pascal Jarry de créer ce qu'il appelle « la boîte à questions au médecin », où sont déposées ces nombreuses questions écrites et anonymes sur la tuberculose ou l'amour. Il ne reste plus aux intervenants de Mosaïque qu'à trouver les mots pour y répondre.

Emmanuelle Heidsieck

JACK RALITE : MOSAÏQUE RENOUVELLE LA NOTION DE SERVICE PUBLIC

ASH : Quel intérêt majeur présente pour vous cet espace santé ? J. R. : C'est une forme de service public nouvelle manière tel que nous l'envisageons à Aubervilliers : grâce au réseau de professionnels qui l'anime, c'est une structure horizontale et non verticale comme l'est d'habitude une administration ; en second lieu, c'est un service de proximité, au cœur d'un quartier. Ces deux vertus permettent d'approcher l'être dans sa globalité. De l'approcher avec rigueur car nous souhaitons que les jeunes qui viennent dans cet espace se sentent respectés dans leur dignité. Il ne s'agit pas de se pencher sur eux avec compassion mais de dialoguer pour un dépassement. ASH : Quels résultats concrets en attendez-vous ? J. R. : Que ce soit pour ces jeunes un lieu d'écoute où on les entende vraiment. Cela demande du temps. Avant de savoir le fond de la pensée d'un jeune, il faut l'écouter longtemps. C'est un peu comme un chercheur d'or : il faut en remuer du sable avant d'avoir une pépite. Ecouter éperdument, c'est la vocation de Mosaïque. Au bout de six mois d'activité, un bilan sera fait qui nous apportera, sans doute, des indications sur les besoins de cette jeunesse et nous amènera à mieux définir et pratiquer le service public. ASH : Vous pensez donc que ce type d'initiative peut être le levier d'une modification de l'action publique ? J. R. : Effectivement, je pense que cette expérience-là pourra avoir des conséquences sur l'ensemble du service public. Il y a des mutations qui s'opèrent dans la société, dans les mentalités, et la réponse publique est un peu codifiée. Elle ne correspond pas toujours aux attentes actuelles. La notion de service public doit être travaillée aujourd'hui avec une fidélité inventive, fidélité parce que c'est un concept fort, et inventivité parce qu'il y a une adaptation nécessaire. Propos recueillis par E. H. Jack Ralite est sénateur-maire d'Aubervilliers.

Notes

(1)  Mosaïque : 27, rue Henri-Barbusse - 93300 Aubervilliers - Tél. 1 48.34.51.02.

(2)  Mosaïque est ouvert du mardi au samedi de 16 h à 19 h 30 (à partir de 10 h le mercredi et le samedi).

(3)  La commune d'Aubervilliers a une population de 67 250 habitants, dont 17 000 habitants dans le quartier Villette-Quatre-Chemins (source : mairie d'Aubervilliers, décembre 1995).

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