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La médiation socio-culturelle : jusqu'où ?

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Le concept de médiatrice socio-culturelle a remplacé, ces dernières années, celui de femme relais. Mais il demeure en pleine transformation, à la recherche de sa légitimité, à la fois sociale et statutaire.

Certains avancent le chiffre de 10 000 femmes médiatrices. Mais en réalité, personne ne sait vraiment les dénombrer. Ce flou rend compte du caractère multiple de leurs activités, depuis les formes très spontanées jusqu'aux fonctions plus formelles. Les frontières entre les deux étant d'ailleurs très fluctuantes.

Apparues au début des années 80, les « femmes relais » sont, refusant le côté instrumental de ce terme, peu à peu devenues des « femmes médiatrices » (même si elles comptent aujourd'hui quelques hommes). Si au départ la majorité d'entre elles étaient d'origine africaine (Afrique noire et Maghreb), désormais elles appartiennent à différentes communautés ethniques (Sri-Lankaises, Kurdes...). Elles sont même parfois d'origine française.

Les objectifs de leurs activités restent les mêmes : être une interface entre les populations immigrées (ou plus largement défavorisées et fragilisées) et les représentants des services publics. «  Au départ, toutes ont comme public privilégié les femmes du quartier  mais avec la durée et l'élargissement de leurs compétences, les médiatrices touchent d'autres populations telles que les hommes, les jeunes et les personnes d'origines diverses. Elles jouent un rôle d'intermédiaires entre usagers et institutions dans des domaines variés :scolarité, prévention de la délinquance, services sociaux », résument les auteurs d'une enquête nationale dirigée par Catherine Delcroix et gérée par l'ADRI (1).

Sensibiliser

Ce travail, qui détaille les motivations des femmes rencontrées et trace leur portrait (voir encadré au verso), rend compte aussi de la diversité des initiatives qui se déroulent dans un cadre associatif ou plus institutionnel. Ainsi l'association des femmes médiatrices du Val-de-Marne, l'Afemva, à Vitry. «  Depuis sa création, notre association aide les femmes émigrées à faire l'apprentissage de la société française. En partenariat avec le Service social d'aide aux émigrants, nous avons organisé un accueil des familles arrivant par le regroupement familial ainsi que le recrutement des femmes pour un cours d'alphabétisation. Et nous répondons à toute demande de médiation, qu'elle émane des personnes elles-mêmes ou des institutions, PMI, service social... », expliquent les responsables de l'Afemva. Autre exemple : le centre social Le Toit du monde à Poitiers. « Nous avons mis en place depuis longtemps des actions avec le soutien de personnes relais bénévoles, œuvrant par solidarité avec leur communauté. » Le Toit du monde vient d'officialiser cette médiation avec l'embauche, en CES, d'une femme d'origine turque.

Au-delà de la diversité de leurs tâches, le point commun dans le rôle de ces femmes est double : il s'agit de viser une meilleure adaptation et insertion des habitants d'un quartier et, sans aucun doute, dans le même temps, d'assurer une plus grande intégration et une plus grande reconnaissance des femmes médiatrices elles-mêmes (on parle parfois à leur propos d' « élite de l'immigration » ). « Au départ de leur engagement, explique Catherine Delcroix , le cœur de leurs activités touche à l'interprétariat, à l'information, à la sensibilisation et à l'accompagnement social auprès des administrations. En fait, leurs interventions sont beaucoup plus larges. Concrètement, cela signifie par exemple qu'elles aident à la recherche d'emploi et de logement. » Ainsi, selon cette sociologue, à Salon-de-Provence, au sein de l'expérience La Baraka, une cinquantaine de femmes ont réussi à trouver un emploi entre 1993 et 1995. « Ailleurs, comme à Saint-Etienne, elles ont provoqué la création de réseaux d'échanges de services, tels la garde d'enfants, la couture, les repas cuisinés..., une initiative qui les a amenées à lancer des services de proximité. »

Lutter contre l'exclusion

Pour les chercheurs de l'ADRI, pas d'équivoque : les médiatrices permettent de lutter contre l'exclusion et le ghetto social. Ils estiment même que les médiatrices permettent à des habitants défavorisés ayant le sentiment d'être abandonnés par l'Etat, de participer à la vie de la cité. Cela quelle que soit l'origine des habitants. La médiation socio-culturelle doit poursuivre, observe de son côté Mireille Bagur, auteur d'un rapport publié récemment sur ce sujet (2), son entreprise de « décloisonnement », en intégrant des femmes médiatrices françaises et en s'adressant à des habitants d'autres quartiers. «  Sinon cette activité restera enfermée dans une perspective sans issue qui fait des médiateurs interculturels des représentants de leur communauté participant activement à l'intégration de ces groupes. »

« Il n'y a pas d'exclusive dans les gens que l'on aide, témoigne Yacine Diakité, Sénégalaise et superviseur à ISM-formation (1). Je me rappelle d'une personne très âgée et malentendante à la sécurité sociale. L'agent n'avait pas la patience de lui expliquer. Moi, j'ai pris le temps. » La fonction d'une médiatrice c'est, pour elle, amener des personnes en rupture de communication à rentrer en contact.

Pôle de soutien et de sensibilisation pour les habitants, ces femmes se veulent donc souvent aussi un pôle d'information pour les professionnels (sur les conditions et les modes de vie, les besoins non exprimés...). Citons une expérience originale à Marseille, à travers l'association Les Amies de l'espoir. Les médiatrices participent, en tant que mères d'enfants toxicomanes, à la formation des policiers dans le domaine de la toxicomanie.

Mais quelles sont les limites de leur fonction ? Si, comme l'affirment les auteurs du rapport de l'ADRI, leur recherche a montré la « richesse des liens existant entre les médiatrices et les travailleurs sociaux » (même si l'on ne peut ignorer une part de méfiance et de crainte réciproque sur certains sites), il n'empêche que la question se pose de leur place au sein du champ du travail social. Certaines de leurs tâches ressemblent en effet bien souvent à celles des services sociaux spécialisés ou des travailleuses familiales. « Chacun a sa place, estime pour sa part Yacine Diakité. Il faut mettre nos forces en commun. Nous relayons bien souvent les services sociaux pour certaines démarches car ils sont débordés. »

Alors, doivent-elles devenir des professionnelles de la médiation socio-culturelle ? Elles sont nombreuses à le réclamer à l'instar de leurs collègues de Belgique et des Pays-Bas. Un collectif a d'ailleurs été créé il y a deux ans (2), qui réunit une vingtaine d'associations réparties sur tout le territoire, et dont la charte définit les objectifs et les limites de cette fonction. Cependant, leur atout ne réside-t-il pas dans le caractère spontané et de proximité, voire bénévole, de leur activité, qui met hors sujet l'idée d'en faire un véritable métier ?Pour autant, faut-il les laisser dans une situation financière et statutaire précaire ? Par ailleurs, il faut se souvenir que beaucoup de professions sociales trouvent leur origine dans une activité bénévole et généreuse.

Fonction sociale ou métier ?

Quel statut donc pour les femmes médiatrices ?Fonction sociale ou métier ? La question n'est pas nouvelle (3). Aujourd'hui, malgré les différents rapports qui plaident d'ailleurs pour des formations et une professionnalisation, les réponses manquent encore. Néanmoins, les femmes médiatrices gagnent du terrain dans la reconnaissance de leur activité. Nourédine Boubaker, délégué du secteur social au Fond d'action sociale  (FAS), résume l'intérêt et l'ambivalence de leur place par une formule éloquente : «  c'est du travail social à bas prix mais à haut pouvoir éducatif ». Pour lui, en effet, les femmes médiatrices témoignent qu'il est possible de réhabiliter la convivialité dans des quartiers marqués par l'indifférence et la « déliquescence ».

« Il y a une telle situation d'exception que c'est une urgence absolue de réhabiliter leur fonction. Les médiatrices permettent que certaines situations ne basculent pas dans le pire. » Mais, dit-il encore, « je me refuse à parler encore de métier. D'autant plus que la médiation, c'est comme la prose, on en fait sans le savoir. C'est la voisine qui accompagne au marché ou à la poste, c'est le b. a. ba de toute association communautaire œuvrant dans ces quartiers ». Cependant, précise-t-il, «  leur prestation doit être limitée dans le temps, même lorsqu'elles sont embauchées par une mairie, par exemple ». On ne peut, ajoute-t-il, faire l'économie d'une formation des personnels des services publics et même d'une rénovation de certains de ces métiers. Depuis l'Education nationale, en passant par la police, les agents d'accueil des mairies et même les travailleurs sociaux. « Tous doivent être formés au dialogue et à la communication avec ces populations. Accueillir et accompagner en banlieue requiert des compétences spécifiques ! Il faut du recul pour ne pas individualiser l'échec. Sinon on crée du mécontentement, de la violence, du racisme. » Pour lui, la médiation est ainsi le révélateur, et la résultante, d'une certaine carence de l'Etat et des services publics...

A l'issue d'une journée organisée par le Collectif des femmes médiatrices (4), celui-ci, le FAS, la direction de la population et des migrations et le service des Droits des femmes ont décidé d'entamer une réflexion pour apporter des réponses claires à un débat qui n'en finit pas d'être ouvert. «  La médiation socio-culturelle, conclut Nourédine Boubaker, met en présence une communauté et la société d'accueil. Or c'est une encoche au modèle républicain qui considère que l'on doit traiter avec des individus, et non avec des communautés comme le font les pays anglo-saxons .»

Laure Lasfargues

PHOTOGRAPHIE

Quatre-vingts femmes médiatrices ont été interrogées dans le cadre de l'enquête nationale pilotée par l'ADRI. Parmi elles : 43 % sont immigrées, 34 % sont issues de l'immigration et 23 % sont françaises d'origine (dont un tiers a un conjoint étranger). Parmi les étrangères, les nationalités rencontrées sont, par ordre décroissant : algérienne, marocaine, turque, sénégalaise, tunisienne, comorienne, iranienne, serbe et laotienne. Par ailleurs, nombre d'entre elles sont issues de milieux populaires et urbains, mariées et mères de famille. Un tiers a poursuivi des études jusqu'au baccalauréat ou a suivi un cursus universitaire. La moitié de ces femmes, enfin, a participé à une formation spécifique portant sur les contenus et les limites de leur action de médiatrice. Pour finir, il faut savoir que presque toutes sont rémunérées : soit sur la base d'un contrat emploi-solidarité ou du revenu minimum d'insertion, soit dans le cadre d'un CDD. Mais rares sont celles qui sont embauchées en CDI.

Notes

(1)  Voir ASH n° 1946 du 27-10-95. Rôle et perspectives des femmes relais en France : recherche financée par la direction de la population et des migrations et le Fonds d'action sociale, et portant sur 20 expériences de médiation sociale et culturelle dans 12 villes de France. ADRI : Agence pour le développement des relations interculturelles - 15, rue René-Villermé - 75011 Paris - Tél. 1 43.48.49.19.

(2)  Rapport de synthèse sur la médiation socio-culturelle, élaboré par Mireille Bagur - FIA-ISM : 12, rue Guy-de-la-Brosse - 75009 Paris - Tél. 1 43.37.61.28 - 30 F (+ 10 F de port).

(3)  Voir ASH n° 1874 du 7-04-94.

(4)  Journée organisée le 14 novembre 1995 sur « Médiation socio-culturelle et dynamique sociale » par le Collectif des femmes médiatrices.

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